La Cour suprême des Etats-Unis vient de porter un nouveau coup à la discrimination positive en confirmant, mardi 22 avril, l'interdiction décrétée en 2006 par l'Etat du Michigan d'utiliser l'appartenance à une minorité comme critère d'admission dans l'enseignement supérieur public. A une large majorité – six juges contre deux, le neuvième s'étant récusé – la plus haute juridiction du pays a estimé que la loi du Michigan était conforme à la Constitution des Etats-Unis.
Dans une première décision datant de 2003, la Cour suprême avait confirmé que la race pouvait être utilisée comme un facteur parmi d'autres pour favoriser la diversité. Mais en 2006, en réponse à cette décision, et sous la pression des opposants à la discrimination positive, l'Etat fédéré avait modifié sa propre Constitution par référendum.
Cette consultation, qui avait recueilli 58% d'approbation, avait interdit la discrimination ou les traitements préférentiels dans le secteur public « en fonction de la race, du sexe, de la couleur de peau, de l'ethnie ou de l'origine ». Cet amendement concernant aussi bien les universités et les écoles publiques, que le recrutement pour des emplois publics.
« RANCŒUR »
Mais des associations favorables à la discrimination positive avaient attaqué à leur tour cette décision devant la cour d'appel de Cincinnati (compétente pour les Etats du Michigan, du Kentucky, de l'Ohio et du Tennessee). Celle-ci, à une très courte majorité (8 votes contre 7), avait estimé en 2012 que la loi du Michigan allait à l'encontre du quatorzième amendement de la Constitution américaine sur la « clause de protection égale », instaurant l'égalité des citoyens devant la loi.
La Cour suprême en a donc décidé autrement, estimant que les électeurs avaient parfaitement le droit de changer leur Constitution pour interdire à leurs universités une telle discrimination en faveur des minorités. Dans cette affaire, la question« n'est pas de savoir si le débat sur les préférences raciales doit être résolu. Il s'agit de savoir qui doit le résoudre », a souligné le juge Anthony Kennedy, qui a voté avec la majorité de la Cour suprême. Celui-ci a reconnu que « le débat sur des questions sensibles comme les préférences raciales est trop souvent entaché de rancœur », mais il estime que cela ne justifiait pas d'amputer certaines prérogatives aux électeurs. « La démocratie ne part pas du postulat que certains sujets sont soit trop conflictuels soit trop profonds pour faire l'objet d'un débat public », a-t-il ajouté.
Le ministre de la justice du Michigan, Bill Schuette, s'est félicité de la décision :« La Constitution de notre Etat requiert une égalité de traitement pour l'admission à l'université, parce qu'il est fondamentalement injuste de traiter les gens différemment selon la couleur de leur peau. Une majorité des électeurs du Michigan ont adopté en 2006 l'idéal de l'égalité de traitement, et aujourd'hui, leur décision est confirmée ». Parmi les deux opposants à cette décision qui a nécessité cinq mois de délibérations, les juges Ruth Bader Ginsburg et Sonia Sotomayor. Cette dernière, d'origine portoricaine, a elle-même bénéficié de discrimination positive pour intégrer la prestigieuse université de Princeton (New Jersey).
« BARRIÈRES SÉLECTIVES »
A l'issue de la décision, elle a déclaré que celle-ci bafouait les droits des minorités, même si l'amendement a été adopté démocratiquement par l'Etat du Michigan.« Mais sans contrôle, une législation approuvée démocratiquement peut opprimerles minorités », a-t-elle regretté, soulignant que cela conduise à un système de décision politique à deux vitesses. « La Constitution ne protège pas les minorités raciales des défaites politiques, estime-t-elle, mais cela ne doit pas donner le champ libre à la majorité pour ériger des barrières sélectives contre les minorités raciales ».
Le concept de discrimination positive est né de la lutte pour les droits civiques dans les années 1960. Toutefois, les quotas ethniques furent remis en cause dès 1978 par une décision de la Cour suprême, l'arrêt Bakke, qui enjoignait les universités à promouvoir la diversité, mais sans la chiffrer de façon formelle. Depuis, huit Etats ont interdit la discrimination positive pour les procédures d'admission universitaires. C'est le cas du Texas (depuis 1997), de la Californie (1998) ou de la Floride (2001). Depuis, les établissements les plus sélectifs de ces Etats ont connu une chute sensible du nombre d'étudiant noirs et hispaniques. A l'université de Michigan Ann Arbor, le nombre de Noirs a baissé de 33% depuis 2006, alors que les inscriptions augmentaient de 10%. « Les chiffres ne mentent pas », conclut Sonia Sotomayor.
23.04.2014
Source : Le Monde