Le démantèlement de la "jungle" de Calais donne le sentiment d'un éternel recommencement. Il est significatif de l'impasse dans laquelle se trouve la politique migratoire européenne. Trois jours à peine après l'opération organisée le 22 septembre à grands renforts de communication, les associations voyaient revenir des migrants interpellés lors de l'opération : des mineurs ayant quitté les foyers d'accueil où ils avaient été placés, mais aussi des majeurs libérés par la justice après avoir été placés en rétention.
Selon la Cimade, 130 des 138 étrangers placés en rétention, ont été libérés dans la semaine qui a suivi. Et sur les huit personnes restées en détention et donc menacées d'expulsion, sept Afghans ont vu leur mesure d'éloignement suspendue le 5 octobre par la Cour européenne des droits de l'homme saisie en urgence. Le ministère de l'immigration a dû ainsi renoncer au vol groupé à destination de Kaboul qu'il avait prévu d'organiser avec les Britanniques.
Il y a sept ans, au moment de la fermeture du camp de Sangatte, en décembre 2002, Nicolas Sarkozy, se félicitait de mettre "fin à un symbole d'appel d'air de l'immigration clandestine". La fermeture de ce camp, conjuguée déjà à la promesse d'un renforcement des contrôles à la frontière, devait être porteuse d'un message clair : il n'est plus possible de passer par le Pas-de-Calais.
Il n'a pourtant pas fallu longtemps pour que le flux des migrants vers Calais reprenne. Simplement sous l'effet d'une intensification des contrôles et interpellations, leur implantation s'est étendue sur tout le littoral nord de la France jusque dans l'arrière-pays, dans les bois et talus bordant les autoroutes menant aux ports, là où stationnent des camions à bord desquels ils tentent de monter. De nombreux camps informels ont ainsi vu le jour, depuis 2003, les uns proches des villes portuaires comme à Loon-Plage ou Grande-Synthe près de Dunkerque, d'autres plus en amont, comme Teteghem, voire très en amont : à Saint-Omer, Norrent-Fontes, Angres...
Eric Besson, le ministre de l'immigration, a très vite assuré que le démantèlement de la "jungle" de Calais ne resterait pas un acte isolé. Déjà, d'autres camps ou squats ont été évacués et détruits dans la ville et ses alentours. "Bien évidemment les migrants reconstruiront des campements ailleurs", n'ignorait pas le préfet Pierre de Bousquet de Florian, la veille de l'opération. Mais, prévenait-il, "nous ne laisserons pas faire. D'autres arriveront peut-être, mais en attendant cela rendra plus difficile le travail des passeurs". Comme le redoutent les associations, cela ne fera que contraindre un peu plus les migrants à l'errance, la dispersion et l'insécurité. Or la précarisation des conditions de vie des migrants n'a jamais eu l'effet dissuasif attendu, les lendemains de la fermeture de Sangatte l'ont montré.
L'abcès de Calais témoigne avant tout de l'incapacité de l'Europe à trouver une réponse sérieuse et durable à l'afflux, aussi imprévisible qu'inévitable, de réfugiés et de migrants décidés à tout pour échapper à la misère ou aux persécutions dans leur pays d'origine. Tant que la Grande-Bretagne n'intégrera pas l'espace de libre circulation Schengen, il persistera un risque de fixation sur toute cette côte, et en particulier à Calais, port distant d'à peine 20 km de la côte anglaise. Et même si les Britanniques finissaient par intégrer l'espace Schengen, Calais cesserait certes d'être une ville aimant, mais il resterait à construire une vraie réponse collective en termes d'accueil de ces populations.
"Toute action à Calais n'aura d'efficacité que si elle s'insère dans une stratégie européenne cohérente, harmonisée et solidaire entre les Etats membres", affirmait récemment Jacques Barrot, le vice-président de la Commission européenne en charge des questions migratoires. Ces appels répétés de M. Barrot à la solidarité sonnent comme un voeu pieux tant il apparaît qu'aucun des Etats de l'UE n'est prêt à partager avec ses voisins l'une des dernières prérogatives de souveraineté nationale : l'admission des étrangers sur son territoire.
En témoignent les discussions sur la révision du règlement de Dublin, négocié au début des années 1990 et en vertu duquel le premier pays dont le sol a été foulé par le demandeur d'asile, et lui seul, est responsable de sa demande. Tout au plus les Etats membres seraient-ils prêts à convenir qu'une demande d'asile puisse être examinée dans le pays où le demandeur se trouve à condition qu'il puisse faire état de liens familiaux. Mais il n'est nullement envisagé de remettre en cause le principe de base du règlement. Les Etats membres pourront ainsi continuer à se renvoyer les migrants.
Jusqu'alors, la "solidarité" européenne ne s'est essentiellement déclinée qu'en matière de contrôle des frontières. Les chiffres du Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR) parlent d'eux-mêmes. En 1992, au sein de l'Union des douze, 680 000 demandes d'asile avaient été déposées dans les Etats membres ; en 2008, ils n'étaient plus que 220 000 à avoir franchi les frontières de l'UE des Vingt-Sept, pour une demande d'asile. Que pèsent 220 000 personnes au regard des 42 millions de déracinés dans le monde ?
Source: Le Monde