mercredi 27 novembre 2024 19:54

En quête de la nationalité française, "l'examen d'une vie"

Ils sont une dizaine à patienter devant le petit bureau d'écolier installé dans le couloir du bâtiment d'Eurosites, dans le quartier de La Chapelle, à Paris. L'examen ne commence que dans trente minutes, mais ceux-là ont préféré arriver en avance, éviter les mauvaises surprises. "L'enjeu est trop important", sourit un jeune homme noir d'une vingtaine d'années, veste de cuir sombre et jean serré, avant de se replonger dans sa lecture de Candide.

Depuis le 1er janvier, tous les aspirants à la naturalisation française qui n'ont pas obtenu de diplôme en France doivent prouver leur maîtrise du français "d'un niveau égal ou supérieur au niveau requis", à savoir le niveau de fin de scolarité obligatoire. Seuls quatre organismes sont habilités par le ministère de l'intérieur à délivrer le précieux sésame. Ce mardi 24 avril, ils sont 78 candidats inscrits pour l'examen d'évaluation, proposé ici par l'entreprise américaine ETS Global.

"JE PARLE TRÈS BIEN FRANÇAIS, VOUS SAVEZ"

Une femme d'une cinquantaine d'année, chemise blanche, pantalon noir et talons discrets, s'avance vers le bureau, où se tient un surveillant qui vient de lui demander de présenter sa carte de séjour. "Excusez-moi, je n'ai pas compris, c'est le stress", dit-elle, avec un léger accent qui trahit son origine algérienne. Dans un souffle, elle ajoute : "Je parle très bien français, vous savez." Sur le petit document plastifié qu'elle tend au surveillant, Fatima a quelques années de moins, ses yeux sont soulignés d'un épais trait de khôl noir. "Motif du séjour : vie privée et familiale, autorise son titulaire à travailler", peut-on y lire.

L'Algérienne pénètre dans la salle. Cinq rangées de dix tables individuelles et numérotées sont alignées devant une estrade, physionomie classique d'une salle d'examen. Mais pour Fatima, qui vit en France depuis douze ans, c'est une première. "C'est un peu impressionnant", reconnait timidement cette vendeuse dans un grand magasin parisien, "mais c'est l'examen d'une vie". On lui indique une table au fond de la salle où déposer son sac, un cintre à l'entrée où laisser son manteau. "Prenez juste votre carte de séjour et éteignez votre téléphone portable", répète invariablement l'un des trois surveillants de la salle.

A côté d'elle, un Asiatique demande s'il peut garder "un stylo de secours". "C'est bien d'être prévoyant, mais ne vous inquiétez pas, on n'a pas de pénurie de stylos", plaisante la surveillante, qui se tourne vers une jeune femme blonde et lui demande si elle ne veut pas enlever sa veste, "pour ne pas avoir trop chaud". Surprise comme si c'était la première question du test, elle souffle un "Non merci" à peine audible, avant de gagner son siège.

Derrière elle, un homme, la soixantaine, bonnet bleu marine enfoncé sur le crâne, peine à éteindre son téléphone. "Ah non monsieur, je ne sais pas comment il marche, moi - C'est bon là ? - Ah non, il y a encore de la lumière." Avec le concours de deux autres candidats, le téléphone est finalement éteint.

"CERTAINS JOUENT LEUR VIE"

A mesure que la salle se remplit, les costume-cravate se mélangent aux T-shirt et sandales, les djellabas côtoient les sweats à capuche. "La difficulté de ce type de tests, c'est que les candidats ont des profils très différents : ils viennent de tous les pays, ont tous les âges, tous les parcours", explique Olivier Fromont, responsable chez ETS Global. "On trouve par exemple des gens qui ont un bac + 7 dans leur pays, mais sont sans-diplômes en France, ou des gens qui n'ont jamais passé d'examen de leur vie", explique le responsable.

De cette hétérogénéité naît la complexité. L'organisation des tests demandent "souplesse et empathie de la part des encadrants, car certains jouent leur vie". "On se retrouve souvent avec des gens qui ne se préparent pas, qui oublient parfois de prendre leurs lunettes, ou même des femmes qui viennent avec leur bébé. A ceux-là, il faut expliquer que non, on ne peut pas passer ou réussir un examen dans ces conditions-là, et qu'il faudra peut-être se réinscrire", explique Olivier Fromont, dont l'entreprise est spécialisée dans l'évaluation au niveau international.

ENTRE 48 ET 120 EUROS PAR TEST

Chaque candidat a payé 48 euros - hors frais bancaires - pour passer l'examen. Les tarifs des autres tests reconnus par le ministère de l'intérieur oscillent entre 70 euros et 120 euros, pour le plus cher. Tous ceux qui se sont inscrits ont dû s'acquitter de la somme par Internet, avec une carte bleue. "On a conscience que ça pose le problème de la fracture numérique, mais tous les gens se débrouillent pour trouver une connexion", explique Olivier Fromont.

A l'accueil du site de La Chapelle, un homme se présente pour s'inscrire à la session. Quand les secrétaires le renvoient vers le site Internet, il tente en vain de négocier."J'ai la somme en liquide juste là, ce sera quand même plus simple", dit-il en pointant l'intérieur de sa veste de survêtement bleue et blanche. Il reprend le chemin de la sortie en pestant contre ce "parcours du combattant".

"JE SAIS QUE VOUS ÊTES STRESSÉS"

Dans la salle, les derniers retardataires font leur entrée alors qu'un surveillant commence à expliquer les consignes. "Je sais que vous êtes stressés, mais on va tout vous expliquer, et tout va bien se passer", assure-t-il d'une voix calme au micro. Une femme enceinte provoque un petit mouvement de panique après avoir égaré sa carte de séjour. Au fond de la salle, un couple de personnes âgées s'encourage mutuellement avant de se séparer. Table numéro 2 pour madame, 19 pour monsieur.

Sur le formulaire, les candidats déclinent leur identité, profession, lieu d'habitation, et inscrivent un code correspondant à leur nationalité. Pêle-mêle, les numéros sont griffonnés dans la case pour Côte d'Ivoire, Cambodge, Serbie, Tunisie, Pérou, Chine, Etats-Unis, Togo, Algérie... "C'est une machine qui va corriger votre copie, alors il faut bien noircir les cases du QCM", explique le surveillant. Au fond de la salle, on chuchote "C'est quoi cette histoire ? C'est déjà Terminator ou quoi ?!" Un autre interroge : "C'est quoi un QCM ?"

TROIS TYPES D'EXERCICES

Les explications se prolongent. "En général, elles durent jusqu'à une heure et demi, car on prend bien le temps pour expliquer comment remplir les formulaires, on garde toujours en tête que certains n'ont jamais rempli un questionnaire", explique Olivier Fromont. Les doigts se lèvent lorsqu'une étape n'est pas comprise.

L'épreuve se décline en trois types d'exercice pour tester la compréhension orale des candidats. Le premier repose uniquement sur une écoute attentive, les deux suivants sont plus complexes et impliquent une lecture des propositions de réponse. "Si certains ne peuvent pas lire, il faut tout miser sur le premier exercice et bien se concentrer", explique le surveillant. Dans les rangs, quelques-uns hochent la tête d'un air inquiet. Pour valider le niveau nécessaire à la naturalisation, il faut 160 points sur 495. "C'est même pas la moyenne, alors vous voyez, c'est facile, neuf personnes sur dix le valident", rassure l'encadrant.

"Qui est au téléphone ?", déclame une voix monocorde qui sort des haut-parleurs. "Réponse A : C'est Jacques, réponse B : Numéro deux, réponse C : Enchanté." L'épreuve dure quarante minutes au total, les candidats ont sept secondes pour répondre à chaque question. "Chaque test est conçu pour éviter tout biais culturel discriminant, afin de garantir l'équité entre les candidats", explique le responsable de l'entreprise d'évaluation, Olivier Fromont.

"UNE HUMILIATION DE PLUS"

A la fin du test, Khalifa, 46 ans, paraît surpris. En France depuis 1990, le Marocain a demandé dès 2004 sa naturalisation. Le ministère lui a refusé une première fois. "Avant, on avait un entretien avec une personne de la préfecture, qui menait une enquête complète sur nous, et pouvait juger vraiment notre niveau de langue. Alors que maintenant, on nous fait passer un test bateau que même des gens qui ne parlent pas bien peuvent réussir", résume-t-il.

"Un test, ça fait bien sur le papier, certains Français se disent 'Ça va être plus dur d'avoir la nationalité comme ça." Au final, ça a l'effet inverse", conclut-il, avant d'enfiler son manteau.

Marie (le prénom a été changé) dénonce même une "escroquerie organisée". "J'ai payé 50 euros pour venir prouver que je parle français, alors que le français est ma langue maternelle, c'est pas absurde ça ?", s'insurge la jeune femme de 25 ans, arrivée de Côte d'Ivoire il y a sept ans. "C'est une humiliation de plus pour ceux qu'on considère toujours comme des profiteurs du système", poursuit Marie, qui évoque avec douleur les files d'attente interminables des préfecture, où "les gens sont considérés comme du bétail, dorment devant le bâtiment la veille pour être sur d'être reçus."

Derrière elle, plusieurs candidats hochent la tête, chacun y va de son anecdote. "Est ce qu'on demande aux Français de prouver qu'ils parlent bien leur langue ? Qu'ils ne font pas de fautes ?", renchérit un Togolais. Certains, moins sûrs de leur performance au test, nuancent le niveau exigé. "Ça va vite quand même, c'est difficile de lire et d'écouter en même temps", explique Sadok, Tunisien.

RÉSONNANCE POLITIQUE

Dans cet entre-deux-tours de l'élection présidentielle sur lequel plane le score historique de Front national, l'examen prend une tournure particulière. Svetlana, une Serbe de 46 ans, assistante administrative dans une école maternelle de la région parisienne, vit en France depuis treize ans avec ses deux filles. La plus jeune a la nationalité française, contrairement à son aînée, âgée de 21 ans et étudiante en LEA. "On a monté un dossier de naturalisation toutes les deux. A la préfecture, ils ont dit que pour ma fille, c'est primordial d'avoir un travail, et nous ont fait comprendre qu'avec son statut d'étudiant, elle ne pourrait pas être acceptée", raconte la mère de famille la voix tremblante.

"On nous fait croire que si on remplit les critères, on va pouvoir avoir la nationalité française. En vérité, avec la politique actuelle, c'est de l'hypocrisie, ils font tout pour bloquer les dossiers", affirme celle qui avoue craindre la réélection de Nicolas Sarkozy. C'est aussi pour ça qu'elle veut la nationalité française, d'ailleurs, "pour pouvoir voter la prochaine fois, et montrer que même si beaucoup de Français continueront à me considérer comme une étrangère, j'aurai les mêmes droits qu'eux."

VERS UN ÉLARGISSEMENT DU DISPOSITIF ?

Depuis le 1er janvier, ETS Global fait passer cet examen dans une soixantaine de centres en France et en Outre-mer. Chaque mois, près de 2 000 candidats s'y inscrivent. Dans les autres organismes agréés, le volume global est un peu inférieur. Plus de 1 700 par mois au Centre international d'études pédagogiques, 500 à la Chambre de commerce et d'industrie de Paris, entre 600 et 1 000 par mois pour l'université de Cambridge et l'Alliance française.

Dans deux mois, l'évaluation du niveau de langue sera doublé d'un test de culture française. En pleine campagne de l'entre-deux-tours, Nicolas Sarkozy, lancé à la conquête des suffrages de l'extrême droite, a même proposé d'élargir le dispositif. En déplacement mardi à Longjumeau, le président sortant a affirmé vouloir diviser l'immigration légale par deux, notamment en obligeant l'apprentissage du français à tous les candidats au regroupement familial. "Il faudrait des centres d'examen dans tous les pays du monde, un encadrement qui empêche la fraude et garantisse l'équité", estime Olivier Fromont, d'ETS Global. "Concrètement, ce serait d'une complexité extrême pour le gouvernement, pour ne pas dire impossible."

Charlotte Chabas

30.04.2012, Charlotte Chabas

Source : Le Monde.fr

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