jeudi 26 décembre 2024 11:59

Une histoire culturelle de l’immigration

Du 17 novembre au 18 avril, la Cité nationale de l'histoire de l'immigration (CNHI) à Paris présente «Générations : un siècle d'histoire culturelle des Maghrébins en France». Une expo qui met l'accent sur la dimension artistique et intellectuelle de l'immigration, pour le plus grand plaisir des sens et de l'esprit.

Musique, littérature, cinéma, peinture et dynamisme intellectuel, social et politique. Voilà ce sur quoi insiste l'exposition originale «Générations» qui se tient actuellement à la CNHI. Pour la première fois, il s'agit de puiser au cœur même d'une histoire culturelle longue, complexe et souvent méconnue pour illustrer les émotions, l'imaginaire et le discours des Maghrébins en France. L'idée vient de l'association Génériques, créée en 1987 et spécialisée dans l'histoire et la mémoire de l'immigration, ainsi que dans la sauvegarde et l'inventaire des archives de l'immigration en France et en Europe par le biais d'activités aussi bien culturelles que scientifiques. Depuis 1992, Génériques a notamment réalisé l'Inventaire national des sources publiques et privées de l'histoire des étrangers en France de la Révolution française à nos jours, en partenariat avec le ministère de la Culture et avec l'appui de la Direction des Archives de France. L'objectif de l'exposition ? Retracer le processus d'enracinement de l'immigration depuis ses débuts - milieu du XIXe siècle - à nos jours, en mettant en avant le point de vue et les positionnements des populations concernées, de même que les itinéraires de personnalités et de personnages, sans oublier les dynamiques de conflit, de rencontre et de métissage.

Une scénographie originale. Pour ce faire, des sources étonnantes et variées ont été mobilisées : photos éblouissantes des Studios Harcourt, disques édités par la firme Pathé-Marconi, archives du ténor Mahieddine Bachtarzi, sons et images inédits de l'Ina, archives historiques de l'armée fournies. L'exposition se présente sous forme de ville-témoin, avec ses habitations et ses rues le long d'une sorte d'«avenue du temps», via des formes simples, sans exotisme, pour privilégier les contenus et mettre en valeur cette culture née de l'immigration maghrébine. Car pour le scénographe Pierre-Yves Chays, «le seul fait qu'elle soit là est déjà un événement». Une attention toute particulière est donc accordée aux supports culturels : morceaux de musiques et de chansons, extraits de discours, citations de poèmes et de récits de théâtre, affiches de films, documents audiovisuels. Sur le fond, l'exposition est structurée en six séquences suivant une progression chronologique : Fin XIXe siècle-1914 : La passion d'Abdelkader; 1914-1918 : La casquette et la chéchia; 1918-1945 : Les cheminements de la conscience, 1945-1962 : Idher-ed Waggur (Quand la lune paraît... Slimane Azem, 1955); 1962-1983 : L'exil blesse mon cœur, 1983 - .... : Cher pays de mon enfance. Selon Driss El Yazami, délégué général de Génériques, et Naïma Yahi, chargée de recherche à l'association, les points forts de l'exposition sont : «L'ancienneté de la présence maghrébine en France qui, contrairement à la perception commune, remonte au XIXe siècle», et surtout «la diversité des ressorts de l'immigration, réduite trop souvent à sa seule dimension économique. Celle-ci est évidemment centrale mais ne peut expliquer à elle seule l'ampleur des flux sur le siècle. Bien avant la sphère économique, l'institution militaire a joué un rôle déterminant dans l'enclenchement, le maintien et le renouvellement des vagues migratoires. Mais il y a eu aussi les arrivées des étudiants, des créateurs de toutes sortes, des exilés à la recherche de la liberté, etc... Il y a ensuite cette parole endogène des populations maghrébines de France qui court du tract au roman, de la pièce de théâtre à la chanson, du tableau de peinture à un film. Paroles belles et poignantes, plurielles, qui disent la révolte face à la colonisation et ses crimes, les affres de la séparation d'avec les siens, l'adhésion aux principes universels, la déception face aux promesses non tenues, la quête de la dignité et de l'égalité».1

L'historien Benjamin Stora insiste aussi sur le caractère novateur et les perspectives nouvelles qu'ouvre cette exposition : «Les études universitaires ou récits journalistiques sur l'immigration maghrébine en France ont jusqu'à présent trop souvent oscillé entre deux pôles : l'histoire sociale, avec les descriptions et analyses de l'exploitation sociale, et l'histoire politique, celle des organisations et des institutions [...]. Avec cette exposition, il est cette fois question d'une autre histoire, celle des intellectuels et artistes maghrébins vivant en France, du XIXe siècle à nos jours. [...] Le Maghrébin n'est pas simplement ce travailleur solitaire qui longeait les allées des cités ouvrières, il apporte aussi dans ses bagages des fragments de poésie ou des notes de musique du pays quitté qui, progressivement, viendront se diffuser dans la société d'accueil. [...] Dans toutes les résurgences du passé, les discours politiques servent à fabriquer des consensus lénifiants, avec une pratique mémorielle d'une trompeuse neutralité. L'exposition au contraire ouvre un champ d'investigation original dans la connaissance de l'histoire de l'immigration maghrébine [...]. Une histoire où tout affirme la nécessité d'un espace culturel et de création comme outil d'installation des familles immigrées dans la société française2».

Autour de l'expo. L'exposition offre par ailleurs un programme complémentaire très riche à travers une série de concerts (Kamel Hamadi, slam rock du groupe Harragas, hommages en musique à Ahmed Essyad et Lili Boniche), du théâtre («1962» de Mohamed Kacimi) et des événements littéraires (lecture de Kateb Yacine, festival Le Maghreb des films, table ronde sur «Les apports des auteurs maghrébins à la littérature française»).

Le cinéma n'est bien sûr pas en reste, avec la projection de plusieurs films : Avoir 20 ans dans les Aurès de René Vautier, Pépé le Moko de Julien Duvivier, Peut-être la mer de Rachid Bouchareb, Le thé au harem d'Archimède de Mehdi Charef, Mektoub de Ali Ghalem, Inland  de Tariq Teguia, Reinette l'Oranaise, le port des amours de Jacqueline Gozland et Harragas  de Merzak Alouache, en avant-première à l'occasion de l'ouverture du festival Songes d'une nuit DV.

Des conférences sont prévues sur les thèmes «Migrations et chanson française», «L'immigration coloniale est-elle singulière ?» ou encore «Abdelmalek Sayad et la sociologie française de l'immigration», ainsi que des colloques : «Chanson kabyle en France et mémoire de l'immigration (1930-1974)», «Les juifs dans les migrations maghrébines à l'époque moderne et contemporaine : spécificités, échanges et recompositions identitaires.»

Ce dernier événement se tiendra à Essaouira les 18, 19 et 20 mars en présence d'El Yazami, également président du Conseil de la communauté marocaine à l'étranger (CCME), du conseiller du roi André Azoulay et du président du Conseil consultatif des droits de l'homme Ahmed Herzenni. 3 Une belle initiative à inscrire aux agendas.

Source : Le Journal
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