Signe extérieur de discorde sur la gestion migratoire, le rétablissement des contrôles aux frontières dans l’espace Schengen met en péril la libre circulation des personnes.
Le 11 novembre 2016, le Conseil européen a accordé la possibilité de rétablir la police aux frontières aux points d’entrées sur leur territoire à cinq pays de l’UE pour au moins trois mois. / Harald Tittel/AP
On pensait le phénomène provisoire. Mais la résurgence des contrôles aux frontières dans l’espace Schengen, survenue il y a un an et demi, est une affaire qui dure. Le 11 novembre, le Conseil européen a accordé la possibilité de rétablir la police aux frontières aux points d’entrées sur leur territoire à cinq pays de l’UE pour au moins trois mois.
Parmi eux, l’Allemagne, marquée par l’accueil sur son sol de plus d’un million de réfugiés l’an dernier. Le Danemark et la Suède verrouillent l’accès scandinave, par les ports et le pont d’Öresund. La Norvège suit le mouvement. L’Autriche, qui fait rempart à la route des Balkans. S’ajoute la France, traumatisée par la menace terroriste et soucieuse de contenir le flux africain qui arrive par l’Italie.
Les accords de Schengen prévoient le rétablissement des contrôles en cas d’atteinte à l’ordre public ou à la sécurité nationale, pour des durées allant de trente jours à six mois, voire deux ans au cas où un État ne parviendrait plus à maîtriser ses frontières.
Une chute conséquente des recettes touristiques
Néanmoins, la tentation d’ériger des obstacles à la libre circulation en Europe, très présente parmi les populistes et souverainistes, a un prix. Selon France stratégies, la chute des recettes touristiques que cela entraînerait, en plus du ralentissement des mobilités transfrontalières, des échanges commerciaux, sans compter le coût du rétablissement des douanes physiques, équivaudrait à une perte sèche de 13 milliards d’euros par an pour la France. Au niveau européen, la facture exploserait à 100 milliards d’euros, soit une somme proche du budget de l’UE.
La gestion commune des migrations arrive donc de nouveau en tête des sujets à l’ordre du jour du Conseil européen de demain. Au menu, les chefs d’État examineront les moyens de limiter les arrivées dans l’espace Schengen, mais doivent aussi se mettre d’accord sur des « principes de responsabilité et de solidarité », en cas d’afflux massif.
« Je ne m’attends pas à une déclaration forte car toutes les mesures consensuelles ont déjà été prises », regrette Yves Pascouau, chercheur associé à l’Institut Jacques-Delors, spécialiste des migrations.
La sécurisation des frontières en bordure extérieure de l’espace Schengen a été renforcée, avec un triplement du budget de l’agence européenne Frontex en deux ans (320 millions d’euros en 2017).
Lutter contre les causes d’immigrations régulières
Depuis le 7 décembre, une réserve de 1 500 agents est prête à intervenir en urgence, s’ajoutant aux 1 200 personnels déjà déployés aux portes de Schengen. « Pas besoin d’être grand clerc pour deviner que ça ne suffira pas à rendre les frontières hermétiques », commente néanmoins Pierre Berthelet, spécialiste de la sécurité européenne à l’Université de Pau.
Pour compléter ce dispositif, l’UE compte sur l’externalisation de la gestion migratoire, conformément à ce qui a été décidé au sommet de la Valette en novembre 2015. Elle a signé dimanche dernier à Bamako un premier accord visant à lutter contre « les causes profondes d’immigration irrégulières » et à « favoriser le retour de migrants maliens », en échange d’une coopération économique et financière renforcée. D’autres négociations sont en cours avec l’Éthiopie, le Niger, le Nigeria et le Sénégal.
C’était déjà la logique de l’accord UE-Turquie du 18 mars dernier, qui a permis de réduire à une centaine le nombre de migrants qui arrivent chaque jour dans les îles grecques, contre 2 000 au plus fort de la crise. En échange de ce contrôle des flux, 3 milliards d’euros ont été promis à Ankara pour l’insertion des réfugiés, dont 2,2 millions sont déjà mobilisés.
De probables arrivées de réfugiés au printemps
Mais les dérives du régime du président Recep Tayyip Erdogan rendent l’accord fragile. « Une seule question doit primer : sommes-nous en mesure d’améliorer le sort de trois millions de réfugiés en Europe ? Tant que la réponse sera oui, avec des enfants scolarisés, des adultes qui accèdent au marché de l’emploi, il n’y aura aucune raison de remettre en cause cet accord », défend Michael Roth, secrétaire d’État allemand aux affaires européennes.
En revanche, aucune politique intérieure commune ne se dessine pour faire face à de probables arrivées au printemps, quand la mer sera moins mauvaise. « La tentative de la présidence slovaque de mettre en place un système de répartition des migrants, même sur la base du volontariat, a fait pschitt », résume une source du conseil européen.
La levée de bouclier la plus virulente vient du groupe de Visegrad – Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie. Il consent à verser des aides financières dans les camps de réfugiés au Liban ou en Jordanie et pousse en faveur de l’élargissement de l’UE aux Balkans, qui seraient alors en première ligne, sur la route de l’exil.
Aucun pays membre, à part l’Italie et la Grèce, ne défend bec et ongles le règlement de Dublin IV. Le texte, dans sa version préparatoire, prévoit un mécanisme de répartition des migrants en cas d’afflux massif aux portes de l’Europe, assorti de pénalités financières pour les pays qui refusent l’accueil : 250 000 € par demandeur d’asile.
13/12/2016, Jean-Baptiste François
Source : La Croix