lundi 25 novembre 2024 06:29

Un vote qui incite à ouvrir un vrai débat de fond

Beaucoup en ont marre des amalgames et de la désinformation. Ils veulent casser les stéréotypes et dépasser cette idée de choc de civilisations

Choqué, outré, étonné et déçu. Tels sont les mots colportés qui expriment le ressenti d'un nombre considérable de suisses après le résultat de la votation du dimanche sur l'interdiction de construction des minarets. Cette interdiction a fait descendre mercredi dernier un large public dans les rues des grandes villes de Suisse-romande. A Lausanne et Genève surtout, mais aussi à Neuchâtel et à Sion. Le nombre total était environ 9000.


A Lausanne seule, le nombre des manifestants était entre 4500 à 5000. Place Saint-Françoise, vers 17h30, le cortège illuminé s'est ébranlé en se dirigeant vers la mosquée de Lausanne. Ils ont marché du parvis de la cathédrale à la mosquée. « De la cathédrale à la mosquée ! », tel était en effet l'appel adressé par le Mouvement de Lutte Contre le Racisme (MLCR).
Des jeunes et des moins jeunes de toutes les origines et religions était au rendez-vous. Ils scandaient divers slogans : 'Non aux discriminations', 'halte au racisme', 'solidaire avec les musulmans', et 'pour une Suisse solidaire'. «Nous avons marché de la cathédrale à la mosquée.

C'était pour marquer l'égalité des religions. Sur une grande banderole il y avait écrit "Démocratie hermétique : vote 'démocraciste'», précise Aurélien qui était parmi les manifestants. Il était accompagné de ses amis Preeti, Vanessa et Yassine. Tous des étudiants de l'université de Lausanne. Ils ont pointé du doigt, à l'instar des autres manifestants suisses, cette votation jugée discriminatoire.

Une décision qui met en doute le mythe de la Suisse démocratique, libre, neutre et accueillante aux persécutés. « Ce vote est comme une onde de choc », souligne-t-il. « Un vote de repli et de peur. Les gens ici, ne connaissent pas l'islam. Par contre, ils ont peur des intégristes, de la 'burqua', et des terroristes ..., bref, de tous les clichés véhiculés par les médias occidentaux sur l'Islam. Des problèmes que la Suisse n'a jamais connus et qu'elle ne connaîtra pas».


Cependant, la plupart condamne ceux qui ont initié ce vote. Selon les dires des manifestants, les instigateurs ont créé de toutes pièces ce faux débat. Pour sa part, Vanessa soutient que : « Le parti de l'Union Démocratique du Centre a diabolisé l'image de l'Islam pour les Suisses.

Ils ont essayé de faire passer l'islamisme extrémiste comme étant la norme. Ils ont effrayé les gens à travers des histoires singulières qui ne représentent pas du tout la réalité ». Et d'ajouter : «Les médias suisses portent aussi une certaine part de responsabilité dans cette propagande, puisqu'ils ont relayé ces informations pourtant mensongères et dangereuses ».

Après, il y a eu l'affaire 'Kadafi', et les Suisses qui ont été récemment condamnés en Libye, qui ont encore donné une mauvaise image des musulmans en Suisse. Et a contribué à convaincre les suisses que les musulmans étaient des gens à qui on ne peut se fier. « Autant d'arguments du genre : "l'Islam n'est pas compatible avec la démocratie. Regardez dans les pays musulmans il n'y a pas de démocratie" et "les chrétiens sont maltraités en terre d'Islam pourquoi nous devons les accepter" », ajoute-t-elle.

Un surplus d'informations, du matraquage médiatique pour pousser les suisses à voter pour l'interdiction de la construction future de minarets. Tout ce qu'il faut pour créer un amalgame.

« J'ai été très choquée par le résultat des votations. Pendant toute la soirée du dimanche, je n'arrivais pas à y croire ! Je pense que cette initiative va à l'encontre des droits de l'homme.


Ce qui est le plus sournois, c'est qu'elle utilise les minarets comme un prétexte pour stigmatiser l'islam et la population musulmane dans son ensemble. Pourtant, en Suisse, il n'y a aucun problème avec la population musulmane ».
Selon son témoignage, l'Union Démocratique du Centre utilise les minarets pour discriminer et stigmatiser l'Islam. Mon seul espoir maintenant est que la Cour Européenne des droits de l'homme la juge contraire aux droits de l'homme et refuse son application.(encadré)
Son amie Preeti a déploré la manipulation des Suisses par certains médias. «Des médias qui font l'apologie des membres d'extrême droite. Ces derniers faussent les chiffres et désinforment l'opinion publique. Ils disent du n'importe quoi», reproche-t-elle. Elle poursuit que : «Les gens ici sont déjà effrayés à cause de la crise, le taux de chômage et les problèmes de logement. Ils se laissent faire. Ils racontaient que si on tolère la construction des minarets, on aurait des cellules de terrorisme ».

Avant de conclure par : «Nous ignorons les vrais enjeux. Mais ce vote est contre les droits de l'homme». Par ailleurs, une simple lecture de l'affiche montre la mauvaise foi des instigateurs. Une femme en burqa sombre au regard menaçant et des minarets aux allures de missiles qui transpercent le drapeau suisse.

Comme si les minarets vont envahir toute la Suisse, et qui dit, minarets, dit l'Islam, et ce dernier va régner et dominer le pays.
Nathalie pense que ce résultat est en fait insignifiant pour les suisses.

«C'est vraiment une sorte de propagande de la fraction droite des politiciens. Pour moi c'est vraiment incompréhensible car il y a d'autres problèmes bien plus graves ici en Suisse que ces minarets». Finalement, ajoute-t-elle, ce n'est qu'environ 1,5 million de personnes, sur les 5 millions qui avaient la possibilité de voter, qui ont voté pour l'initiative interdisant la construction des minarets, alors qu'il y a environ 7,7 millions de personnes vivant en Suisse. Donc, le résultat ne traduit pas l'avis de tout le pays».

Le même avis partagé par Philipe. «J'étais choqué par le résultat qui ne traduit en aucun cas la volonté des suisses». « Après tout », dit-il, «il faut se rappeler que c'est un vote démocratique qui a permit à Hitler d'être élu. Et en toute légalité en faite, donc, ça fait peur».

Ce docteur en informatique ne cache point son amertume à l'égard de ce vote 'flagrant exemple de désinformation'. «Le vote a suscité l'indignation d'un nombre considérable des suisses». Il assure qu'il n'a jamais vu de 'burqua' ni à Lausanne, ni d'ailleurs à genève.

Seulement un voile et des foulards qui laissent voir le visage de la personne. Pour sa part, Yassine est profondément vexé, les initiateurs ont présenté les minarets comme une vraie menace. Avec une exagération dangereuse et sans fondement,
ils ont alimenté sans raison les peurs et les craintes des Suisses.

Aurélien soutient aussi que ce vote est un scandale. Mais il peut être une «chance», Afin qu'une vraie discussion de société s'installe... et permette de refuser tous les extrémismes, religieux comme politiques. «Il faut aller au devant et faire un vrai débat sur les différents «problèmes» de cohabitation qui peuvent surgir».

Provocation, stigmatisation et émotion ne sont pas les moyens pour un débat démocratique. Un débat doit être grand ouvert pour dissiper le flou autour de l'Islam et les musulmans en Suisse ou ailleurs. Ainsi, le débat et le dialogue vont permettre de réduire la distance et la méconnaissance autour d'une religion de paix, atténuer les peurs réciproques de part et d'autre et détruire les idées reçues, les clichés et les stéréotypes.

Ce qui va aboutir à une prise en compte que ni les peurs ni les frustrations ne peuvent condamner à jamais l'harmonie et la cohésion sociales jusque là réussie en Suisse. Le pays de Calvin et Guillaume Teil a toujours servit de modèle de respect et de solidarité avec les êtres humains.

Enfin, il faut tirer la sonnette d'alarme et bloquer ceux qui veulent transformer l'existence paisible et bien intégrée des musulmans en Suisse en un problème d'identité, d'intégration et sécurité nationale.

Nous nous demandons s'ils ont bien mesuré leurs comportements irresponsables et leurs arguments banals. Si la réponse est affirmative.
Il est opportun de savoir à qui profite cette désignation d'un soi-disant ennemi commun ?

Les ouléma dénoncent le vote

L'interdiction d'édifier des minarets en Suisse a été dénoncée, lundi dernier, par notre Conseil supérieur des sages. Les ouléma considèrent que c'est une forme d'extrémisme, et d'exclusion à l'égard de l'Islam et des musulmans.

Ce vote est contraire aux droits universels de l'Homme selon le conseil. Le Conseil a exprimé son étonnement de cette position contradictoire avec l'image de la Suisse. Le Conseil a, par ailleurs, souhaité que les sages de la confédération Hélvétique entament un recours en annulation du résultat du vote. Enfin, un débat profond et bien soutenu est utile. Il faut prévoir également les voies de recours auprès du tribunal fédéral, et en cas d'épuisement des voies de recours internes, c'est la Cour de Strasbourg qui doit être sollicitée.

Source : Le Matin


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