lundi 25 novembre 2024 11:00

Subsahariens en Espagne

Je suis entrée à Sebta à la nage et sans visa». Ainsi Stella, une Nigériane de 35 ans, installée en Espagne depuis 11 ans, entame son récit. Ses expressions sont tirées du répertoire commun de plusieurs milliers de ressortissants d’Etats dits subsahariens en Espagne, actuellement attrapés entre le spectre du retour au pays d’origine et l’espoir de concrétiser le rêve d’accéder au statut de citoyen de plein droit en Europe.

Ils constituent un collectif d’étrangers qui souffrent en silence et font face aux affres de l’exil forcé. Ils tentent de surmonter les frustrations quotidiennes, supporter l’indifférence d’une société saignée à blanc par la récession économique, et sortir des labyrinthes d’une bureaucratie orthodoxe et froide. Dans cette circonstance, sont-ils en mesure de résister à l’indifférence des acteurs politiques? Sont-ils acceptés dans la nouvelle société d’accueil ? Et quelles chances ont-ils pour réussir leur projet migratoire ? Pourtant, ils ne perdent pas espoir et préservent le cordon ombilical qui les unit à leurs pays d’origine. Il est aussi judicieux de se demander s’ils sont préparés, dans ces conditions, à continuer le combat pour l’obtention de la carte de résidence et du permis de travail. Ce sont là les objectifs à concrétiser pour légaliser le séjour en Espagne mais surtout l’accès à la citoyenneté, la reconnaissance du droit au travail, l’éducation de leurs enfants et la liberté de circulation dans l’espace européen.

Contrairement aux Latino-Américains, Marocains, Chinois ou Roumains, qui sont plus nombreux, les Subsahariens en Espagne sont des immigrés patients. Les récits abondent mais chacun a vécu son propre lot de souffrances depuis le départ du pays d’origine. Les sans-papiers sont hantés dans leur nouvelle société d’accueil par la peur de sombrer dans la précarité de la vie et la pauvreté. Ils se considèrent invisibles parce qu’ils sont exclus de la possibilité de jouir de plusieurs droits universels, tels la revendication des mêmes conditions de recrutement des travailleurs, la libre circulation dans l’espace européen ou l’accès à des services sociaux spécifiques. L’indifférence de la société d’accueil, la marginalisation sur le plan professionnel et la violence des préjugés et stéréotypes qui leur sont collés les rendent plus vulnérables mais aussi plus tristes. C’est la situation de l’Africain au pluriel. 
A cause de la crise économique, déclenchée en Espagne depuis 2007, et l’avalanche de la nouvelle immigration forcée des réfugiés syriens en Europe, le collectif subsaharien paraît désormais relégué à un second plan dans les médias et l’agenda des partis politiques. L’analyse d’une série d’entretiens en profondeur, réalisés directement avec des Subsahariens, permet de connaître de première main des histoires de vie variées et épreuves subies avant de débarquer aux actuels lieux de résidence. Ils viennent du Mali, du Sénégal, de Mauritanie, du Cameroun, de Côte d’Ivoire, de Gambie, du Niger, de Guinée Equatoriale mais aussi du Nigeria. Ils gardent jalousement leurs signes identitaires d’une Afrique multiconfessionnelle. Ils s’appellent Fran, Ali, Antoine, Pedro, Sidi Jobe, Stella, Charles, Bamba, Touré, Vincent, Rambo, Moussa, Herman. Ils sont unis par le même destin mais partagent les mêmes préoccupations, inquiétudes et angoisses. C’est le sentiment de tout immigré avide de triompher le plus rapidement possible dans la société occidentale. «Je dois lutter de jour en jour pour améliorer mon statut», confie Moussa (Mauritanie, 34 ans). Entré en Espagne en 2009 comme exilé politique via le Maroc, il est actuellement au chômage. Ses paroles sont remplies d’amertume: «Je suis frustré et surpris car je m’attendais à autre chose en Espagne pour trouver facilement un boulot ».  
S’il est admis en général que les immigrés peinent à s’intégrer dans la société d’accueil, il est aussi évident que le collectif subsaharien se distingue par sa diversité et un haut indice d’irrégularité en comparaison avec le reste des communautés d’immigrés. Ce qui est certain c’est qu’il a connu, en l’espace de deux décennies, une croissance exponentielle (passant de 36.000 personnes en 1998 à 199.556 personnes en 2015 en situation légale, selon l’Institut espagnol de la statistique). Il est désormais difficile, sinon impossible, de déterminer leur chiffre exact en Espagne. A l’instar des autres ressortissants extra-communautaires, ils peuvent y entrer via un visa. D’autres sont admis comme réfugiés. Reste l’unique et risquée option de s’infiltrer irrégulièrement dans le territoire espagnol, soit par Sebta et Mellilia, soit par les côtes andalouses ou de l’archipel canarien. Les deux options ne sont guère exemptes de dangers, de risque de naufrage ou d’expulsion par les autorités espagnoles. Pour Fran (Cameroun, 31 ans dont 5 ans passés en Espagne), tous les moyens sont bons pour entrer en Europe : « J’ai pris le risque de m’introduire à Sebta à la nage». Charles (Cameroun, 39 ans dont 11 en Espagne) a emprunté le même itinéraire. Il est plus serein grâce à sa situation de travailleur pleinement intégré au marché de l’emploi, dit-il. Il est des rares Africains qui se considèrent « respectés et non discriminés » dans son lieu de travail. Pourtant, il a extrêmement souffert avant d’être recruté : « Les Subsahariens sont le plus souvent confrontés à la concurrence pour le même poste d’emploi avec les Espagnols, les Latino-Américains, les Roumains ou les Marocains. Ils se situent en bas de l’échelle des choix des employeurs ». « L’ethnie, la culture et les problèmes de communication » sont les causes de leur rejet du marché du travail. « En rapport avec leurs aspects qui sont très marqués, c’est une population très jeune, fortement masculinisée et qui démontre de hauts taux de vulnérabilité aussi bien sur le plan professionnel que social, ce qui rend énormément difficiles les possibilités d’une insertion adéquate », soutient Gorka Moreno, directeur de Ikuspegi - Observatoire Basque d’immigration et professeur à l’Université du Pays basque. Pourtant, le sociologue basque assure que les Subsahariens «sont mieux appréciés au pays basque et ont la réputation d’être de bons travailleurs».

L’odyssée périlleuse

Les facteurs qui incitent généralement tout immigré à abandonner sa terre natale sont nombreux. Mais pour les Subsahariens, viennent en tête les guerres civiles, la rareté des opportunités d’emploi ou la fascination par le style de vie européen. Historiquement, ces facteurs se justifient par la mobilité de la main-d’œuvre de la périphérie vers le centre. «Dans mon pays, il n’y a pas de travail pour tout le monde», se lamente Bamba (30 ans dont 9 en Espagne), un «top manta» (vendeur ambulant), marié et père de deux enfants restés au Sénégal. Il a dû abandonner les bancs de l’université pour venir tenter sa chance en Espagne avec un « visa d’étudiant ». Pour Stella (Nigeria, 35 ans dont 11 en Espagne), « les conflits interconfessionnels, l’absence de perspectives et l’instabilité politique m’ont obligée à faire la longue traversée du désert». Pour son compagnon et père de ses deux enfants, Charles « la vie était insoutenable en 2005 au Cameroun à cause des guerres civiles». Il avait risqué sa vie en traversant à la nage le bourg de Beni Younès jusqu’aux plages de Sebta.  

La théorie néo-marxiste aide à expliquer l’origine de ce type de migrations qui succèdent dans les  pays périphériques (ici l’Afrique de l’Ouest) à destination des pays du centre (Espagne) en prenant pour point de départ le sens périphérie-centre. A long terme, une relation naît au détriment des pays sous-développés dans la mesure où les pays périphériques entrent dans une dynamique de productivité et enregistrent un taux d’épargne plus bas que ceux des pays du centre. A la lumière de ces prémices, l’on assiste à des marchés segmentés qui émergent dans un contexte de globalisation où l’immigré pourrait difficilement, dans son pays d’origine, atteindre des niveaux de consommation et revenus s’il vivrait en Europe. Cette ambition incite précisément l’immigré subsaharien à risquer sa vie dans des aventures conduisant vers l’inconnu. Les nombreux facteurs d’attraction du marché européen (espagnol dans ce cas) ont été déterminants dans la prise de la décision d’émigrer vers le nord, en empruntant les routes conduisant à l’Europe via le nord du Maroc. Citons la proximité géographique du Vieux Continent et la facilité d’entrée et de séjour au Maroc (sans visa pour les ressortissants de certains Etats africains). La communauté affective unissant l’Afrique de l’Ouest et le pays maghrébin, l’appartenance au même continent, le partage de la même confession, la même histoire coloniale et l’usage de la même langue influent sur le choix de cette option. D’autres facteurs déterminants interviennent avec force dans le choix de la route marocaine, dont le bas coût de transport et l’existence de réseaux sociaux bien implantés dans les deux rives du Détroit de Gibraltar. Depuis deux décennies, le Maroc s’est converti en un pays d’accueil et de transit pour les Subsahariens. 

​Les mirages de l’Eldorado européen

La présence au pays maghrébin de solides réseaux migratoires offre la possibilité de commencer le séjour du bon pied au pays de transit ou d’accueil. Le rêve  du Subsaharien, comme celui de tous ceux qui migrent volontairement ou sous la contrainte, est d’accéder à un emploi stable, un niveau de consommation adéquat et l’amélioration de son bien-être et celui de sa famille. Pour ceux qui sont démunis de moyens suffisants, il serait avantageux de se diriger vers les proches lieux d’attraction de main-d’œuvre de basse qualification, comme l’Espagne, pays qui n’applique pas encore une politique d’immigration sélective ni autorise la création de partis xénophobes ou racistes. Dans cette circonstance, l’agriculture, le bâtiment et la vente ambulante sont des niches qui offrent des possibilités de survie. Théoriquement, acquérir une formation complémentaire en perspective du retour au pays d’origine est l’objectif initial de tout projet migratoire. Ce type d’immigration économique se traduit en Afrique de l’Ouest par des pertes en termes de capital humain. En contrepartie, les transferts des travailleurs subsahariens en Espagne contribuent (quoique modestement) à l’amélioration des revenus de la famille et de l’économie du pays d’origine. Selon les opérateurs  de Ria, une agence de transferts d’argent, cités par le journal électronique espagnol ElConfidencial.com, les envois de devises effectués à partir de l’Espagne par des ressortissants gambiens et sénégalais représentaient en 2015 respectivement l’équivalent de 3% et 2% du Produit intérieur brut de leurs pays. « Je dois me battre pour envoyer de l’argent à ma famille au Sénégal », confie Bamba.

Les migrants entrés en Espagne dans les années  1990 et 2000 (dont certains avec le statut de réfugié ou via un visa pour études) forment actuellement un collectif en situation légale. Ce qui est certain, comme l’ont reconnu des Subsahariens interviewés par l’auteur, le déplacement de l’Afrique de l’Ouest jusqu'à l’Espagne s’effectue dans de pénibles conditions en assumant le risque de traverser l’immense désert saharien, par la suite, le Detroit de Gibraltar à bord d’embarcations de fortune (pateras) ou d’atteindre l’archipel canarien à bord de pirogues. Nombreux sont ceux qui sont restés au milieu du chemin, d’autres réussissent à gagner l’autre rive mais sans perspective claire de régulariser immédiatement leur situation. Ils seront, immédiatement, persécutés au nom d’un arsenal juridique qui sanctionne implacablement l’immigration irrégulière ou exclus du marché du travail faute de documents en règle. Comme unique facteur de permanence, la première génération d’immigrés prend conscience de la réalité des salaires dans leurs pays en comparaison avec ceux de l’Espagne. Si l'on se réfère à la théorie néo-classique, le bénéfice à récolter correspondrait, selon certains, aux souffrances endurées et est plusieurs fois supérieur au coût du voyage. Pour d’autres, il est prénaturé de contempler l’option du retour au bled.  Une troisième catégorie aspire à la citoyenneté et à l’égalité des droits et chances dans l’espace européen. En dépit des souffrances endurées, les Subsahariens sont conscients des difficultés que traverse le marché du travail espagnol et du danger de sombrer à tout moment dans le chômage chronique, la précarité et l’exclusion sociale.  

Confraternité africaine et mal du pays

Les aiguilles de l’horloge lumineuse de l’Avenida de España à Alcobendas (20 km au nord de Madrid) indiquent 20h00 et le thermomètre 38 degrés le 15 juillet. Les derniers rayons solaires disparaissent derrière les immeubles blancs mais un groupe de jeunes Subsahariens paraissent distraits mais contents des retrouvailles dans un coin du parc municipal. Ce jardin d’acclimatation aménagé non loin de la station ferroviaire et du commissariat national, est leur habituel centre de convivialité pour maintenir solides leurs liens confraternels, échanger les dernières nouvelles sur le marché de l’emploi et être au fait des processus de régularisation de la situation de leurs compatriotes. « En groupe nous sommes solidaires et plus forts », assure Vincent (Cameroun, 24 ans, dont six de résidence légale). Il se considère «bien intégré». Après avoir terminé des études payées par sa famille à la Faculté de pharmacie de Madrid, il est « désemparé, déçu» et incapable d’assimiler sa situation d’odontologue obligé à exercer dans un domaine qui n’est pas le sien. «C’est pour survivre!» dit-il. D’ailleurs, « je ne peux pas rentrer dans mon pays à cause d’une situation difficile et instable». Il est convaincu du choix pris face à l’absence de conditions idoines de travail: « Je suis mal payé pour plusieurs heures de travail que j’effectue chaque jour». Le message qu’il revendique est d’éviter l’exclusion sociale. 

Pour des milliers de ressortissants de l’Afrique de l’Ouest, le cas de Vincent invite à méditer sur le statut du travailleur subsaharien dans une société de consommation. Pour fuir la précarité, ce jeune Camerounais en situation légale qui était arrivé en 2010 en Espagne à bord d’un avion muni d’un visa d’étudiant, a dû se soumettre au déclassement professionnel pour pouvoir être admis au marché du travail.  D’autres immigrés se sont réfugiés dans des niches offrant des opportunités d’emploi précaires sans se préoccuper ni de l’aspect légal de l’activité à accomplir ni du montant du salaire à percevoir. C’est le cas de Pedro Mba (Guinée Equatoriale, 30 ans, sept ans en Espagne). Réfugié politique, il est marié avec une Espagnole et père de deux ans. En chômage depuis deux ans, il se considère victime du système européen en général, du système du travail et de la privation de certains avantages à caractère socio-sanitaire. Il assume avec stoïcisme la réalité selon laquelle « seul avec le travail tout est possible ». C’est la raison pour laquelle il est prêt à mener le combat quotidien en « effectuant des petits boulots de bricolage et du travail volontaire ». Sans regretter son séjour en Espagne, il déclare: «Viendra un jour où je retournerai dans mon pays». 

Pour un Subsaharien, tout effort paraît insuffisant pour concrétiser le rêve de jouir pleinement des droits garantis par les Constitutions des démocraties occidentales. « C’est difficile de trouver un emploi en Espagne », tranche Sidi Job, un Gambien de 25 ans (18 mois en Espagne) qui n’a jamais eu l’opportunité de travailler. Les causes du chômage sont multiples et les rejets des demandes d’emploi ne sont jamais justifiés.  «Je suis au chômage depuis sept ans », assure  Antoine (Côte d’Ivoire, 38 ans, 16 ans en Espagne).  « Nous avons les papiers mais non l’intégration au marché du travail », soutient-il en ajoutant qu’il « ne s’agit pas de racisme mais plutôt de la mauvaise et inadéquate formation que nous avions suivie en Espagne». C’est aussi à cause de la discrimination professionnelle et la sélection des postes d’emploi. «Par exemple, il n’y a pas de policiers ni de fonctionnaires de couleur dans l’administration espagnole», observe Rambo (Nigérian de 45 ans dont 11 ans sans papiers en Espagne). Lorsque le Subsaharien réussit à intégrer le marché du  travail, il acquiert le statut de travailleur avec tous les avantages garantis par la loi : il cotise à la sécurité sociale, adhère à un syndicat de travailleurs, jouit de la pleine couverture sanitaire. Avec un emploi salarié, le Subsaharien n’est ni rejeté, ni boudé ni maltraité au lieu du travail. « C’est vrai, quand je travaillais, je devais passer plus d’heures à l’entreprise  pour un bas salaire, mais je suis quand même respecté », reconnaît Charles. Stella (Nigeria, 35 ans, 11 ans en Espagne, actuellement au chômage), affirme « avoir eu de la chance » pour « être traitée sur un pied d’égalité comme les autres immigrées ». Fran se plaint de la discrimination salariale et « non raciale car il gagne moins qu’un autochtone au même poste d’emploi ». «C’est la réalité du marché et je l’assume », dit-il. Voici la conclusion à laquelle sont parvenus les immigrés en Espagne, toutes nationalités confondues, pour esquiver la précarité et résister à la crise qui a touché des milliers de ménages. « Avant de fouler le sol espagnol, j’avais beaucoup d’espoir. C’est lamentable de me trouver dans un environnement hostile au subsaharien, une discrimination à l’embauche, qui n’existe pas dans mon pays. Je suis sincèrement frustré », regrette Fran. 

Mettre toutes les chances de son côté

Certains migrants pensent mettre « deux chances » de leur côté. En choisissant le Maroc comme pays de transit, ils visent principalement le passage en Espagne, ce qui leur permet ensuite d’accéder à toute l’Europe. Mais, en cas d’impossibilité d’atteindre l’Espagne, rester au Maroc devient une solution médiane très probable et tout à fait envisageable, puisqu’en tout état de cause, la situation y est « toujours meilleure » que dans le pays de départ. Beaucoup ont exprimé, par ailleurs, un sentiment de quiétude et de sécurité au Maroc, malgré la précarité dans laquelle ils vivent, par rapport aux régions qu’ils ont quittées ». 

Extrait du document de travail « L’immigration irrégulière subsaharienne à travers et vers le Maroc », Bureau international du travail (Genève), 2002.

La nageuse fortunée Récit de Stella (Nigeria, réfugiée, 35 ans, 11 ans en Espagne, 4 ans en chômage).

« Je suis partie du Nigeria en 2005 en direction du Maroc. J’ai traversé le Niger, le Togo, le Mali, le désert algérien. Je suis entrée à Oujda pour aller ensuite à Nador puis à Rabat. Finalement, je me suis installée dans les forêts de Ben Younès (situées entre Tanger et Tétouan et limitrophes de Sebta). Les forces de l’ordre marocaines ne cessaient de nous persécuter. Un Gambien m’avait proposé de lui acheter une combinaison de pêcheur marin pour me conduire à la nage jusqu’aux plages de Sebta. Je lui ai promis de verser 50 euros à la fin du trajet. Nous avons quitté la côte marocaine à 01h00. Il faisait très froid. Comme je ne sais pas nager, il m’a attachée à une corde pour pouvoir me tirer. Le voyage me paraissait interminable, long et sans point de référence à l’horizon. J’avais l’impression que mon cœur allait cesser de battre à tout moment. La Guardia civil espagnole nous a interceptés trois heures plus tard. Les cinq autres compagnons, dont mon passeur, ont été reconduits au Maroc. Comme j’avais perdu connaissance lors de ma détention, la Croix-Rouge est intervenue pour me conduire dans un hôpital de Sebta. Ils m’ont donné à boire et à manger après avoir repris connaissance. Par la suite, j’étais admise dans un Centre d’internement d’étrangers (CIE) où j’ai passé la nuit. Le lendemain, ils m’ont conduite au Centre de réfugiés qui m’a aidée à obtenir la carte de réfugié pour pouvoir être admise dans un centre de la Commission espagnole d’aide au réfugiés (CEAR) à Alcobendas, au nord de Madrid. J’ai travaillé pendant sept ans comme aide-cuisinière jusqu’à la perte de ma condition de réfugiée.  Actuellement sans papiers et sans travail, je dois passer par les longs labyrinthes administratifs pour régulariser ma situation d’immigrée ».

20 Juillet 2016, Mohamed Boundi

Source : Libération

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