jeudi 26 décembre 2024 06:46

Comment la gauche au pouvoir a durci son discours sur l’immigration

Le gouvernement Valls va-t-il signer l’arrêt de mort d’« une gauche de posture, qui manque de maturité et qui ne raisonne pas en termes d’efficacité » sur les questions d’immigration, comme l’a souhaité récemment le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve ? Sémantiquement, en tout cas, les derniers discours du gouvernement semblent témoigner de la mue accomplie par le Parti socialiste sur les thématiques d'immigration depuis les années 1980.

1981 : le combat pour les immigrés

Le programme présidentiel de François Mitterrand en 1981 s’intéresse essentiellement aux immigrés sous l’angle des « nouveaux droits » qui leur sont promis : droit de vote des étrangers, suppression des discriminations ou droit d’association pour les travailleurs immigrés. L’époque est à l’éloge du multiculturalisme et la valorisation de la diversité, au service d’un « droit à la différence » qui rompt avec l’assimilation républicaine classique. Ces idées traduisent surtout une rupture avec les tentatives (ratées) du gouvernement Barre de renvoyer chez eux les travailleurs algériens.

Les premières mesures socialistes au pouvoir découlent de cette vision : il est procédé à des régularisations massives d’étrangers en situation irrégulière (130 000 personnes) et à un assouplissement des conditions de séjour des immigrés.

Second septennat Mitterrand : le « tournant réaliste »

La montée du Front national et la cohabitation (1986-1988) infléchissent le discours des socialistes. Le PS considère que « la gauche ne peut pas borner son message à des leçons de morale », mais conserve une position intermédiaire sur l’intégration des immigrés, qui ne doit pas être une « négation des cultures d’origine ». « Les cultures de l’immigration sont des cultures d’apport qui enrichissent en le modifiant notre propre patrimoine », estimait le Parti dans un texte en vue de la convention national de 1988.

Direct de Gauche: Pour son discours de politique générale, Manuel Valls sera attendu au tournant - 07/04

Le 7 avril, l'énorme pression qui pèse sur les épaules de Manuel Valls, le nouveau chef du gouvernement, a été commentée par Laurent Neumann, dans Direct Gauche, sur BFMTV. Il estime que Manuel Valls sera attendu au tournant par différents entités lors de son discours de politique générale. Pour Laurent Neumann: "... Il est contraint par François Hollande qui veut absolument son pacte de responsabilité, il est contraint par une majorité qui lui met un peu le couteau sous la gorge en lui disant attention vous avez entendu le vote des électeurs, il faut nous donner un petit peu de grain à moudre, il est contraint par Bruxelles..., il est contraint par les délais, par les comptes publiques...".

Michel Rocard, le nouveau locataire de Matignon, confirme que l’heure n’est plus aux régularisations massives avec sa fameuse citation : « Je pense que nous ne pouvons pas héberger toute la misère du monde, que la France doit rester ce qu’elle est : une terre d’asile politique. » Quelques jours plus tard, François Mitterrand lui-même lâche qu’un « seuil de tolérance a été franchi dans les années 1970 » en matière d’immigration, après avoir renoncé à faire voter le droit de vote des étrangers.

Au début des années 1990, alors que l’immigration fait désormais figure d’enjeu électoral majeur, la droite amorce son procès en angélisme de la gauche française par la voix de Jacques Chirac :

« Il faut que ceux qui nous gouvernent prennent conscience qu'il y a un problème de l'immigration, et que si on ne le traite pas­ [...] les choses empireront au profit de ceux qui sont les plus extrémistes. »

La nouvelle première ministre socialiste, Edith Cresson, durcit de son côté son discours. Le train de mesure annoncées pour la « maîtrise de l’immigration » se complète d’une tirade de fermeté sur les expulsions par charters des clandestins.

Années Jospin : l’aller-retour

La fin de l’ère Mitterrand marque une courte inflexion. En 1995 puis en 1997, Lionel Jospin fait campagne sur l’abrogation des lois Pasqua et Debré, qui ont durci les conditions d’entrée et de séjour des immigrés, au profit d’« une législation respectueuse du droit des gens ». Arrivé à Matignon après la dissolution de 1997, il régularise près de 80 000 sans-papiers.

Mais rapidement, un nouveau tournant intervient. Le gouvernement de gauche plurielle renonce à l’abrogation, et le ministre de l’intérieur, Jean-Pierre Chevènement, n’hésite pas à tancer à gauche « les tenants des papiers pour tous », qui « auraient tôt fait de ruiner les acquis sociaux de notre pays, tout en poussant les couches populaires vers l'extrême droite ». Il conçoit alors un système de régularisation « au cas par cas », permettant de légaliser la situation des immigrés « au fil de l’eau » plutôt que par de grandes vagues au coût politique trop élevé pour la gauche, comme le raconte Slate.fr.

Années 2000 : la normalisation

Alors qu’au ministère de l’intérieur puis à l’Elysée, Nicolas Sarkozy fait d’un discours ferme sur l’immigration, sa marque de fabrique (tout en maintenant le rythme « naturel » des régularisations, entre 20 000 et 30 000 par an), le PS se fait plus discret. En 2009, la première secrétaire, Martine Aubry, réclame bien une « régularisation large » des immigrés clandestins, mais sa voix est loin de représenter la ligne indiscutable au sein du parti, encore traumatisé par l’échec du 21 avril 2002.

Ni Ségolène Royal en 2007, ni François Hollande en 2012 ne proposent de procéder à de grandes régularisations à l’image de 1981 et 1997. Sans nier les bénéfices de l’immigration, ils tentent de se placer dans le camp du « réalisme » en proposant des réformes des critères de régularisation et des méthodes plus « humaines », sans grands bouleversements.

Patrick Weil, l’éminence grise du système Chevènement, semble donc être parvenu à ses fins : « Sortir les questions d'immigration de l'extrême politisation de ces vingt dernières années. »

Depuis 2012 : l’aggiornamento assumé ?

L’arrivée de François Hollande à l’Elysée ne fera que confirmer cette tendance. « Etre de gauche, ce n’est pas régulariser tous les sans-papiers », affirme d’emblée Manuel Valls, alors ministre de l'intérieur. Comme pour boucler la boucle avec Michel Rocard, il lâche dans une interview que « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde et de l’Europe ».

Quand une certaine gauche critique la politique du gouvernement, son successeur, Bernard Cazeneuve, dénonce le « manque de maturité » d’une « gauche de posture » qui raisonne avec des « grands principes » plutôt qu’« en termes d’efficacité ».

Manuel Valls franchit toutefois une étape le 14 mars 2013, en déclarant que « les Roms ont vocation à rester en Roumanie ou à y retourner », brisant le consensus de la gauche sur l’intégration des immigrés.

Le 31 août, à La Rochelle, celui qui est désormais premier ministre pousse plus loin l’aggiornamento socialiste : « Ayons le courage de dire que trente ans de politiques d'intégration, destinées à des populations choisies pour leurs origines, ont fait fausse route. Moi, je ne connais que les politiques de citoyenneté. » Une manière d’insister sur les principes républicains et la laïcité dans une époque marquée par « la montée des identités, des communautarismes ».

09.09.2014 Alice Maruani, Maxime Vaudano

Source : Le Monde.fr

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