mercredi 27 novembre 2024 21:48

De Paris à Berlin : l’accueil des migrants en 9 points

Le 8 octobre, Angela Merkel et François Hollande plaidaient devant le Parlement européen pour un accueil des migrants solidaire et unifié. Depuis, la situation s’est peu améliorée : les pays des Balkans sont débordés, la Slovénie et l’Autriche menacent de construire une barrière anti-migrants, la politique d’accueil d’Angela Merkel est critiquée et l’exemple de Calais offre une image déplorable de la France à l’étranger.

Un mini-sommet à Bruxelles a listé 17 mesures pour endiguer la crise des migrants. Mais comment l’accueil des réfugiés est-il géré concrètement ? Comment les nouveaux arrivants sont-ils pris en charge ? Si la France et l’Allemagne affichent une volonté commune pour mieux les accueillir, la mise en pratique varie d’un pays à l’autre. Réponses croisées aux questions que pose l’accueil des réfugiés.

 1. D'où viennent les réfugiés ?

Selon Eurostat, un tiers des demandes d’asile déposées depuis début 2015, dans au moins un des pays membres de l’UE, vient de Syrie ou d’Afghanistan. Mais l’origine des migrants varie selon le pays d’accueil. En France, les principales demandes au cours des deux premiers trimestres de 2015 viennent du Soudan (avec un triplement de la demande par rapport à 2014) du Kosovo, et de la République démocratique du Congo (en baisse pour la première fois depuis plusieurs années). Sur la même période, l’Allemagne a enregistré de son côté plus de 150 000 demandes, soit 38% des dossiers déposés en Europe. Les migrants viennent essentiellement d’Albanie, du Kosovo, mais surtout de Syrie : en septembre, la moitié des demandeurs d'asile en Allemagne étaient syriens.

2. Qui peut obtenir le statut de réfugié ?

On a souvent tendance à confondre les termes "migrant", "réfugié" et "demandeur d’asile". Selon la définition de l’Onu, un migrant est une personne qui vit dans un autre pays que le sien pour une durée supérieure à un an, quelles qu’en soient les raisons. Le réfugié quant à lui est défini par la Convention de Genève de 1951 comme une personne forcée de fuir son pays à cause des risques de persécutions du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de ses opinions politiques. Il est d’abord demandeur d’asile, le temps que sa situation soit étudiée par l’État qui le reçoit. Ainsi, une personne fuyant la guerre, la famine, les violences ethniques ou une catastrophe naturelle n’obtient pas le statut de réfugié pour autant.

En Allemagne, environ un tiers des demandes sont refusées, parce que le migrant a déjà été enregistré dans un autre pays, en vertu de l’accord Dublin II qui s’applique aux États membres, ou bien parce qu’il ne parvient pas à prouver qu’il fait l’objet d’une menace personnelle dans son pays. La décision est prise par l’Office fédéral des migrations et des réfugiés (BAMF) selon les informations recueillies lors d’une audition orale effectuée dans la structure d’accueil. Si sa demande est acceptée, il obtient le statut de réfugié avec un permis de résidence de trois ans, ou bien une protection subsidiaire d'un an. Sinon, il a l’obligation de quitter le territoire. 

En France, c’est l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) qui évalue les demandes. Si elles sont acceptées, la personne obtient également le statut de réfugié et une carte de résidence valable dix ans. Dans le cas contraire, elle peut tout de même bénéficier comme en Allemagne, d’une protection subsidiaire avec une carte de séjour temporaire valable an renouvelable. Chaque année, très peu de demandes sont validées. En 2014, sur les 62 735 demandes d’asile reçues, l’Ofpra n’en a accordé que 20 640, soit une sur trois.

3. Quels sont les pays dits sûrs ?

Depuis la directive européenne de 2005 concernant les procédures d’octroi du statut de réfugié dans les États membres, la France a mis en place une liste de 16 “pays sûrs”, dans lesquels vivre ne représente aucune menace vitale. Cela permet de traîter -et rejeter- plus rapidement les demandes d’asile émanant des ressortissants de ces pays : Arménie, Bénin, Ghana, Inde, Sénégal, Serbie et depuis peu Kosovo. Chaque État européen a établi sa propre liste. Si l’Irlande comptabilise un seul pays, le Royaume-Uni en compte 26. En Allemagne, cette liste comprend depuis un an tous les Etats membres de l’UE, auxquels s'ajoutent la Serbie, la Macédoine et la Bosnie Herzegovine. Le 24 octobre, l’Albanie, le Kosovo et le Monténégro ont été ajoutés. 

Ces différentes interprétations dépendent de la situation du pays mais aussi des relations diplomatiques et commerciales que chaque État entretient à l’étranger. La députée européenne Rachida Dati a appelé le Parlement européen à établir une liste de "pays sûrs", commune aux 28. Cela permettrait selon elle de clarifier la politique migratoire de l’UE mais aussi de distinguer les réfugiés des migrants économiques, “n’ayant pas besoin d’être protégés dans leur pays d’origine”.

4. Combien de réfugiés sont accueillis ?

Selon Eurostat, près de 400 000 personnes ont déposé une demande d’asile dans l’un des pays de l’UE, au cours des deux premiers trimestres de l’année. Ce chiffre grossit avec l’arrivée quotidienne de dizaines de milliers de migrants par la route des Balkans ou la mer Méditerranée. La France, qui ne comptabilise que 6% des demandes, se place loin derrière l’Allemagne, qui a enregistré de son côté plus de 150 000 demandes (soit 38% des dossiers déposés en Europe), mais aussi derrière la Suède et l’Italie. Sollicitée par la Commission européenne, qui demande une meilleure répartition entre les pays, la France s’est engagée à accueillir 24 000 réfugiés avant 2017, soit un réfugié pour 2625 habitants. En septembre, les premiers d’entre eux sont arrivés en provenance d’Allemagne. Ils ont été acheminés dans des centres d’accueil en Seine-et-Marne, dans le Val-d’Oise ou dans les Yvelines.

5. Où les réfugiés sont-ils accueillis ?

Pour mieux comprendre

On a souvent l’image des camps de fortune où les migrants s’entassent dans des conditions effroyables, redoutant une descente aléatoire de police pour les reloger dans des centres d'accueils surchargés. C’est le cas à Calais, où plus de 6000 réfugiés venus du Soudan, d’Erythrée, d’Afghanistan ou de Syrie campent sous des tentes qui s’étendent à perte de vue. Ils vivent dans des conditions très difficiles, endurant la boue, la crasse, l’épidémie de gale, les viols de femmes ou le froid. 

À Paris, le dernier grand campement de migrants a été évacué en septembre. Plus de 700 migrants ont été acheminés vers des centres d’hébergement en attendant que leurs dossiers soient étudiés. Certains d’entre eux ont pu déposer une demande d’asile auprès de la préfecture de police du lieu où ils vivent, ou sont pris en charge par une association. Si leurs demandes sont prises en compte, ils peuvent bénéficier d’une place dans un Centre d'accueil pour demandeurs d'asile (Cada), pendant toute la durée d'examen de leurs demandes. Mais les places sont rares et les centres rapidement surchargés. “Seulement un tiers des demandeurs d’asile ont accès à l’une des 25 000 places disponibles en Cada, comme le prévoit pourtant la loi”, rappelle dans un article du Monde la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (Fnars), qui estime à 20 000 le nombre de places supplémentaires nécessaires.

La répartition des migrants est mieux gérée en Allemagne. Elle s’effectue à la frontière ou dans les centres d’accueil dits “de premier secours”, en fonction de quotas définis pour chaque Land. C’est ici que les demandes d’asile sont prises en compte et que les migrants expliquent leur cas. Ils sont ensuite acheminés vers d’autres structures d’accueil en fonction de leur situation. Mais comme la France, l’Allemagne manque de places. Une réforme votée fin octobre prévoit la création de 20 000 places supplémentaires et doit permettre aux Länder de gérer eux-mêmes la construction de nouveaux centres. 

 6. Combien de temps dure la procédure de demande d'asile ?

Selon la Cimade, il faut compter dix-huit mois pour que la demande d’asile soit prise en compte et que la personne bénéficie -ou non- du statut de réfugié. La procédure française est l’une des plus longues de l’Union : elle ne dure qu’un an au Royaume-Uni, dix mois environ en Suède et cinq mois en Allemagne. C’est aussi l’une des procédures les plus complexes. Pour obtenir le précieux sésame, le demandeur d’asile doit effectuer un véritable parcours du combattant. Il doit s’inscrire auprès d’une association, pour déclarer une "adresse de domiciliation”, lui permettant d’obtenir auprès de la préfecture de police une autorisation provisoire de séjour. Ce premier élément lui permet de bénéficier des allocations sociales mais pas de travailler, contrairement au modèle allemand.

18mois

C'est le délai moyen en France pour étudier une demande. En Allemagne, il ne dure que 5 mois.

 Le demandeur remplit aussi un formulaire de demande d’asile, à renvoyer à l’Ofpra. Dans la majorité des cas, l’établissement public prolonge le séjour de six mois en attendant la tenue d’un entretien dans lequel le demandeur doit exposer les motifs de sa demande. En cas de refus, le réfugié peut encore former un recours devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Il est reconduit à la frontière ou dans un centre de rétention si aucune de ses démarches n’aboutit. En 2014, sur les 64 811 demandes d'asiles déposées en France, 50 222 ont été rejetées. Une réforme prévoit de raccourcir la procédure, comme en Allemagne, où une loi adoptée fin octobre diminue le temps d’attente, en tenant compte notamment du pays d’origine : les demandes émanant du Kosovo doivent être traitées en deux semaines puisque le pays figure sur la liste des endroits sûrs. A l’inverse, les migrants syriens ou irakiens peuvent recevoir l’asile en quelques jours. 

 7. Qui finance l'accueil ?

Le "plan migrants", adopté en juin dernier par le gouvernement, chiffre l’accueil des migrants à 70 millions d’euros. Sont inclues dans les dépenses les aides versées aux réfugiés qui ont déposé leurs demandes d’asile, variant selon le centre d’accueil, les ressources du demandeur et la composition du foyer familial. S’ils ne sont pas accueillis dans un centre d’hébergement, les réfugiés perçoivent 340,50 euros par mois ou entre  91 et 718 euros par mois, s’ils sont hébergés. A cela s’ajoute la couverture maladie universelle dont chaque demandeur d’asile bénéficie et la scolarisation des enfants.

En Allemagne, ce sont les communes qui gèrent les dépenses liées aux structures d’accueil. Le financement est versé par les Länder. Il est ensuite réparti selon les besoins. Face à l’afflux massif de ces derniers mois, beaucoup de villes se retrouvent en manque d’argent. Dès son enregistrement, chaque demandeur d’asile reçoit une enveloppe mensuelle de 670 euros pendant toute la procédure. La nouvelle loi du 24 octobre prévoit que le financement soit confié à la charge de Berlin mais aussi que l’argent puisse être versé en nature, sous forme de ticket restaurant par exemple. 

 8. Comment réagit la population ?

Selon un sondage effectué fin octobre par l’Institut français d’opinion publique (Ifop) dans sept pays européens – France, Pays-Bas, Allemagne, Grande-Bretagne, Italie, Espagne et Danemark – la France est plus frileuse que ses voisins européens à l’idée d’accueillir des réfugiés. Seuls 46 % des Français sont favorables à l’idée, contre 79 % des Allemands et 77 % des Italiens. Parmi les principales inquiétudes : 69% des Français pensent que “parmi les migrants qui arrivent actuellement en Europe se trouvent des terroristes potentiels”. Une inquiétude partagée par les autres pays européens : 64% en Allemagne, 85% aux Pays-Bas. 

Après les manifestations de bienvenue et la mobilisation des bénévoles cet été, l’image de l’Allemagne s’est ternie. Les marches de protestation organisées par Pegida à Dresde et à Leipzig gagnent de l’ampleur. La politique d’accueil d’Angela Merkel est impopulaire jusqu’au sein de son propre parti. Selon un sondage effectué en octobre par "Focus online", un allemand sur trois  est si mécontent de la politique de la chancelière fédérale qu'il souhaite sa démission. Principale cause : la peur générée par l’arrivée massive : selon un sondage réalisé par la première chaîne de télévision allemande en octobre, 51% des Allemands redoutent l’accueil des migrants. Ils n’étaient que 38% en septembre. 

9. Que prévoit la nouvelle loi d’asile ?

Le 23 octobre, le Bundestag allemand a adopté une nouvelle loi concernant la procédure d’asile. Entrée en vigueur dès le lendemain, elle permet une procédure plus rapide avec des retours vers le pays d’origine facilités. En contrepartie les migrants ont une protection renforcée lors de leurs démarches et les communes reçoivent davantage de soutien financier et bénéficient d’une plus grande autonomie pour gérer les centres d’accueil. La loi prévoit également une intégration plus rapide du migrant sur le marché du travail. Chaque demandeur reçoit de Berlin 670 euros par mois. 

 9mois

C'est la nouvelle durée de procédure prévue par la réforme du droit d'asile.

 En France, la procédure a été simplifiée cet été. Après sept mois de débats, la réforme du droit d’asile a été promulguée le 29 juillet dernier. L’objectif : parvenir à un examen plus rapide des demandes d’asile, en ramenant le délai moyen à 9 mois. Pour éviter les concentrations territoriales, le texte prévoit des directives strictes de répartition des migrants dans les centres d'accueil, qui seront contraints d’accepter la place qui leur sera attribuée pour percevoir une allocation. Par ailleurs, l'accès au marché du travail et à la formation professionnelle devrait être automatiquement être autorisé au bout de neuf mois.

30 octobre 2015, Jonas Dunkel, Marion Roussey

Source: Arte

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