lundi 25 novembre 2024 02:42

Une politique de l'immigration sévère. Mais juste?...

A ma "gauche": un pouvoir qui fonde sa politique de l'immigration sur la fermeture des frontières, le rejet et l'expulsion. En face: la force du désir d'une vie meilleure. Match inégal, mais pas toujours dans le sens que l'on croit.

 

Dans un billet de mars 2013 nous montrions comment, aux yeux du pouvoir, une politique de l'immigration "apaisée" passe par une amélioration des techniques d'expulsion du pays des personnes indésirables. La marque d'un ministre qui martèle "apaiser" en tapant sur son pupitre.

Voici deux exemples de cette rigueur de traitement requise des préfets, appliquée à Metz à une famille rom kosovare et à Rennes à une famille arménienne.

En 2009, la famille F. (le père, la mère et leurs quatre fils agés de 10 à 14 ans) a quitté le Kosovo pour demander asile à la France. Ils sont roms et le Kosovo n'est pas précisément pour eux une terre d'avenir, ni même de présent.

Le Kosovo, un petite république des Balkans, indépendante depuis 2008, reconnue par une partie seulement des autres pays, compte 1,8 millions d'habitants sur une surface de 11000 kilomètres carrés; une surface et une population équivalentes à celles, cumulées, des départements français de l'Isère et du Vaucluse. Selon le site Atlantico, le Roms y seraient actuellement moins de 40 000, alors qu'ils étaient entre 150 000 et 200 000 il y a 15 ans. Un exode si massif parle de lui-même: "Selon l'association Human Rights Watch, les Roms connaissent de grandes difficultés pour obtenir des papiers d'identité, accéder au logement, aux soins de santé, à l'emploi, à l'éducation et à la protection sociale. "Les pays européens renvoient les gens les plus vulnérables du Kosovo vers une situation de discrimination, d'exclusion, de pauvreté et de déplacement à l'intérieur de leur propre pays d'origine", déplorait alors Wanda Troszczynska-van Genderen, chercheuse sur les Balkans de l'Ouest chez Human Rights Watch. Bien souvent, les Roms vivent dans des camps tels que ceux situés à Obilic, Plementina et Mitrovica".

Donc, la famille F. arrive à Metz, où les parents déposent une demande d'asile; ils envoient leurs fils à l'école, apprennent le français, reconstruisent leur vie. Survient la décision de refus d'asile, dont ils font appel. Le préfet, bon élève, leur décoche une OQTF (Obligation de quitter le territoire) en juin 2013, sans attendre le résultat de l'appel. En novlangue, "ils ont vocation à retourner au Kosovo". De fait, une très faible proportion d'OQTF est exécutée sur le champ. On préfère laisser courir les lapins pour les piéger quand ils se déplacent, le plus souvent pour se rendre au lointain travail qu'ils ont trouvé; les trains, les gares, les péages d'autoroute sont les lieux de collecte pour alimenter les centres de rétention. C'est dans le train Thionville-Metz que monsieur F. s'est fait prendre en septembre 2013; il a été "reconduit à la frontière" du Kosovo le 8 octobre, au 25ème jour de rétention. Son épouse et ses enfants n'en parlent à personne autour d'eux, jusqu'à ce que le fils aîné, désemparé devant le désespoir de sa mère, alitée et s'alimentant à peine, alerte le RESF un mois plus tard.

La mère de famille, maintenant accompagnée et soutenue par le RESF, obtient un rendez-vous à la préfecture. On espère une régularisation sur la base de la scolarisation des garçons et des efforts d'intégration de tous - toute leur famille bénéficie d'ailleurs du statut de réfugié et vit régulièrement en France. Eh bien, pas du tout! A la préfecture, le message a été très clair: "Puisque le père est au Kosovo, il est important qu'il participe à l'éducation de ses enfants donc la famille n'a plus qu'à repartir !".

La chaîne I-Télé a retrouvé monsieur F. dans le camp au sud de Mitrovica où sont parqués 300 familles roms. Selon le président de l'association Rom de Mitrovica, "c'est pas risqué, ici. Le problème, c'est qu'il n'y a pas d'emploi, pas d'hygiène, personne ne vient ramasser les poubelles et on n'a même pas d'eau potable. Cela prouve bien qu'on nous laisse vraiment de côté". C'est en partie à cause du chômage que la plupart de ces familles vont chercher un avenir meilleur à l'étranger. Quant à monsieur F., il ne voit pas comment il pourra participer à l'éducation de ses enfants dans un tel environnement: "On a été bien accueillis en France; on nous a trouvé une maison, on recevait des aides et les enfants ont pu aller à l'école. Ici, je n'ai rien, pas de vie. Ma femme et mes enfants sont restés en France. Je ne peux pas rester ici. Je n'ai rien, j'ai tout perdu".

Le préfet espère bien se débarrasser de six personnes pour le prix d'une seule expulsion, sans même avoir à pister le reste de la famille. Une louable habileté qui a, de plus, l'avantage d'économiser les deniers de l'État!

Fuyant l'Arménie, la famille M. est arrivée en novembre 2009 en France, où vit déjà en situation régulière une partie de la famille (leur histoire est racontée en détail ici). Ayant déposé une demande d'asile à Rennes, le couple et les deux enfants obtiennent une place au CADA (centre d'accueil pour demandeurs d'asile) de Fougères (35). Les enfants sont scolarisés, les parents apprennent le français, monsieur M. obtient le droit au travail et décroche un emploi. Fin 2011, la demande d'asile est rejetée et les ennuis commencent: monsieur M. est contraint de quitter son emploi et la famille de quitter le CADA. Ils ont "vocation" à vider les lieux. La première OQTF découlant de ce refus tombe en janvier 2012.

L'OQTF est annulée par le tribunal administratif (TA). La famille obtient un répit de cinq mois sous la forme d'un récépissé (droit au séjour provisoire en attendant une décision définitive). Elle fait alors une demande de régularisation. La réponse est une deuxième OQTF, accompagnée d'une assignation à résidence à La Guerche de Bretagne, dans un logement loué par la préfecture à un particulier. Le tribunal administratif annule l'OQTF numéro 2.

Lundi 25 novembre, une militante accompagne la famille M. au guichet de la préfecture de Rennes. Elle raconte: "Malgré de longues heures d'attente dans le froid, le couple a le sourire en présentant à l'agent de la préfecture la décision du TA de Rennes annulant leur OQTF et leur assignation à résidence. Comme à son habitude, le secrétaire général s'interpose "Dites a cette famille de préparer leurs bagages, nous allons les reconduire dans leur pays". Pardon ? Il répète puis demande au responsable du service contentieux de rédiger aussitôt une troisième OQTF ! L'annonce est brutale. Madame M. est en larmes, son mari ne comprend pas. Dans la série des bonnes nouvelles, le chef de bureau ajoute "Vous êtes à la rue dès ce soir"".

Retour à La Guerche, où l'obligeant bailleur, déjà prévenu, confirme: je ne vous garde qu'une seule nuit, la préfecture ne paie plus!

"Le couple se retrouve à la rue avec ses trois enfants, dont leur dernière petite fille, née en France, est malade.

La nouvelle OQTF est accompagnée de l'obligation de signer deux fois par semaine à la gendarmerie de La Guerche. Monsieur M. s'y rend donc, il connait bien les gendarmes car il était auparavant contraint de se présenter tous les jours pour signer dans le cadre de son assignation à résidence. Il raconte ses malheurs aux gendarmes et montre la décision du TA et la nouvelle OQTF. Les gendarmes ne comprennent pas mais le rassurent, lui disent que le propriétaire n'a pas le droit de les jeter dehors comme ça, et lui conseillent de téléphoner à son avocate".

La préfecture renvoie finalement la famille dans un hôtel à Rennes. Mais "les enseignants décident alors de prendre en charge les deux aînés scolarisés, la petite dernière étant hospitalisée à Fougères, faute de place dans le centre hospitalier le plus proche. La directrice de l'école a au téléphone un représentant de la préfecture d'Ille-et-Villaine qui lui déclare que c'est fini pour la famille M. à La Guerche et: "c'est pas bien de garder les enfants".

Les parents sont hébergés à Rennes, les deux aînés sont scolarisés à La Guerche (50 km) et la petite dernière est hospitalisée à Fougères (60 km).

Force doit rester à la loi - mais quand elle trouve face à elle la volonté farouche d'une vie meilleure, ça se complique...

08 décembre 2013, Martine et Jean-Claude Vernier

Source : mediapart.fr

 

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