En vertu d’une réforme votée en 2013 instaurant une présidence tournante, ce Marocain d’origine succède à partir du 30 juin à Dalil Boubakeur, recteur de la Grande mosquée de Paris, proche de l’Algérie. Portrait.
La « culture du résultat » : c’est avec ce mot d’ordre qu’Anouar Kbibech, 53 ans, ingénieur en télécommunication chez SFR, reprend aujourd’hui les rênes du Conseil français du culte musulman (CFCM) pour deux ans. « Personne ne m’a “mis la pression”. En revanche, j’ai un vrai sentiment de responsabilité face aux immenses attentes de la communauté et aux défis qui attendent le CFCM, en particulier l’image de l’islam et des musulmans », résume le président du Rassemblement des musulmans de France (RMF, proche du Maroc), bien conscient de la nécessité d’« arrêter de se focaliser sur le fonctionnement » de l’instance représentative du culte musulman.
Pour être resté « volontairement en deuxième ligne » en raison de ses « contraintes professionnelles », Anouar Kbibech est peu connu du grand public. Ce père de trois enfants, qui vit à Chilly-Mazarin, dans l’Essonne, est pourtant un acteur engagé de longue date, à Évry d’abord, où il a participé dès les années 1980 à l’édification de la Grande mosquée.
Alors président du Conseil régional du culte musulman (CRCM) d’Ile de France Est, il a fait la connaissance de Manuel Valls, lorsque celui-ci était maire de la ville, négociant avec lui la mise en place du « premier abattoir mobile » pour la fête de l’Aïd. Aujourd’hui, c’est à Chilly-Mazarin qu’il s’investit dans la construction d’une petite « mosquée de proximité, à l’échelle de la ville », même si ses responsabilités au sein du RMF le conduisent à « circuler dans toute la France ».
Démonter l’argumentaire djihadiste
C’est dans un contexte particulièrement difficile qu’Anouar Kbibech monte aujourd’hui « en première ligne », alors que des attentats sont commis au nom de l’islam et que le CFCM est accusé d’être inaudible (1) . « Nous continuerons à condamner ces actes, en sachant qu’il faut aussi agir à côté », promet-il, après une série de conférences sur la radicalisation qui l’ont amené à formuler des recommandations pratiques. « Et ne pas être dans le déni : nous devons reconnaître que des lectures extrémistes, des interprétations erronées de certains versets peuvent expliquer cette violence. »
L’une des premières mesures qu’il proposera au bureau du CFCM sera la création d’un « conseil théologique pluraliste », capable de « démonter point par point l’argumentaire » djihadiste. Alors que, chacun pour des raisons différentes, les pouvoirs publics comme les fédérations musulmanes rechignaient jusque-là à « mutualiser » leurs références religieuses, le nouveau président du CFCM est bien décidé à avancer, tant « le contexte a changé ». « Il n’est pas question de réformer l’islam, qui est immuable, mais la pratique musulmane », prend-il soin de préciser.
Ouvrir le dialogue interreligieux
Faire entrer « les femmes et les jeunes » au sein de l’instance, ouvrir le débat avec des penseurs musulmans (« Malek Chebel », voire, à condition d’« y aller par étape », Ghaleb Bencheikh ou Rachid Benzine), mais aussi ouvrir le CFCM au dialogue interreligieux, « notamment judéo-musulman », aujourd’hui en déshérence… Le programme est ambitieux. D’autant que le président du CFCM conservera son poste de directeur en télécommunications à plein-temps : « C’est le prix de mon indépendance et de ma liberté de ton. Je suis là pour servir l’islam, pas pour me servir de l’islam », assène-t-il.
Le P. Christophe Roucou, qui achève son deuxième mandat à la tête du Service des relations avec l’islam (Sri) de la Conférence des évêques, salue, lui, « un homme vraiment engagé et depuis longtemps dans le dialogue islamo-chrétien » : « Anouar Kbibech a le souci de faire bouger les choses. Y arrivera-t-il ? C’est une autre question. »
30/6/15 , Anne-Bénédicte Hoffner
Source : La Croix