samedi 30 novembre 2024 08:24

En Belgique, les musulmans redoutent la libération de la parole islamophobe

Un médecin bruxellois qui refuse de soigner des "barbus et des femmes voilées" (Sic), des parlementaires qui veulent interdire le voile au volant, car il est, pour eux, un danger pour la sécurité routière!, des appels à manifester contre "l'islamisation de l'Europe", des commentaires islamophobes sur les réseaux sociaux, qui franchissent aisément toutes les lignes. En Belgique, les langues semblent se délier chaque jour un peu plus, la parole islamophobe devenant de plus en plus libre.

Au lendemain des attentats de Paris, que la communauté musulmane en Europe a été parmi les premiers à condamner, des vastes opérations antiterroristes menées dans toute la Belgique, les musulmans ne cachent pas leurs craintes de se voir pris à partie, de devenir encore plus la cible de personnes qui font systématiquement l'amalgame entre religion et extrémisme, en crachant à tout bout de champ leur venin raciste.

A Bruxelles, à Namur, à Anvers et partout en Belgique, les Belges de confession musulmane vous diraient qu'ils redoutent que le temps ne devienne encore plus grave : Un regard violent, une poigné de main froide et moite, des préjugés de plus en plus manifestes, des voisins distants, des collègues de travail peu lucides, ou encore plus de difficultés sur le marché de l'emploi. Ils craignent que les mécanismes de la peur de l'autre se mettent en marche, que les médias de masse viennent nourrir les amalgames, que le vivre-ensemble en sort fragilisé.

Des sentiments, mais surtout des constats, que corroborent nombre d'associations de lutte contre le racisme et l'islamophobie au sein de la société belge. Il faut dire que, d'après leur expérience, la problématique n'est pas nouvelle, bien qu'elle refait surface à chaque contexte particulier.

Dans un rapport sur l'islamophobie en Belgique, l'association Muslims' Rights Belgium en fait le constat. Bien amer, faut-il le rappeler. L'association dénonce une image parfois "très négative" véhiculée dans l'actualité médiatique, basée sur des faits isolés et non représentatifs des dynamiques sociales au sein des communautés musulmanes, un climat de méfiance mutuelle directement lié à une méconnaissance des musulmans, des discours populistes portés par des élus ou leaders d'opinion, ou encore des discriminations structurantes dans les secteurs de l'enseignement, de l'emploi, du logement et des loisirs.

Et les choses ne semblent guère s'améliorer. Sur sa page facebook, le collectif contre l'islamophobie en Belgique offre une tribune de dénonciation des actes d'islamophobie, mais aussi une plate-forme de débat sur la problématique entre musulmans et non-musulmans, entre personnes qui n'ont pas toujours le même point de vue.

Chaque jour alors apporte son lot de dénonciations, de discriminations, d'actes de rejet ou de violences verbales ou psychologiques. Des témoignages bien utiles pour que la partie émergée de l'iceberg soit de plus en plus visible. Car, selon des sondages effectués par des associations actives dans ce domaine, la gravité de l'islamophobie est bien sous-estimée : Moins de deux personnes sur 10 ont entrepris des démarches après avoir été discriminées. Les raisons : Près de la moitié des victimes dit ne pas connaître leurs droits ni savoir à qui s'adresser. Pire encore, trois discriminés sur 10 pensent que la justice ne leur donnera pas raison et près de deux témoins sur 10 estiment ne pas avoir de preuves suffisantes.

Au niveau institutionnel, les représentants de l'Islam en Belgique se veulent clairs. Pour l'Exécutif des musulmans de Belgique, "la religion musulmane a toute sa place dans le paysage belge, à côté des autres cultes reconnus, et les musulmans sont des citoyens à part entière, avec leur identité qui s'inscrit parfaitement dans le pluralisme des convictions et philosophies et qui constitue un affluent de l'identité multiple de la Belgique".

Il importe dès lors de ne pas "commettre d'amalgame entre une poignée de fanatiques qui se revendiquent prétendument de l'Islam et l'immense majorité des citoyens belges de confession musulmane, qui partagent le même souci que tous leurs concitoyens de vivre dans la sérénité et la paix".
En tout cas, toutes les sensibilités de la société s'accordent sur au moins une chose : le vivre-ensemble qui, même s'il semble aujourd'hui menacé par la haine, l'ignorance et la bêtise, doit rester le socle qui doit supporter l'ensemble de la société, dans sa diversité et sa différence.

Pour les acteurs du terrain, toutes les bonnes paroles du monde ne suffiraient pas pour changer la donne si elles ne sont pas suivies d'actes. Rien ne pourra être fait sans questionnement du rôle de l'école, déconstruction des stéréotypes, dénonciation des discours haineux ou encore sans application rigoureuse des lois anti-discrimination.

Et si finalement tout commençait par le dialogue ! L'orientaliste et sociologue Ikram Ben-Aissa, de l'Université libre de Bruxelles, le résume parfaitement : "Expliquez mon foulard sur la tête ? Cela ne me dérange pas. Venez seulement discuter avec moi. Je ne demande que cela. Discutons, mais ne mélangeons pas tout. Tout d'abord, il va falloir nous regarder d'égal à égal, et surtout avec respect"

28 janv. 2015,Morad Khanchouli

Source : MAP

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