lundi 25 novembre 2024 12:37

Du mythe du retour à « l’obligation des allers-retours »

Mohammed MRAIZIKA Mohammed MRAIZIKA

La visite effectuée au Maroc, du 13 au 15 mai, par la Mission parlementaire d'information sur les immigrés âgés, est une excellente initiative. La démarche, basée sur l'écoute, le contact et la concertation, que cette Mission a choisie dès sa constitution pour conduire ses travaux, témoignent de la volonté de la représentation nationale française de prendre au sérieux un dossier compliqué, avec des implications humaines et des enjeux sociétaux importants.

L'audition qui s'est déroulée au siège du CCME ce 14 mai s'est d'emblée inscrite dans cet esprit. Elle s'est révélée utile et instructive tant la qualité des échanges et la sincérité des propos étaient présentes. Cette occasion unique et précieuse a permis à des acteurs associatifs de faire part aux membres de la Mission de leur point de vue, de leurs expériences et surtout de leurs recommandations.

 

Des aspects essentiels de la problématique posée ont été abordés au cours de cette audition. Sur le fond, les différents intervenants sont arrivés à la même conclusion: la situation que vivent les immigrés âgés est dramatique et indigne de notre temps et du pays de la Déclaration des Droits de l'Homme. Elle ne peut par conséquent perdurer.

Les immigrés âgés sont perçus comme des « valides invalidés par la conjoncture », des « oubliés de l'histoire » et des « laissés pour compte ». Voila des hommes discrets et travailleurs, pacifiques et contribuables, qui ont participé à l'essor économique et à la reconstruction des pays de la Rive Nord de la méditerranée, qui ont grandement contribué à la prospérité de grands groupes industriels (Renault, Peugeot, les Charbonnages de France, la SNCF, le BTP) et qui se trouvent aujourd'hui, humiliés, précarisés et abandonnés à un triste sort.

Voila donc des gens dévoués qui, à force d'abnégation et de sacrifices, ont permis, durant des décennies, à des milliers de familles et de territoires de vivre et de se développer et qui se trouvent aujourd'hui rejetés et oubliés.

Cet oubli, cette négligence et ce manque de considération, mis en exergue et dénoncés par tous les intervenants, ont fini par engendrer la méconnaissance d'un tel dossier et l'indifférence dont ils font l'objet.

Si la Marche pour l'égalité et contre le racisme de 1983, ,plus connue sous le nom de « Marche des beurs », a permis de révéler à l'opinion publique française l'étendue du malaise d'une jeunesse issue de l'immigration, discriminée et inquiète pour son avenir, dans une conjoncture politique marquée par la montée de l'extrémisme (arrivée à la tête de la municipalité de Dreux d'un représentant du front National), les luttes des immigrés âgés pour l'accès à des droits légitimes, en terme de logement, de soin, de couverture sociale, de droit à une représentation au sein de certaines instances (délégués des foyers, syndicats...),sont restées pour l'essentiel ignorées et, de ce fait, sans impact sur la décision des pouvoirs publics.

De même, force est de constater que les politiques publiques en rapport avec la question de l'immigration qui se sont succédé en France depuis 1945 et jusqu'aux lois dites « Sarkozy » de 2003, en passant par des lois plus clémentes (Lois Auroux de 1981/82 et celle de Juillet 1984 relative à la Carte de dix ans renouvelable) ou plus restrictives (1974, 1977 ou de 2007 connue sous le nom de loi Hortefeux),à force de se contredire, ont fini par instaurer un climat particulier de suspicion et de discrimination, aboutissant en fin de parcours à l'effet inverse de celui escompté : la déstabilisation prit le pas sur l'intégration des immigrés retraités âgés et leur orientation vers le droit commun.

Si les libertés individuelles et l'accès aux droits socio-économiques ont fait en France, et dans l'espace européen en général, des progrès remarquables au profit de différentes catégories sociales, notamment ouvrières, une régression caractérisée s'est opérée, dans ce même espace, au détriment des immigrés âgés, cela en totale contradiction avec les Conventions Internationales et par rapport à la Cour Européenne des droits de l'Homme.

Les participants à l'audition du 14 mai qui s'est tenue au siège du CCME à Rabat, partagent également l'inquiétude que suscite la poussée en France de véritables stratégies de harcèlement conduites par certains services administratifs en charge des affaires sociales sous différents prétextes contre les immigrés âgés. Considérer ces vieux immigrés, qui ont tant donné à l'économie française, comme des fraudeurs en puissance, n'est pas acceptable, c'est même indigne. Il n'est pas non plus tolérable de les voir devenir la cible d'inspections et de contrôles fréquents et musclés diligentés par différentes Caisses, notamment la Caisse d'Allocations familiales (la CAF).

Le motif le plus généralement évoqué par cette dernière est lié à la fameuse « obligation de résidence » et du fait même qu'une série d'allocations dépend de cette obligation de résidence sur le territoire français pendant une durée déterminée les Caisses n'hésitent plus à supprimer les allocations et les aides octroyées, même si le dépassement est de quelques jours.

Cette condition de résidence, qui génère de l'abus d'autorité, est l'une des grandes injustices faites aux immigrés âgés retraités. Cette règle est une aberration administrative. Elle est la source de toutes les difficultés administratives et sociales que vivent aujourd'hui les immigrés âgés.

Il est donc urgent de faire sauter ce verrou que constitue l'obligation de résidence et œuvrer pour la mise en place de nouvelles dispositions qui favorisent plus la liberté de circulation que la répression.

Pour beaucoup d'immigrés âgés, la page du retour aux sources, à la case de départ, n'est pas définitivement tournée. Et c'est normal. L'idée de retrouver un jour son milieu, ses racines et ses souvenirs de jeunesses et ses culturels a depuis la nuit des temps occupé l'esprit et les rêves de tout immigré quelque soit sa culture et quelques furent les raisons et les motivations à l'origine de son départ. C'est vrai qu'avec le temps et sous l'effet de facteurs divers, qui en se conjuguant se sont complexifiés, cette idée peut se révéler sous sa vraie nature; un mythe. Cependant, quoi qu'on dise, un mouvement inverse est en marche aujourd'hui. Alimenté par des besoins (psychologiques entre autres) réels, il finira par s'imposer et « l'obligation des allers-retours » deviendra indépassable.

Permettre aux immigrés âgés de circuler librement entre le pays d'accueil et le pays de résidence en sécurisant leur présence par des mesures administratives fortes (accès à la nationalité, carte de séjour sans limite de durée, portabilité des pensions et allocations et des soins), dans les deux espaces, c'est leur rendre justice, c'est respecter leur choix, c'est reconnaître leurs sacrifices, c'est tout simplement leur accorder un droit légitime, la liberté de circulation cette mère des libertés reconnue et consacrée par les Conventions internationales et les chartes des Droits de l'Homme.

Notre espoir est que de ces auditions et de ce travail fabuleux mené par la Mission parlementaire, sorte un rapport fort et audacieux à même de permettre à la représentation nationale française d'avoir une vraie idée et connaissance réelle de la situation peu enviable que vit aujourd'hui en France une frange de la population nationale, fragilisée par l'âge, précarisée et soumise à des règles restrictives et déstabilisatrices.

Nous prenons donc tous acte.

Mohammed MRAIZIKA est Président-délégué du Mouvement International des Seniors (France)

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