vendredi 29 novembre 2024 20:50

Une grande exposition sur le Maroc médiéval est programmée en 2014 au Louvr

Suite à l’ouverture du nouveau département des arts de l’islam au Musée du Louvre, sa directrice Sophie Makariou nous a accordé un entretien pour parler de cette exposition exceptionnelle à Paris. La directrice s’est aussi spécialisée dans la région de l’Espagne musulmane et l’ouest du monde musulman. Après un accord avec la Fondation du Musée au Maroc, le Louvre organise en 2014 une exposition sur le Maroc fondateur des empires et le Maroc médiéval. Elle sera après présentée en Espagne et les Marocains eux-mêmes pourront visiter cette exposition consacrée à leur pays.

Libé: Ce qui m’a frappé dans votre exposition sur l’art islamique est l’absence d’objets de la partie ouest du monde musulman,  surtout le Maroc.

Sophie Makariou: Il n’y en a pas beaucoup effectivement. Un des effets du Protectorat français au Maroc a été de créer des musées au Maroc. Le patrimoine est donc sur place. On montre des choses grâce au dépôt du Musée du Quai Branly. Il y a peu de musées dans le monde où l’on voit autant de choses qu’au Louvre. Mais cela n’a pas la place qu’il devrait avoir. La convention qu’on a signée avec les musées marocains, c’est de faire des dépôts, parce qu’on ne peut pas faire d’achats. Nous sommes tous sensibles à la provenance des objets.  Il n’y a pas d’objet qui passe en vente. On en a beaucoup parlé avec la Fondation des musées qui vient d’être créée au Maroc. On n’avancera que sous la forme de dépôts. Mais c’est très bien, car c’est un bel échange. Cela s’inscrit aussi dans une coopération plus longue. Une grande exposition sur le Maroc médiéval est programmée en 2014. Tout cela va alimenter cette réflexion sur les dépôts, comment donner mieux à voir le Maroc. C’est le Maroc qui a le plus grand nombre de sites importants avec la Tunisie. Ce n’est pas le hasard, cela s’explique historiquement.

Comment avez-vous fait le choix des 3000 objets présentés au département de l’art islamique  sur les 19.000 que vous avez dans les réserves?  Quel est le fil conducteur ?

Le fil conducteur, c’est toute l’histoire du monde islamique. Il y a des objets du tout début du VIIIème siècle jusqu’à la fin du XVIIIème avec quelques objets du XIXème. Il faut dire qu’au XIXème siècle, une grande partie du monde islamique s’acculture. Esthétiquement, on n’a des objets de plus en plus mixtes qui ressemblent à des objets européens. C’est le début d’une autre histoire. On divise cette histoire en 4 grands moments. Entre la conquête arabe, surtout quand commence une esthétique particulière au VIIIème siècle, et le XIème. Entre le XIème siècle et le milieu du XIIIème siècle vers 1250, 1258 avec la prise de Bagdad et entre ce milieu du XIIIème siècle et 1500. A cette date, on voit une carte assez simple de 3 grands empires orientaux avec le Maroc qui résiste. L’idée était donc de raconter une histoire  avec des mouvements généraux en évitant le nom des dynasties que le grand public ne connaît pas forcément.

Il y a  en fait deux collections réunies, celle du Musée du Louvre et celle du Musée des Arts décoratifs. Le choix des objets se fait,  parce qu’on veut raconter une histoire qui montre la production artistique suscitée par le pouvoir. C’est le palais qui suscite largement ces productions et le palais va jusqu’à la mosquée. Nous avons voulu montrer l’importance du phénomène du pouvoir et du phénomène urbain et leur lien étroit avec les élites lettrées et les élites politiques. Beaucoup de gens ignorent que dans le monde islamique les villes ont une importance considérable. On a travaillé sur les représentions autour d’idées toutes faites.  On a réfléchi à comment on pouvait amener les gens à sortir de leurs représentations tout en faisant de l’histoire de l’art. C’était là aussi notre intention, c’est ça notre grand pari. D’après les premiers retours, ça marche. Les gens sont impressionnés par les œuvres. Ils sont très attentifs. Ils lisent beaucoup, ils utilisent beaucoup les multimédias à leur disposition.
Pourtant l’actualité politique dans la région ne vous aide pas.

Elle ne nous aide pas effectivement. Mais les gens face à  de fausses questions ont de bonnes réponses, ils viennent ici chercher l’information. C’est la noblesse du Louvre et sa charge: donner une juste information. Les visiteurs lisent les textes. Le Louvre fait autorité. Loin de la représentation d’un  monde très déformé par le prisme contemporain, c’est un monde de haute culture, de haute culture artistique, littéraire qui est présenté. C’est un monde d’une grande diversité ethnique, religieuse, linguistique. Nous avons voulu apporter quelque chose que l’on n’aime pas beaucoup dans le discours de masse : amener de la complexité. C’était ça le pari.

Quel est l’objectif de ce département ? Est-ce une décision du Louvre, une décision politique ? Pourquoi la création de ce département aujourd’hui ?

En fait, la collection existe depuis 1793. Il y avait des objets islamiques dans les collections royales et dans certains trésors d’églises avant la Révolution. Ce sont ces objets qui rentrent au Louvre lors de sa création en 1793. En 1893, on crée une section spéciale consacrée aux arts musulmans et on se met à acheter des oeuvres. La première salle est ouverte en 1905. Le premier enseignement en français d’art islamique a lieu à Alger. Une chaire est créée. Ensuite, il y a eu l’Ecole des hautes études marocaines. En 1922, on ouvre un espace plus grand grâce à un mécène. Entre 1890 et 1930, Paris est l’endroit où passent toutes les grandes collections d’art islamique. C’est un marché pour l’art extrêmement important avec de grands collectionneurs. Tout arrive à Paris. Il y a un ralentissement entre les deux guerres. Entre la fin des années 70 et 1993, on ne présente plus les collections, ce qui est très grave. La collection renaît de ses cendres dans le cadre du projet Grand Louvre. On a ouvert un espace de 1000m2. C’est alors l’endroit où l’on présente le plus d’objets d’art islamique en Europe. Il n’y avait aucune présentation aussi grande.

Pourquoi ?

Il a eu incontestablement un vide dans la formation des spécialistes. Il y a eu moins de spécialistes. Cela correspond aussi à la fin de la période coloniale. Des gens, comme les Marcet, Alfred Bayle au Maroc,  Lévi Provençal toujours au Maroc vivent dans ce monde, chez eux : ils y sont nés, y ont grandi; ce sont des hommes dont la langue est l’arabe ou qui la pratiquent presque tous les jours. William Marcet, par exemple, avait une conversation quasiment quotidienne avec celui qui dirigeait la médersa du Tlemcen. Ils étaient très proches. Cette familiarité extrême s’arrête avec la fin des  Protectorats et surtout avec la guerre d’Algérie. C’est une période traumatique qui marque la fin, je dirai, d’une histoire d’amour. Il y a une rupture très forte. Pendant un certain temps, la blessure ne se referme pas. Il y a donc une désaffection pour ces études. Il faut qu’il y ait aussi une nouvelle génération pour qu’elle prenne les choses de manière plus objective. C’est un objet d’étude. On est moins dans l’émotion. On ne vit plus sur place. On est moins familier, mais on reprend les choses. Cela fait un trou d’une  bonne vingtaine d’années. On tourne une page. On  réexpose la collection assez largement.

C’est une décision politique d’ouvrir ce département au Louvre ?

Non, c’est une décision du Musée. C’est le premier  directeur du Grand Louvre qui demande au conservateur des collections de rouvrir les salles. On a vécu avec ces salles jusqu’en 2008. Mais dès la fin de l’année 2000, avec le nouveau directeur Henri Loirette, nous commençons une réflexion sur la place de ces collections. Qu’est-ce  qu’on peut faire autour des collections islamiques qui n’ont pas la place qu’elles devraient avoir ? On est avant le 11 septembre. Il connaît la richesse des collections, il a envie de faire quelque chose et à ce moment-là, je lui dis qu’il y a aussi la collection des Arts décoratifs que personne n’a vue depuis 50 ans. D’où l’idée de créer un département. Cela nous a pris 10 ans. Première étape : il faut partager avec les politiques la nécessité de créer un département. Il faut modifier un décret et il faut qu’on nous donne  l’autorisation de dépenser un peu d’argent. Il y a eu tout un temps de préparation politique, de partage avec la Présidence de la République.

Cela a pris du temps  de convaincre les politiques ?

Cela n’a pas été très difficile en fait.

Jacques Chirac était très ouvert sur la question

Il était très partant. On a été très vite suivi. Après il fallait trouver où faire, comment faire, comment trouver l’argent, puisque l’Etat ne payait pas tout. On a eu un soutien très fort de la Présidence de la République. Cela a donné lieu à la création administrative d’un département en 2003. Après, on a très vite commencé à écrire le programme du concours architectural. Le concours a été lancé en 2004. Les architectes ont été choisis fin 2004. On a travaillé ensuite pendant des années sur des publications, sur des programmes multimédias. Un gros programme de restauration a été engagé, un travail de construction très important évidemment. C’était un très grand chantier. C’est le plus gros chantier depuis la Pyramide.

Vous pouvez dire aujourd’hui que vous avez la plus grande collection d’art islamique au monde.

Je ne sais pas, mais je pense que oui en termes de ce qui est exposé. Au Métropolitain de New York qui vient aussi de rouvrir ses salles, c’est la même surface à peu près. Tous les conservateurs qui travaillent sur ces collections les réexposent. Il faut toujours voir le bon côté des mauvaises choses. L’intérêt pour de mauvaises raisons suscite  une bonne réponse au 11 septembre. Les gens viennent chercher de l’information. Ils veulent comprendre.

Vous vous adressez à un public français, international ?

On s’intéresse à  tous les publics. Le Musée est habitué à une juxtaposition de publics. Il serait intéressant d’avoir la composition du public dans nos salles. On va réfléchir à un questionnaire pour connaître notre public. On sait combien de visiteurs sont venus le premier jour. : 16000 visiteurs dans la journée. On a une moyenne de 15000 par jour, ce qui est énorme. Par comparaison, une exposition qui a beaucoup de succès comme Léonard, c’est 4000, 4500 visiteurs par jour. Personne ne s’attendait à ça. C’est clair qu’il y a beaucoup de public français peut-être plus que dans le reste du Musée, mais aussi nos visiteurs chinois. Il y a aussi des gens qui n’avaient jamais passé l’enceinte du Musée. On voit des femmes voilées. C’est génial. Au-delà d’un réflexe de reconnaissance de soi-même, de sa culture, de son histoire, le Musée, c’est un territoire de la République. Lorsque vous entrez, vous sentez que vous êtes chez vous, alors vous pouvez revenir. C’est extrêmement important. Il y a cette espèce de mélange qui est très émouvant. Nos agents de surveillance le voient, le ressentent et nous le disent : « Les gens viennent nous voir, nous remercient. ». La plus belle récompense, ce sont les visiteurs qui sortent en disant : «Je n’imaginais pas».

Comment s’est passé le mécénat ? Beaucoup de pays arabes ont participé et des souverains comme le Roi du Maroc Mohamed IV ?

Gloire à la générosité des Arabes. C’est un exemple magnifique. Ils ont évidemment donné de l’argent, mais ils n’ont jamais demandé une fois à voir ce qu’il y avait dans le programme. Ça, je pense, qu’il faut l’écrire. « Je vous ai donné quelque chose et avec je vous donne aussi ma confiance». C’est extraordinaire. Il faut le souligner. C’est une noblesse supplémentaire. C’est une  générosité sans contrôle. On ne peut pas imaginer un plus beau geste.

Les mécènes n’ont pas exigé par exemple que les textes de présentation soient écrits en arabe ?

Non. Ils sont écrits dans les langues du Musée utilisées dans tous les départements. Sinon, on m’aurait demandé pourquoi pas le persan. Et pourquoi pas le grec dans les salles d’art grec ou l’italien dans les salles de peintures italiennes ? Il y a eu cette confiance totale. Rien  n’a pesé sur nous. Il n’y a jamais eu le moindre contrôle sur le discours. Il y a quelques années, je me suis entretenue avec  le Prince Tallal Ibnou Al Walid  et je lui ai demandé pourquoi il n’avait pas voulu regarder le projet architectural avant le concours. Il a répondu : «  Je suis  à Paris dans la capitale du bon goût, donc j’ai confiance. » C’est un accord d’estime extrêmement important.

Dans la tradition des musées français, c’est plutôt l’Etat qui finance.

Oui, mais l’Etat avait massivement dépensé pour le Grand Louvre. Donc depuis plusieurs années, si l’on veut aménager de nouveaux espaces, on finance. On compense la baisse de la subvention d’Etat par la recherche de ressources propres.

Une grande exposition sera consacrée au Maroc en 2014.

Oui, une grande exposition sur le Maroc médiéval. J’ai beaucoup travaillé sur l’Espagne. Ce qui m’intéresse c’est l’historiographie, l’histoire de la discipline, comment on écrit l’histoire. J’ai lu beaucoup d’auteurs du XIXème siècle et en particulier des auteurs espagnols. On a toujours écrit l’histoire de cette partie du monde islamique d’un point de vue andalou. Or, à partir du moment où les Almohades prennent le pouvoir, le pouvoir est au Maroc. Je veux retourner le gant et  avoir un regard à partir de  l’autre rive de la Méditerranée. C’est de là que ça part et pas l’inverse. Il y a une fierté au Maroc de l’héritage andalou, mais le Maroc ne fait pas que recevoir. Je ne crois pas que toute la céramique ait été créée en Espagne. C’est un échange.

L’idée, c’est de changer de perspective historiographique, de profiter de très bonnes relations qu’on a avec l’Institut du patrimoine au Maroc et de faire un retour sur l’histoire. Il y a au Maroc une nouvelle recherche archéologique. Il faut amener du nouveau  matériel qu’on ne connaît pas et sortir des choses qu’on n’a pas beaucoup vues. Le Maroc a des trésors de manuscrits. On est vraiment dans une production franco-marocaine. On travaille sur une étape au Maroc. L’exposition, peut-être pas dans sa forme complète, ira au Maroc.

12 Janvier 2013, Youssef Lahlali

Source : Libération

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