Si on retrouve partout la dimension anti-immigrés, chaque leader des extrêmes droites européennes adapte son discours pour attirer le maximum d'électeurs tout en évitant les contradictions avec ses fondamentaux idéologiques.
Sur ce plan, le programme économique et social du Front national est un râteau à la fois très fin et très large ; Mme Le Pen l'accompagne d'une dénonciation de l'ultralibéralisme européen. Même un chercheur peut trouver des éléments attractifs : un budget de la recherche en hausse spectaculaire, à côté d'un improbable remplacement de l'anglais par le français comme langue scientifique dominante. Même chose pour l'ouvrier, le retraité, etc.
Tous gagnants avec, en prime, un déficit public à zéro en 2017. Tout cela grâce à une mythique manne créée par la politique d'immigration, par la sortie de l'euro ou encore par une optimiste croissance de 2,8 % en 2017.
Bref, ce programme économique n'a pas vocation à être appliqué, pas plus que celui des partis frères en Europe. Mais cela ne signifie pas que l'extrême droite n'a pas vocation à participer au pouvoir. Les expériences permettent de révéler sa pratique en matière économique.
Dernière en date, la Grèce. Si le parti d'extrême droite, le Laos, s'est désolidarisé du dernier plan de rigueur imposant, notamment, une baisse du budget des armées, il avait jusqu'alors participé à un gouvernement validant privatisations ou baisse des pensions sans remise en cause des avantages des armateurs et de l'Eglise.
Au début du siècle, le parti de Haider, le FPÖ autrichien, formait une coalition avec les conservateurs. Il détenait même le portefeuille de l'économie. Karl-Heinz Grasser appliqua alors la politique la plus libérale depuis la seconde guerre mondiale.
Quand elle n'est pas directement au gouvernement, l'extrême droite peut donner un soutien extérieur à des gouvernements minoritaires. Ce fut le cas au Danemark entre 2001 et 2011. Au menu, une réforme fiscale réduisant l'impôt sur le revenu des plus aisés ou, plus récemment, la division par deux de la durée d'indemnisation du chômage et la réduction des allocations familiales.
Depuis 2010, le gouvernement néerlandais du sémillant Mark Rutte - ancien DRH du géant Unilever (Omo, Dove, Slim Fast...) - est à son tour soutenu par le Parti pour la liberté de Geert Wilders. Sous prétexte d'obtenir une restriction de l'immigration ou une loi contre la burqa, l'extrême droite en Europe au pouvoir est donc systématiquement un pilier des politiques néolibérales, et ultimement, du grand capital.
PAS DUPES
Les électeurs n'en sont pas toujours indéfiniment dupes. L'extrême droite a ainsi reculé lors des élections législatives danoises du 15 septembre 2011, permettant le retour d'un gouvernement social-démocrate.
Aux Pays-Bas, elle est en chute libre dans les sondages. Mais les électeurs oublient aussi vite, comme le montre la résurgence électorale du FPÖ en Autriche. Retour en France. Pas besoin de l'extrême droite pour cibler les immigrés, traquer la burqa ou faire craindre un retour aux années sombres de l'Europe.
Nous avons déjà des ministres de l'intérieur fort zélés. Mais dans une période où l'on peut douter de la dynamique de la droite "classique", on comprend l'intérêt croissant de plus en plus de patrons français pour la montée du Front national (FN), patrons déjà intrigués par les projets de créer des syndicats FN, potentielles prémices de syndicats verticaux.
Laurence Parisot, la présidente du Medef, l'organisation patronale, a voulu tuer dans l'oeuf cette attraction en courant, cet automne, les médias avec son ouvrage contre le programme de Marine Le Pen (Un piège bleu Marine, Calmann-Lévy, 2011).
Las, le mouvement patronal Ethic (sic) - celui qui lance chaque année la douteuse journée "J'aime ma boîte" - a fait salle comble fin janvier lorsqu'il a reçu Marine Le Pen sous des applaudissements nourris. Des images que n'ont pu voir ses électeurs.
27/2/2012, Philippe Askenazy,
Source : Le Monde
A qui sert l'extrême droite?
Publié dans Médias et migration
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