mardi 26 novembre 2024 12:49

"Ce n'est pas en parlant d'immigration que Sarkozy a gagné les voix du FN"

Stéphane Rozès, politologue et président de CAP (Conseils, analyses et perspectives), critique le débat annoncé sur l'islam et la laïcité, voulu par Nicolas Sarkozy. Cette initiative continue de créer des remous : ses défenseurs affirment qu'il n'a jamais été question de pointer du doigt la religion musulmane, mais de nombreuses voix se sont élevées à droite pour dénoncer les risques de dérapage, rappelant le débat sur l'identité nationale. Mais Jean-François Copé, le patron de l'UMP, ne semble pas vouloir renoncer au débat.

Au même moment, Nicolas Sarkozy fait un déplacement au Puy-en-Velay, point de départ du pélerinage à Saint-Jacques de Compostelle. Une façon d'assumer les "racines chrétiennes" de la France, précise Laurent Wauquiez, ministre et maire du Puy-en-Velay. Nicolas Sarkozy inaugure ainsi une série de déplacements placés sous le signe de "l'Histoire de France" suggérée, selon Le Figaro, par le conseiller de Nicolas Sarkozy, Patrick Buisson. Venu de l'extrême droite, ce spécialiste des études d'opinion, est vu comme l'un des inspirateurs du thème de "l'identité nationale" et du ministère du même nom. Et comme un artisan du succès de Nicolas Sarkozy auprès d'une partie des anciens électeurs de Jean-Marie Le Pen.

Pour Stéphane Rozès, ancien directeur général de l'institut d'études CSA, Nicolas Sarkozy se trompe de stratégie. Il estime que le candidat tente de renouer avec sa campagne victorieuse de 2007 mais s'il poursuit dans cette voie, il prend le risque de continuer à faire monter les intentions de vote pour Marine Le Pen.

Que pensez-vous de la stratégie de mise en avant de l'islam et de la laïcité, voulue par Nicolas Sarkozy ?

Stéphane Rozès : Elle s'inscrit dans la logique du débat sur l’identité nationale et du discours de Grenoble. Une alternative s'offre à Nicolas Sarkozy pour 2012 : soit assumer la posture du réformateur républicain, un point positif du sarkozysme pour l’opinion ; et défendre une lecture traditionnelle de la République et de la nation, comme lors de la dernière présidentielle. Soit instaurer, comme avec le débat sur l'islam, une rupture pour s'adresser directement au peuple contre les élites, la "bien pensance" et la gauche.

Cette dernière stratégie vise à reconfigurer le débat idéologique et politique en regardant à la droite de la droite. Et à construire l'idée de nation en pointant l’autre non plus au plan social, comme en 2007, mais en utilisant d'autres critères : en distinguant non plus le travailleur et l’assisté, mais le bon et mauvais français, qu’il faudrait traiter différemment en matière de délinquance selon son origine, en distiguant le bon et le mauvais musulman, en établissant un lien entre immigration et insécurité ou en parlant de "communauté" rom. Entre ces deux options, Nicolas Sarkozy n’a peut-être pas encore tranché.

Le débat sur l'islam et la laïcité profite-t-il au Front national ?

Depuis que cette orientation a été choisie, avec le discours de Grenoble notamment, les intentions de vote pour Marine Le Pen ont progressé de 10-12 % à 18-20 %. Même si ces indicateurs sont à prendre avec précaution, la dynamique est là, sans qu'objectivement quoi que ce soit ait changé dans la vie politique, à part les initiatives du président de la République visant à focaliser le débat sur ces questions.

En 2007, n'est-ce pas justement en allant sur des thèmes associés au Front national, que Nicolas Sarkozy s'est attiré des voix Le Pen ?

Mon interprétation est que lors de la dernière présidentielle, ce n'est pas en parlant d'immigration, ou de sécurité, que Nicolas Sarkozy a gagné les voix du Front national. Mais plutôt grâce à la thématique du "travail, du mérite et du pouvoir d'achat". Soit la ligne républicaine plutôt incarnée par le conseiller Henri Guaino.

Nicolas Sarkozy a récupéré un électorat insécurisé socialement et économiquement, qui votait Front national, en donnant dans son discours une place à chacun au sein de la nation au travers du travail et de leur contribution sociale. C’est en y renonçant vers fin 2007-début 2008 que le président Sarkozy se coupe de l’électorat qui se tourne vers l’abstention. Et qui rejoint aujourd’hui Marine Le Pen qui, de plus, s'est adaptée aux failles du dispositif sarkozyste.

L'approche "républicaine" de Nicolas Sarkozy répondait aux attentes ?

Oui, je le pense. Lors de la dernière présidentielle, quand je dirigeais l'institut de sondages CSA, j'ai travaillé confidentiellement, à partir d'études qualitatives, pour sept candidats différents, dont Nicolas Sarkozy.

Un an et demi avant l'élection de 2007, j'ai commencé à travailler pour son équipe, avec la conseillère Emmanuelle Mignon, sur la problématique du travail, du rapport à la nation et la mondialisation.

En mettant aujourd'hui en avant l'islam, la laïcité et l'immigration, pour s'attirer des voix du candidat du Front national, Nicolas Sarkozy se trompe-t-il de stratégie ?

Selon moi, pour Nicolas Sarkozy, pointer l'autre, l'étranger, l’immigré, le mauvais musulman ou la mauvaise pratique de la religion, désigner le futur immigrant venant de Tunisie, d'Egypte, de Libye, est perçu comme un renoncement à la question essentielle : quelle est ma place au sein de la nation?

Si on a un projet commun pour la nation et qu'on le met en place, alors on résorbe l’espace du FN. S’il s’agit d’être ethnocentriste, cela profite à Marine Le Pen. Comme disait son père, les gens préfèrent l'original à la copie. Sa fille a ajouté récemment, à propos du débat sur l'islam : "Encore un peu de bla bla et je serai à 25 %" dans les sondages.

Dans la majorité, on doit pourtant être conscient des risques d'une telle stratégie...

Oui, d’où les sorties critiques de la plupart de ses ténors. Mais on peut voir une cohérence stratégique dans cette voie nationaliste identitaire : l'intention de déporter le débat à la droite de la droite, en déplaçant le curseur des questions sociales aux questions culturelles. Les tenants de ces orientations dans l’entourage de Nicolas Sarkozy escomptent que la gauche, qui est peu au clair sur la question de la République et du multiculturalisme, se coupera des catégories populaires, se divisera et sera mise de côté.

Le risque d'un nouveau 21-avril existe donc. C’est évidemment un pari dangereux au plan des valeurs et risqué électoralement. C'est pourquoi la droite de tradition démo-chrétienne, gaulliste et libérale au plan politique, y est opposée.

3/3/2011,  Alexandre Piquard

Source : Le Monde

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