mardi 26 novembre 2024 09:55

En Grèce, les migrants ne savent plus où aller

Avec ses longs cheveux tenus en queue-de-cheval, ses deux téléphones qui pendent de chaque poche et un sourire accroché en permanence sur son visage, Bassilis Baltas, responsable municipal, est devenu le point de référence du camp ouvert et « libre » précise-t-il, de Souda, à quelques kilomètres de l’aéroport de l’île grecque de Chios où convergent réfugiés et migrants.

Une carte de Chios, une carte de l’Europe

Lorsque les frontières étaient encore ouvertes, ce n’était qu’un camp de transit pour que les réfugiés arrivés de Turquie puissent se reposer quelques heures avant de prendre le bateau à destination du Pirée, première étape de la fameuse route des Balkans.

Souda s’est transformé en camp d’accueil durable. Sur le mur de la grande tente principale, deux grandes cartes. L’une de l’île de Chios : « Afin que les migrants puissent se situer » et une autre de l’Europe, avec les noms de pays écrits en arabe : « Pour voir où ils peuvent aller ». Beaucoup les regardent, dubitatifs. « Avant on leur expliquait la route des Balkans, explique Bassilis, maintenant on leur explique la relocalisation et le regroupement familial. Mais le fait est que nous n’avons pas beaucoup d’alternatives à leur proposer ».

Comment éviter le renvoi en Turquie

En fonction de leur arrivée, ils portent au poignet des bracelets de différentes couleurs : « Cela permet d’éviter que des étrangers s’y promènent », sous-entendu des passeurs à la recherche de clients. « Ici, les passeurs se savent surveillés, c’est plutôt à Athènes qu’ils recrutent ou encore à Idoméni près de la frontière macédonienne, indique Bassilis, mais si les renvois vers la Turquie continuent, ils ne vont pas tarder à arriver. Il faudra être vigilant. »

Trois questions dominent toutes les discussions - où aller ? que faire ? comment éviter le renvoi en Turquie ? – que ce soit sur le port de Chios, où encore deux à trois cents personnes, essentiellement des familles syriennes, dorment à même le sol en béton, ou au camp de Souda où logent environ quatre cents réfugiés, ou encore dans celui fermé et interdit à la presse de Vial.

Le Portugal plutôt que l’Allemagne

Soufik, un chef de famille afghan a opté pour la relocalisation au Portugal. Sa logique est implacable. « Tout le monde veut aller en Allemagne ou dans les pays nordiques. On va être trop nombreux. Vivre dans l’illégalité dans des pays aussi organisés est risqué alors que dans les pays du sud de l’Europe, c’est comme en Grèce, c’est plus facile. Personne ne veut aller au Portugal, ou même en Espagne. Pour nous afghans, c’est bien. Il y a une petite communauté qui peut nous aider. On s’en sortira. »

Un seul impératif : « Rester ensemble ». Sauf que la notion de famille pour un afghan n’est pas tout à fait la même que pour un fonctionnaire européen. Soufik veut emmener sa femme, ses enfants, ses deux jeunes sœurs, ses deux frères, leurs femmes et enfants, ses deux tantes et ses parents. Quitte à rester ensemble, il est prêt à aller n’importe ou « sauf en Bulgarie ! dit-il, on nous a raconté des histoires terribles avec la police là-bas ».

« Ils sont humains comme nous »

Du coup, il va déposer une demande d’asile pour tout le monde, alors que jusqu’à présent, il ne voulait pas en entendre parler : « Cela nous fait gagner 15 jours de répit en Grèce », soupire-t-il, en précisant qu’ils veulent tous être relocalisés dans le même pays. Il ne peut pas croire qu’ils vont être renvoyés en Turquie, puis en Afghanistan. « On a tout vendu pour venir ! La seule chose qui nous attend à Kaboul, ce sont les talibans qui veulent se marier avec mes sœurs et enrôler mes frères. »

Pour Madame Maria qui tient la Pizzeria Palace face au port, ces histoires devraient suffire à donner l’asile. Chez elle, il y a toujours un jus d’orange pour un gamin, on peut se laver dans les toilettes et charger gratuitement son portable. « Ils sont humains comme nous et qui sait peut-être qu’un jour, on sera à leur place. »

Les procédures d’expulsion des migrants ralenties

La Turquie va recevoir aujourd’hui environ 200 nouveaux migrants renvoyés de Grèce dans le cadre de l’accord controversé signé entre l’UE et Ankara. Ils seront acheminés de l’île grecque de Lesbos à la ville portuaire turque de Dikili.

L’accord prévoit le retour en Turquie de tous les migrants entrés illégalement en Grèce depuis le 20 mars et stipule que pour chaque Syrien renvoyé de Grèce, un autre sera admis au sein de l’UE, dans le cadre d’un plan limité à 72 000 places.

À Chios, mais aussi à Lesbos, principales entrées en Europe de l’exode en 2015, les procédures d’expulsion ont été ralenties par une hausse des demandes d’asile des migrants, arrivés en Grèce après le 20 mars. Aucune personne ayant demandé l’asile ne sera renvoyée avant examen de son cas.

6 avril 2016, Thomas Jacobi

Source : la-croix.com

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