dimanche 24 novembre 2024 23:30

Comment Matignon veut relancer le dossier miné de l'intégration

Après de longues semaines de tergiversations, Matignon s'est finalement décidé, jeudi 6 février, à remettre sur la table le dossier de l'intégration. Le sujet avait été enterré mi-décembre 2013 après la polémique née de la divulgation de certaines propositions des cinq rapports commandés par le premier ministre sur le sujet. Une réunion est désormais prévue, mardi 11 février, à Matignon, avec une proposition phare : la création d'un organisme public consacré à l'intégration et à la lutte contre les discriminations, rattaché au premier ministre.

« Haut commissariat, secrétariat général, délégué interministériel », son statut n'est pas encore tranché, mais il devrait l'être lors de la réunion du 11 février. « Ce sera une structure légère chargée de coordonner et d'évaluer les différentes politiques publiques d'intégration. Comme cela concerne plusieurs ministères, c'est logique que cela soit arbitré et piloté directement depuis Matignon », explique-t-on aussi rue de Varenne.

LUTTE DE PÉRIMÈTRE

Les projets de Matignon pour relancer le thème de l'intégration s'avèrent toutefois une nouvelle fois périlleux, tant le sujet est sensible sur le fond, dans l'opinion et, sur la forme, au sein du gouvernement. L'idée de M. Ayrault cache, en sous-main, une lutte de périmètre qui a tendu, ces dernières semaines, les relations entre le premier ministre et son ministre de l'intérieur, Manuel Valls. Depuis les années Sarkozy et la création du ministère de l'immigration, de l'intégration et de l'identité nationale, la Place Beauvau a seule la main sur l'ensemble des questions d'intégration.

Même si la structure voulue par M. Ayrault voit le jour, le ministère de l'intérieur devrait toutefois conserver la gestion du contrat d'accueil et d'intégration (CAI). Soit le suivi de tous les nouveaux détenteurs d'un titre de séjour, durant leurs cinq premières années en France. C'est dans ce cadre que les primo-arrivants peuvent avoir des cours de français ou se voir enseigner les « valeurs » de la République.

« Les premières années sont absolument déterminantes pour les étrangers, c'est là que le ministre de l'intérieur est légitime car il a les titres de séjour », défend-on Place Beauvau. Le CAI est à ce titre depuis longtemps jugé peu efficace au ministère, et il est prévu de le revoir. « Dans le paysage interministériel, M. Valls n'a jamais eu l'intention de traiter l'intégration seul. Aucun ministre ne le peut », souligne-t-on dans son entourage.

ÉVITER DE CRÉER UNE « COQUILLE VIDE »

Il n'y aurait pas de « front anti-Valls », au sein du gouvernement, mais un débat musclé pour une politique « cohérente » d'intégration et de lutte contre les discriminations. « La personne qui arrive en France doit s'intégrer, mais il faut aussi que la société française accepte de l'intégrer par l'accès à l'emploi, au logement, à la santé, etc. », explique un ministre qui a participé aux différentes réunions interministérielles.

Reste à connaître les moyens précis et la ligne budgétaire qui seront affectés au futur organisme voulu par Matignon. « Si la future structure ne dispose pas de l'ensemble des leviers, elle risque de devenir rapidement une coquille vide », prévient-on au sein du gouvernement.

D'autres mesures devraient être annoncées mardi. Pour les primo-arrivants, l'idée serait de parvenir à définir des méthodes pour qu'ils « maîtrisent mieux le français », qu'ils soient mieux « accompagnés pour accéder au droit commun » et qu'une réflexion soit engagée sur la façon dont on leur « transmet le socle républicain », confie-t-on chez M. Ayrault. Pour les immigrés de deuxième génération, Matignon souhaiterait que soient mises en avant des mesures destinées à favoriser « l'égalité ». Une attention particulière pourrait notamment être portée sur les recrutements dans la fonction publique.

L'ABOUTISSEMENT D'UN LONG SERPENT DE MER

Sur ce sujet sensible qu'est l'intégration, Matignon assure vouloir dans tous les cas délivrer « deux messages ». L'un en direction de « l'ensemble des Français à qui l'ont montre surtout les échecs » de l'intégration. « Il faut leur dire que le gouvernement va traiter à la racine le problème », explique-t-on chez M. Ayrault. Le second message doit aller « vers tous ceux qui expriment un sentiment de discrimination ». Tout un discours devrait être bâti, mardi, autour du thème de « l'égalité ».

Cette réunion est en tout cas l'aboutissement d'un long serpent de mer pour le gouvernement. L'exécutif avait, dès 2012, commandé un rapport sur l'intégration à un conseiller d'Etat, Thierry Tuot. Celui-ci devait normalement servir de guide à l'amélioration de la politique d'intégration. Mais ce rapport, remis en février et intitulé « La grande nation, pour une société inclusive », avait été enterré aussi vite qu'il avait été rédigé. Fourmillant de propositions aussi disparates que celles des derniers groupes de travail, il n'avait pas été jugé à la hauteur des enjeux.

Davantage d’échec scolaire pour les enfants d’immigrés

Les données chiffrées mesurant l’intégration des immigrés et de leurs enfants sont rares en France, du fait de l’interdiction des statistiques ethniques. En 2008 et 2009, l’Institut national d’études démographiques (INED) a toutefois pu mener, de façon exceptionnelle, une vaste enquête sur la base de quotas ethniques.

Cette enquête, appelée TeO, a permis de dresser un premier portrait des quelque 5,5 millions d’immigrés en France.

TeO a ainsi permis de mettre en exergue, par exemple, que les descendants d’immigrés étaient 13 % à sortir de l’école sans diplôme contre 8 % pour l’ensemble des Français.

A l’inverse, l’enquête a permis de montrer que les descendants d’immigrés originaires d’Asie du Sud-Est réussissaient mieux que la moyenne des Français.

A l’issue du collège, 61 % d’entre eux étaient orientés dans des filières générales, contre 44 % seulement pour l’ensemble de la population hexagonale.

076.02.2014, Bastien Bonnefous, Elise Vincent et David Revault d'Allonnes

Source : LE MONDE

 

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