Depuis plusieurs semaines, des centaines de migrants franchissent les barbelés enserrant ces deux enclaves en territoire marocain. Madrid entretient la confusion pour justifier la répression.
En 2005 déjà, l’image de migrants pris au piège sur les frontières de barbelés des enclaves de Ceuta et Melilla, en territoire marocain, avaient choqué l’opinion publique. Pourtant, les « drames de l’immigration », comme on les présente trop banalement, se succèdent, comme à Lampedusa en octobre dernier, sans qu’aucune solution de fond ne soit apportée. Le 6 février, quinze clandestins sont morts noyés au large de la plage de Tarajal alors qu’ils tentaient de gagner Ceuta. Ce jour-là, les agents de la garde civile espagnole n’ont pas hésité à tirer des balles en caoutchouc contre les migrants pour les faire fuir.
Cette répression a soulevé un tollé en Espagne, contraignant le Parti populaire (PP) au pouvoir à rendre publiques les vidéos de ces exactions. Et une enquête a été ouverte. « Le gouvernement a été forcé de reconnaître qu’il viole ses propres lois sur les contrôles frontaliers et sur les étrangers. Cette façon d’agir est contraire aux conventions européennes que l’Espagne a signées », insiste Carlos Arce, de l’Association pour les droits humains d’Andalousie (APDH-A). Depuis, les assauts de migrants tentant de franchir la frontière se sont répétés. Vendredi dernier, plus de 200 d’entre eux ont pénétré dans Melilla. Ils étaient une centaine à faire de même, le 24 février, et près de cent cinquante, une semaine plus tôt. Hier encore, 1 600 clandestins auraient cherché à gagner Ceuta.
L’idée d’un afflux de migrants est entretenue par la presse espagnole, qui relaie complaisamment le chiffre de 30 000 hommes massés aux portes des enclaves, l’exécutif parlant de 40 000 ! Un chiffre instrumentalisé par la droite pour défendre sa politique répressive mais que réfutent pourtant bon nombre d’ONG. Pour le réseau Migreurop, ce décompte correspond au nombre de clandestins présents sur l’ensemble du territoire marocain à la suite du processus de régularisation des sans-papiers décidé par Rabat. « Ce chiffre sert d’écran de fumée pour occulter les violations de droits de l’homme. Il est irresponsable d’attirer ainsi l’attention car cela entretient le rejet social, le racisme », dénonce Estrella Galan, de la Commission espagnole d’aide aux réfugiés (CEAR). Les tentatives répétées de franchissement, ces dernières semaines, sont d’abord les conséquences de la politique d’État-tampon du royaume chérifien. « La persécution contre les populations originaires d’Afrique au sud du Sahara est intense. Les ratonnades sont courantes, précipitant ainsi les sauts des migrants », poursuit-elle.
Le bilan migratoire 2013 de la frontière sud (qui inclut les enclaves, la péninsule, les îles Canaries et Baléares) présenté par l’APDH-A réfute l’idée même de massification du phénomène migratoire. « Il convient de contextualiser la hausse du nombre de migrants arrivés en Espagne. Il s’élève, certes, à 7 550 en 2013, contre 6 855 en 2001. Mais on est loin des 15 572 clandestins enregistrés en 2008 », relativise Carlos Arce. Selon lui, la pression qui s’exerce sur les enclaves de Ceuta et Melilla (4 354 clandestins en 2013, contre 2 861 en 2012) tient à une modification des routes de l’immigration clandestine. « Les prix pour arriver en Espagne dans des embarcations de fortune ou en Zodiac sont exorbitants. Ils varient entre 1 500 et 2 000 euros, c’est inaccessible pour les migrants qui survivent de petits boulots », précise Carlos Ace. L’autre facteur est le renforcement des patrouilles en mer dans le cadre du programme européen Frontex. Démonstration est faite donc que le verrouillage des frontières de l’UE ne stoppe pas l’immigration clandestine. Il ne fait que multiplier les routes de passage. « Ceuta et Melilla illustrent l’échec des politiques migratoires de l’Europe, constate Carlos Arce. D’ailleurs, les flux migratoires se régulent d’eux-mêmes. Avec la crise économique, les immigrés sont davantage partis de l’Espagne qu’ils n’y sont entrés. »
Face aux délires d’invasion de clandestins, « il faut repenser la stratégie destinée à faire face à l’immigration irrégulière et qui se traduit par l’abandon des politiques de refuge, d’asile, de combat contre la traite des êtres humains, plaide Estrella Galan, de la CEAR. Il nous faut repenser un travail plus direct avec les pays d’origine, à l’opposé de l’actuelle politique de coopération dont le budget a diminué de 70 %. » Sauf à voir, jour après jour, la mer Méditerranée devenir un immense cimetière.
5/3/2014, Cathy Ceïbe
Source : L’Humanité