Il y a 50 ans, la Belgique signait une convention bilatérale avec le Maroc et la Turquie, pour fournir de la main d’œuvre à l’industrie lourde et du charbonnage. "Cela évoque de la nostalgie et, sans vouloir en faire trop, un devoir de mémoire", explique Ben Hamidou au micro de Matin Première. Le comédien et Fatima Zibouh, chercheuse au CEDEM, ont aussi voulu mettre à l'honneur le rôle important joué par les femmes marocaines immigrées, souvent "restées dans l'ombre".
"C’est avant tout un hommage qu’on voudrait rendre à cette première génération, qui est arrivée en Belgique et a aidé à sa construction", continue Ben Hamidou. Une génération qui est selon lui restée discrète, "qu’on n’a pas beaucoup vue et entendue", et qui n’a pas été beaucoup - voire "du tout" - été mise en valeur. "Je dis toujours que je remercie le bon dieu que mes parents aient pu traverser la mer, et d’être là dans ce plat pays qui est le mien", dit le comédien.
"Ils ont contribué à la construction de ce pays"
1964 marque aussi l’arrivée d’un oncle de Fatima Zibouh, chercheuse en sciences politiques et sociales au CEDEM (Centre d'Etudes de l'Ethnicité et des Migrations), "dans la solitude et dans un nouvel univers", dit-elle. Son grand-père, puis "toute une famille" a suivi.
Pour elle aussi, commémorer cette date est "une façon de leur rendre hommage" alors qu’"ils ont contribué à la construction de ce pays", mais doit aussi rappeler les conditions difficiles dans lesquelles cette population est arrivée en Belgique. Elle veut ainsi saisir l’occasion pour "poser une réflexion globale sur un état des lieux de ces 50 ans de présence, sur la question de l’altérité ou de la discrimination à l’embauche et sur les situations socio-économiques assez difficiles dans lesquelles ces populations se trouvent souvent, en pleine crise".
Un hommage à "ces femmes de l’ombre qui ont porté l’immigration"
Pour Ben Hamidou, c’est aussi l’occasion de rappeler "le combat des femmes", que ce soit au niveau de l’immigration ou des révolutions arabes. On les voit au-devant de ces combats, dit-il, mais "dès que les mecs arrivent au pouvoir, elles retournent à la cuisine". Il veut toutefois aborder la question de la discrimination des femmes en restant "très très optimiste": "Il reste beaucoup de choses à faire, affirme le comédien, mais contrairement à certains politiques, je pense que l’intégration n’est pas un échec".
L’image qui reste ancrée dans les têtes, 50 ans après les accords bilatéraux sur l’immigration, reste celle des hommes qui viennent travailler en Belgique, rejoints peu après par leurs familles, par les femmes. Outre ce regroupement familial, "il y a aussi des femmes qui sont venues seules", précise Fatima Zibouh en disant vouloir, elles aussi, "les mettre à l’honneur".
Prendre le temps "de savoir qui elles sont"
"On met souvent en évidence certains cadres, certains exemples de réussite en tant que femmes", dit-elle en déplorant le peu de place accordées à "ces femmes de l’ombre, mères et grand-mères qui ont porté l’immigration en subissant parfois le mépris d’une méconnaissance de la langue, ou de l’administration". Pour la chercheuse du CEDEM, "on est passé à côté de quelque chose" et cette commémoration permet aussi à des initiatives de les mettre à l’honneur. Elle cite ainsi celle du collectif "Il était une fois ma mère", qui veut souligner, au travers d'une exposition organisée mi-mai, cette véritable adaptation culturelle que les femmes marocaines immigrées en Belgique ont suivie.
Alors que l’on croise des femmes "parfois rendues totalement invisibles dans les rues de Bruxelles", "prenons le temps, dit Fatima Zibouh, de savoir qui elles sont, ce qu’elles vivent et de les féliciter pour ce qu’elles ont fait".
"J’ai appris qu’en Belgique, la femme n’a pu ouvrir un compte en banque sans l’accord de son mari qu’en 1973", explique Ben Hamidou. "C’est pas si loin, dit-il en rappelant que "c’est encore un combat de tous les jours".
"On assume très bien cette belgitude"
Les deux invités de Bertrand Henne ont aussi évoqué l'importance de la culture dans la reconnaissance de soi et de l'autre. "La Belgique est l'un des premiers pays européens a avoir reconnu l'Islam", dit Fatima Zibouh. "C'est quelque part une façon de reconnaître l'identité culturelle de ces immigrés".
"On assume très bien cette belgitude et on s'y sent surtout très bien", déclare Ben Hamidou, quand la chercheuse au CEDEM rappelle qu'"on assiste aujourd'hui à une véritable effervescence artistique" dont elle prend le comédien pour exemple. "D'ailleurs le titre de Bruxellois de l'année a été décerné à un jeune humoriste d'origine marocaine, Abdel Scène d'Up", dit-elle en évoquant "quelque chose de très fort qui se passe".
17/2/2014, G. Renier avec B. Henne
Source : rtbf.be