La Turquie a sommé l'UE de tenir ses engagements pris dans le cadre d'un accord controversé sur les migrants, à commencer par l'exemption de visa pour les Turcs, menaçant sinon de refermer sa porte.
"L'Union européenne a plus besoin de la Turquie que la Turquie n'a besoin de l'Union européenne", a mis en garde mardi le président turc Recep Tayyip Erdogan en référence à cet accord qui vise à dissuader les passages clandestins en Europe, confrontée à sa pire crise migratoire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Le chef du gouvernement turc Ahmet Davutoglu avait prévenu lundi soir que la Turquie ne serait plus tenue de respecter l'accord si les Européens ne tenaient pas leur promesse d'exempter les citoyens turcs de visa d'ici fin juin, l'une des contreparties promises.
Il y a un "engagement mutuel", a-t-il souligné. "Si l'Union européenne ne parvient pas à effectuer les pas nécessaires, alors personne ne peut attendre de la Turquie qu'elle effectue les pas exigés d'elle".
La Turquie s'est engagée à accepter le retour sur son sol de tous les migrants entrés illégalement en Grèce depuis le 20 mars. Le plan prévoit en outre que pour chaque réfugié syrien renvoyé en Turquie, un autre sera "réinstallé" dans un pays européen dans la limite de 72.000 places.
En contrepartie, les Européens ont accepté de relancer les discussions sur l'intégration de la Turquie à l'UE et d'accélérer le processus de libéralisation des visas pour les Turcs, mais en soulignant qu'ils ne transigeraient pas sur les critères à remplir.
En déplacement au Conseil de l'Europe à Strasbourg mardi, le Premier ministre turc a réitéré aux responsables européens la demande turque au sujet des visas.
"Il m'a rappelé cet élément de l'accord, mais il n'avait pas besoin de me le rappeler parce que j'avais déjà dit à l'Assemblée parlementaire que ce sera fait dans la mesure où la Turquie, d'ici là, aura rempli toutes les conditions", a déclaré mardi le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker.
"Nous avons conclu un accord, cet accord est appliqué. Il n'y a pas lieu de lancer des menaces à tous vents", a-t-il ajouté.
La Turquie est "très désireuse" d'obtenir cette exemption de visa, a souligné à l'AFP, Marc Pierini, analyste à la fondation Carnegie Europe et ancien ambassadeur de l'UE à Ankara, en rappelant qu'il y avait 72 conditions à remplir.
"A ce jour, ces conditions n'ont pas encore été remplies", a-t-il poursuivi, ajoutant que lorsque ce serait éventuellement le cas il faudrait encore l'approbation des ministres de l'Intérieur européens à la majorité qualifiée.
"Nous avons conclu un accord, cet accord est appliqué. Il n'y a pas lieu de lancer des menaces à tous vents", a déclaré M. Juncker.
Les déclarations du président turc intervenaient moins d'une semaine après la publication d'un rapport du Parlement européen déplorant notamment "la régression" de certaines libertés en Turquie.
"A un moment où nos relations avec l'Union européenne sont dans une phase positive en ce qui concerne les migrants, l'ouverture de certains chapitres (d'adhésion à l'UE) ou encore l'exemption des visas, sortir un rapport comme celui-ci est provocateur", a dénoncé M. Erdogan.
Trois millions de personnes sont prises en charge dans ce pays (la Turquie) pour ne pas déranger les Européens (...) Qu'y a-t-il à ce sujet dans le rapport ? Rien", a poursuivi M. Erdogan.
Le président du Conseil européen Donald Tusk, le vice-président de la Commission Frans Timmermans et la chancelière allemande Angela Merkel visiteront samedi à Gaziantep (sud de la Turquie) un camp de réfugiés, dans le cadre du suivi de cet accord.
Dans son discours mardi au Conseil de l'Europe, M. Davutoglu a affirmé que la Turquie avait déjà dépensé plus de 10 milliards de dollars pour l'accueil des réfugiés syriens et déploré que les contributions de l'étranger "ne représentent même pas 500 millions de dollars". "Le partage n'est pas équitable", a-t-il déclaré.
L'organisation Human Rights Watch (HRW) a estimé que les premiers renvois en Turquie le 4 avril avaient donné lieu à des "violations des droits" des migrants, et s'est dite inquiète de leur sort dans ce pays qui "ne peut être considéré comme sûr".
19/04/2016
Source : AFP