dimanche 24 novembre 2024 20:50

La liberté de culte en droit français - Laurent Touvet - France

mercredi, 20 mai 2009

Evoquer la liberté de culte en France, c'est faire écho au principe de la séparation du pouvoir religieux et du pouvoir civil. En Europe, quels que soient les liens que peuvent avoir, encore aujourd'hui, les pouvoirs politiques avec une religion déterminée, il n'y a jamais confusion du pouvoir politique et du pouvoir religieux.

La France a théorisé sous la IIIème République cette séparation avec le concept de la laïcité, mot difficilement traduisible, qui vient de laos, peuple en grec, et qui veut dire, dans cette acception française, liberté de conscience et neutralité. Les relations actuelles entre les autorités publiques et les représentants des cultes sont très marquées par l'histoire du pays ; elles ont parfois été conflictuelles. Mais la loi de 1905, toujours en vigueur, fait désormais l'objet d'une interprétation apaisée : la France est passée en un siècle d'une laïcité de combat à une laïcité de dialogue.

La laïcité est définie par Ernest Renan comme la neutralité de l'Etat entre les religions et par le juriste René Capitant comme une « conception politique impliquant la séparation de la société civile et de la société religieuse », ce qui souligne les liens entre laïcité et séparation. La laïcité à la française a souvent été présentée comme une exception européenne. Si la situation reste originale, elle n'est sans doute pas si différente de celle de ses voisins. La pratique des relations entre religions et puissance publique en France s'écarte sans doute moins de celle de beaucoup d'autres pays européens que les principes que proclame la laïcité française.





1/ L'affirmation de la liberté religieuse

La déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, incorporée désormais à la Constitution de 1958, pose en son article 10 le principe suivant : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi. » La liberté religieuse est donc considérée comme un aspect de la liberté d'opinion et c'est encore aujourd'hui la conception du droit français. Cette liberté, ainsi définie, a la valeur d'un principe constitutionnel, ses divers éléments constitutifs ayant été élevés par le Conseil constitutionnel au rang de principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.

Mais il n'est pas possible d'étudier la question de la liberté religieuse en France aujourd'hui sans se référer au Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966 et à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. En effet, ces traités, ratifiés par la France, sont dans la hiérarchie des normes supérieurs à la loi nationale et se placent juste au dessous de la Constitution.



L'article 18-1 du Pacte de 1966 est particulièrement développé et énonce :

« I. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté d'avoir ou d'adopter une religion ou une conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu'en privé, par le culte et par l'accomplissement des rites, les pratiques et l'enseignement.

« II. Nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d'avoir ou d'adopter une religion ou une conviction de son choix.

« III. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions, ne peut faire l'objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l'ordre, de la santé publique, de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d'autrui.

« IV. Les Etats parties au présent pacte s'engagent à respecter la liberté des parents et, le cas échéant, des tuteurs légaux, de faire assurer l'éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions. »



L'article 9 de la Convention européenne consacré à ce thème comprend deux paragraphes :

« 1.Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public et en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites.

« 2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publique, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »



En droit français, la liberté religieuse englobe la liberté de conscience et la liberté de culte. Elle est donc conforme pour l'essentiel aux normes européenne et internationale, résultant des textes ci-dessus.

La liberté de conscience, c'est le droit pour un individu d'adopter les croyances de son choix, d'en changer s'il lui plait ou de n'en avoir aucune. Elle comprend aussi le droit de conformer sa vie aux convictions qui sont les siennes et d'exprimer celles-ci publiquement et librement. Dans le for intérieur elle est absolue et sans aucune restriction. Dans le domaine des manifestations extérieures, même individuelles, elle est limitée par le respect dû aux opinions et à la liberté d'autrui.

Le Conseil constitutionnel en a fait un principe fondamental reconnu par les lois de la République, ayant donc valeur constitutionnelle (Conseil constitutionnel, décision du 23 nov. 1977). La liberté de conscience implique la neutralité de l'Etat et de ses agents, et donc comme a été pratiquée progressivement la laïcisation de toute une série de services publics et institutions sociales autrefois confiés à des institutions religieuses : l'Eglise, comme l'état civil (1791), le mariage civil (1791), l'assistance publique (1879), les cimetières (1881), l'enseignement public (1882), les pompes funèbres (1904).



Au sens strict, la liberté de culte est le droit pour une communauté de personnes partageant les mêmes croyances de s'assembler et de pratiquer librement et publiquement le culte correspondant à celles-ci. Mais elle implique aussi l'autonomie interne des cultes, c'est-à-dire le droit pour ceux-ci de s'organiser librement et de définir eux-mêmes leurs règles de vie en commun, ainsi que le droit de jouir de la personnalité juridique et de disposer d'un patrimoine et de ressources financières (article 4 de la loi de 1905). Elle comprend également la liberté de transmettre sa foi, à savoir le droit pour les parents de donner une éducation religieuse à leurs enfants et en prolongement la liberté d'enseignement, mais aussi le droit de tenter de convaincre ses contemporains des vérités de sa religion. Enfin la liberté de culte sous-entend la non-discrimination entre les religions, ce qui autorise cependant, comme l'a énoncé le Conseil constitutionnel (décision du 12 juillet 1979), « que des situations différentes puissent faire l'objet de solutions différentes ».

Le Conseil constitutionnel a élevé indirectement cette liberté au rang de principe fondamental reconnu par les lois de la République, ayant donc valeur constitutionnelle, au sein d'autres libertés publiques : liberté d'association, liberté d'opinion, liberté d'enseignement, protection et respect de la vie privée.

Mais la liberté religieuse, comme la plupart des libertés, se heurte à des limites. Celles-ci sont au nombre de deux, l'ordre public au sens large et la liberté religieuse d'autrui, comme cela est d'ailleurs rappelé au second paragraphe de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. Nous touchons là notamment au problème des sectes. Ainsi un mouvement se prétendant religieux, qui prônerait la sexualité entre adultes et enfants, ce qui est contraire à l'ordre public, ne pourrait prétendre à la protection de la liberté de culte. Par ailleurs un prosélytisme agressif ne saurait non plus profiter de cette liberté, car portant atteinte à la liberté d'autrui.

De plus en plus, la liberté religieuse tend à devenir la pierre d'angle de l'édifice des droits de l'homme et le principe fondamental du droit des cultes, en France et en Europe. Elle est mise en œuvre par la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg. Si le traité de Lisbonne est ratifié, elle s'y trouvera affirmée puisque l'Union adhèrera à la Convention européenne des droits de l'homme et en respectera les principes.





2/ En France, la liberté religieuse s'inscrit dans la loi de 1905 portant séparation des Eglises et de l'Etat.

Avec la Révolution française, les relations entre les religions, principalement la religion catholique, et l'Etat ont été bouleversées. Sous l'Ancien régime, le catholicisme était la religion de l'Etat et des Français, comme le prévoyait le concordat de 1516 avec la papauté, le clergé catholique constituait l'un des trois ordres de l'Etat, le culte réformé, autorisé par Henri IV, ayant été interdit par Louis XIV et le judaïsme ayant été plus ou moins toléré. La Révolution française, dans laquelle un nombre significatif de prêtres ont joué un rôle, voulut d'abord créer une Eglise nationale, ce qui divisa l'Eglise catholique entre prêtres fidèles à Rome et prêtres constitutionnels.

L'organisation napoléonienne des cultes introduisit, après ces troubles, une forme de paix religieuse pendant près d'un siècle. Le concordat de 1801 avec l'Eglise catholique, des décrets de 1802 avec la religion protestante et de 1808 pour la religion israélite, avec la création par l'Empereur du consistoire israélite, mirent en place une reconnaissance des religions, un contrôle de la désignation de leurs responsables et une rémunération de leurs ministres. Napoléon reconnaissait un rôle social aux religions mais voulait les tenir sous son autorité. L'islam n'était alors pas présent en France.

Déjà la loi du 1er juillet 1901, sur la liberté d'association, avait posé un principe inverse pour les congrégations religieuses, qui ne pouvaient exister sans être autorisées : elle avait suscité, de ce fait, de grandes difficultés d'application et des troubles sérieux et l'exil de nombreux religieux. La loi du 9 décembre 1905 a poursuivi cette méfiance du pouvoir à l'égard des religions en établissant la séparation des Eglises et de l'Etat ; elle fut l'une des lois fondatrices de la République. Les principes qu'elle énonce constituent le principe constitutionnel de laïcité. La Constitution française actuelle définit la France comme une « République laïque ».

La loi du 9 décembre 1905 organise toujours en France la laïcité et la séparation des religions et de l'Etat. Née dans la douleur, avec de vifs affrontements entre cléricaux et anticléricaux, cette loi n'est aujourd'hui remise en cause dans ses principes, sinon dans ses modalités, par aucune des forces politiques et des grandes religions en France. On peut noter que des motifs historiques (en raison de l'occupation de ces territoires par l'Allemagne après l'annexion de 1871) font que les trois départements d'Alsace et de Moselle sont toujours régis par les règles napoléoniennes de reconnaissance des quatre cultes qui y existaient alors.

Si la loi de 1905 se présentait d'abord comme une loi de séparation, dans un contexte d'hostilité des pouvoirs publics à l'égard des religions - et surtout de l'Eglise catholique -, cette loi doit aussi être analysée comme une loi de liberté. C'est ainsi qu'elle est actuellement appliquée.

Son article 1er dispose ainsi que « la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes, sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public ». Ce faisant, la République reconnaît la pluralité religieuse de la société française et assure le respect, sous réserve de troubles éventuels à l'ordre public, de la constitution et de l'organisation propre des différentes religions. La loi de 1905 est naturellement une loi de séparation des Eglises et de l'Etat, puisque son article 2 dispose que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » : « Lorsqu'on veut être libre, il faut savoir être pauvre » (Abbé Lemire, député, qui a voté la loi de 1905). Elle est aussi une loi qui permet d'assurer le libre exercice des cultes.



Le respect du droit interne de chaque culte, les multiples possibilités offertes pour gérer le culte en France - à travers les associations cultuelles prévues par la loi de 1905 mais aussi toutes les autres formes d'association - sont des signes tangibles du respect par les autorités publiques de la liberté d'exercice du culte. Le symbole même de l'alinéa 2 de l'article 2 de la loi de 1905 mérite, à cet égard, d'être souligné. En effet, établissant la synthèse et l'équilibre entre la liberté de conscience, le libre exercice des cultes et la séparation des Eglises et de l'Etat, la loi de 1905 autorise le financement de services d'aumôneries permettant l'exercice de la liberté religieuse pour les personnes qui peuvent être empêchées du fait de la maladie, de contraintes scolaires ou universitaires, de leur engagement sous les drapeaux ou lorsqu'ils sont privés temporairement de liberté. L'Etat organise des services d'aumônerie dans les lycées, les hôpitaux, les armées et les prisons. Les aumôniers militaires et les aumôniers pénitentiaires sont rémunérés par l'Etat ; il existe actuellement de tels aumôniers pour le culte musulman. Ce symbole très fort que je tiens à mettre en valeur renvoie directement aux textes fondateurs de notre République telle la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 dont l'article 10 établissait le principe de la liberté individuelle de conscience et de religion.

 

La pratique quotidienne de cette laïcité constitue une posture d'équilibre garantie par le contrôle du juge. Elle a permis, par exemple, de garantir la liberté de conscience des agents publics. A ainsi été posé le problème des fêtes religieuses qui ne figurent pas dans le calendrier des fêtes légales et chômées en France. Diverses circulaires ont pu régler la question sans modifier le régime général des congés, mais en demandant aux chefs de service d'accorder « aux agents qui désirent participer aux cérémonies célébrées à l'occasion des principales fêtes propres à leur confession, les autorisations d'absence nécessaires, dans la mesure toutefois où leur absence demeure compatible avec le fonctionnement normal du service ». La liberté d'expression de l'agent public, hors de son service, est entière ; en service, elle est limitée par le devoir de stricte neutralité découlant du caractère laïc et indépendant de l'Etat républicain. Le Conseil d'Etat rappelait ainsi, dans un arrêt de 1948, que « la laïcité de l'Etat commande aux agents publics une stricte neutralité, mais exclut à leur égard toute condamnation portée sur une doctrine et ceux qui la professent ».

Garantir le libre exercice du culte en France, dans le cadre des principes portés par la laïcité, c'est également permettre la création de carrés confessionnels dans les cimetières, sous réserve que les principes de neutralité des parties publiques du cimetière et de liberté de choix de la famille soient respectés, ou bien encore la pratique de l'abattage rituel afin que les personnes résidant en France, quelle que soit leur confession, citoyens français de toutes confessions trouvent à vivre leur foi librement, dans le respect de l'ordre public. Les pouvoirs publics français sont très impliqués actuellement pour défendre l'abattage rituel alors qu'un projet de règlement européen pourrait le menacer.

C'est enfin, conséquence de l'interdiction de subventionner les cultes posée par la loi de 1905, la possibilité pour les associations cultuelles ou diocésaines de recevoir des dons ou libéralités, de signer avec les communes des contrats de baux emphytéotiques pour louer des terrains où construire des édifices du culte. Ce support juridique est le plus souvent utilisé pour la construction des mosquées. Cependant, pour le moment, les baux emphytéotiques à loyer en dessous du prix du marché sont juridiquement fragiles, certaines juridictions estimant qu'il s'agit de subventions déguisées, d'autres admettant que la prise en charge par l'association des frais de construction et d'entretien du lieu de culte fait obstacle à ce que l'on considère le faible montant du bail comme caractérisant, à lui seul, une subvention interdite par la loi de 1905. Le Conseil d'Etat n'a pas encore été conduit à départager ces juridictions mais devrait être amené à le faire dans les prochains mois.

De même, les départements et communes peuvent garantir les emprunts émis pour ces constructions. Le code général des impôts (articles 200 et 238 bis) ouvre droit, pour les particuliers ou les entreprises, à une réduction d'impôt sur les dons consentis à des associations cultuelles ou assimilées.

 



Enfin, je souhaite rappeler la volonté forte des autorités françaises de se doter de mécanismes de discussion et de représentation des cultes. En témoignent la création de l'instance de dialogue avec l'Eglise catholique en 2002, comme celle du conseil français du culte musulman en 2003, présidé par M. Moussaoui ici présent, les rencontres fréquentes et fécondes avec la Fédération Protestante de France, l'Assemblée des Evêques Orthodoxes de France, le Grand rabbin de France et les instances consistoriales. En outre, le ministère de l'intérieur organise des groupes de travail permettant d'explorer les voies et les moyens de la mise en œuvre du rapport du Professeur Machelon relatif aux relations des cultes avec les pouvoirs publics (remis en 2006). Ce sont autant de signes d'une volonté « d'une laïcité qui respecte, d'une laïcité qui rassemble, d'une laïcité qui dialogue », pour reprendre les termes du Président de la République.

C'est le sens de la notion de « laïcité positive » ou de « de dialogue » prônée en France par les autorités de l'Etat et par le Président de la République.

 

 

 

Télélécharger la contribution

 

Google+ Google+