samedi 30 novembre 2024 00:45

"Ce droit, je l'attends depuis 1981"

Bocar, père de famille sénégalais, travaille en France près de quarante ans. Comme lui, d'autres immigrés du 20earrondissement de Paris ne veulent plus rester "sans voix".

Sur un coin de mur éreinté, un tract de campagne de François Hollande pour la présidentielle a été scotché avec quelques coupures de presse : la une de Diaspora News sur l'élection de Macky Sall, le président de la république du Sénégal, ou encore "le duel des programmes" de Nicolas Sarkozy et François Hollande. Ici, dans les sous-sols du foyer pour travailleurs migrants de la rue du Retrait, dans le 20e arrondissement de Paris, au milieu des anciennes machines à coudre d'un petit atelier de couture, les "sans-voix" se retrouvent chaque soir pour parler politique.

Assis derrière une des machines en métal poli, toque en cuir et écharpe nouée, Bocar soupire : "Le droit de vote, je l'attends depuis 1981. C'était déjà une promesse de François Mitterrand." Arrivé du Sénégal en 1974, il a aujourd'hui 58 ans et six enfants qui sont tous français. Pour lui, ce droit est, avant tout, une question de "reconnaissance". "Nos parents ont combattu pour la France. Ils l'ont construite. Mon oncle a creusé le Forum des Halles. Je suis en France depuis quarante ans. On travaille, on cotise, on paie nos taxes, la cantine de nos enfants… On contribue à tout mais on nous méprise. Comme si on n'existait pas."

"Pourquoi les Roumains peuvent voter et pas nous?"

Bocar est amer. Comme Diarra, 45 ans, qui ne comprend pas pourquoi la France leur refuse encore ce qu'elle a accordé aux ressortissants de l'Union européenne. "Nous étions là bien avant les Roumains. Pourquoi eux peuvent voter et pas nous? Il faut nous donner le droit de vote maintenant. On a trop attendu. On veut être intégrés. Et que les politiques arrêtent de nous instrumentaliser."

En donnant le droit de vote aux résidents communautaires, "on a institué une discrimination", insiste Roger Yoba, le représentant du Conseil de la citoyenneté des habitants extracommunautaires de la mairie du 20e ; une assemblée paritaire de 39 représentants de toutes les nationalités du quartier, africaines mais aussi asiatiques et américaines. Camerounais "pétri de la culture française et des valeurs de la République", à Paris depuis 1978, il est devenu le porte-parole des "sans-voix", prône "inclusion sociale" et "mieux vivre ensemble".

"En excluant toute une partie de la population de la vie de la cité, on est en train d'installer le communautarisme, prévient ce diplômé de la Sorbonne et de l'Institut national de l'audiovisuel. Il faut savoir si on veut des citoyens à part entière ou des citoyens entièrement à part. Pour Mohamad Gassama, adjoint à la maire (PS) du 20e, Frédérique Calandra, ce droit de vote est "une question d'égalité et même d'équité". Pour lui "l'amalgame qui est fait entre étrangers et islam est malsain et biaise le débat".

Au café social Belleville, les discussions sont animées. Haddad, 67 ans, rappelle que "ceux qui prennent le métro à 5h30 pour aller travailler, ce sont les immigrés. Quand j'entends dire qu'on vient manger le pain des Français, ça me met en colère. Au contraire : on fait le travail que les autres ne veulent pas faire, et on paie comme n'importe quel contribuable." Costume clair et regard délavé, il murmure : "Nous attendons depuis tant de temps qu'on nous permette d'exister en France. On a fini par désespérer."

Faouzia, arrivée de Tunisie en 1973, le reconnaît : "Moi, je n'irais pas voter. Cela fait quarante ans que je suis en France. On va me donner le droit de vote à 62 ans? Cela ne m'intéresse pas." Sa compatriote Khadija, 69 ans, couturière à la retraite, s'emporte : "Pourquoi tu dis ça? Bien sûr que moi j'irai voter si on me donne le droit. Pourquoi je ne pourrais pas participer un chouia? Je voudrais bien pouvoir contribuer à améliorer le quotidien dans mon quartier. Pour moi mais aussi pour les autres."

2/2/2013, Christel De Taddeo

Source : Le Journal du Dimanche

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