samedi 30 novembre 2024 03:42

Expulsion des chibanis du Faubourg-Saint-Antoine : «On n’a plus aucun repère»

La trentaine de retraités algériens et marocains ont été évacués par la police de l'hôtel meublé parisien qu'ils occupaient depuis des années.

Hamid Harir, 64 ans, regarde, l’air un peu halluciné, les déménageurs se faufiler entre la dizaine de camions de CRS garés devant chez lui. Parmi les affaires en train d’être vidées de l’immeuble, il y a les siennes. Hamid, comme la trentaine de locataires de l’hôtel meublé du 73, rue du faubourg Saint-Antoine à Paris, a été expulsé ce jeudi à 6h30 du matin par la préfecture de police. Comme eux, il a du mal à se remettre de ses émotions. «Regarde ma gueule : ils m’ont fait peur», lâche-t-il, un doigt sur les cernes qui surlignent son visage fatigué. «J’ai pris ce que je pouvais et j’ai filé.»

Tous les chibanis de l’ancien hôtel, des vieux travailleurs migrants originaires d’Algérie ou du Maroc, installés ici depuis dix, vingt ou trente ans ont été relogés à quelques kilomètres, dans un ancien foyer dédié aux cadres de la SNCF réquisitionné par la mairie de Paris pour l’hébergement d’urgence. Leur déménagement forcé est le énième rebondissement d’une lutte qui dure depuis des mois.

En juin dernier, ils apprennent qu’ils sont expulsables depuis un an. La gérante, pourtant au courant, ne les avertis de la situation qu’à la dernière minute. Après plusieurs semaines de bataille acharnée, les retraités obtiennent un délai de la préfecture. Ian Brossat, l’adjoint (PCF) au logement de la ville de Paris, et François Vauglin, maire (PS) du XIe arrondissement, s’engagent à ce qu’ils ne soient pas expulsés avant la fin de la trêve hivernale. Le temps pour la municipalité de trouver une solution de relogement définitive, au printemps 2015. Alors que les vieux messieurs pensent être tranquilles pour quelques mois et commencent à s’organiser pour gérer l’immeuble eux-mêmes, la préfecture placarde sur leur porte un arrêté «d’interdiction totale d’habiter le lieu». En cause : un constat du service d’inspection de la salubrité. L’absence de gardien «formé aux moyens de secours» et de «suivi sur le plan de la sécurité incendie» mettrait les habitants «gravement en danger».

«On dirait le siège du KGB»

A l’époque, l’argument fait franchement rire les locataires qui vivent depuis des années entre les cafards, dans l’humidité de leurs petites chambres, sans avoir jamais vu de rénovation quelconque. «Cet hôtel, ça fait quinze ans qu’il est pourri, s’indignait alors Layachi Ait-Baaziz, habitant du meublé. Aucun service d’inspection n’est venu nous voir les années précédentes. Et l’ancien gardien n’avait aucune formation de sécurité. Pourquoi se réveillent-ils maintenant ?»

Peu après son évacuation, Layachi rigole moins. Son petit sac à dos bien arrimé à ses épaules, il regarde l’immeuble gris de quinze étages, où il habite depuis deux heures, juste à côté des voies ferrées qui filent vers la gare d’Austerlitz, dans le XIIIe arrondissement. «On dirait le siège du KGB», lâche-t-il, avant de jeter un coup d’œil à la rue. «C’est loin le métro ?»«Les autres vieux vont être paumés, on n’a plus aucun repère», soupire le retraité de 65 ans. Mohamed Amrouchi, même âge, est encore choqué par sa matinée mouvementée. «Ce qu’on a vécu, c’est la violence de l’Etat. Ils ont commencé à changer les serrures alors qu’on était encore là. Ils ne pouvaient pas attendre qu’on soit tous relogés au lieu de nous virer ?» Une vingtaine de ses camarades ont déjà des pistes de logements, proposés par la mairie de Paris. «La préfecture avait décidé d’évacuer les habitants depuis le mois de décembre», observe Ian Brossat. «C’est pour cela que nous avions commencé à chercher une solution temporaire dès ce moment-là. Ils ne seront pas déplacés encore une fois, et seront tous relogés définitivement dans Paris d’ici le 30 juin», promet-il.

Réaction de l'élue Front de gauche de Paris Danièle Simonnet :

Simon, le militant du DAL qui suit les chibanis depuis le début de leurs déboires, résume le sentiment général. «Il y avait une décision d’expulsion, effectivement. Mais il aurait fallu qu’on puisse en parler. Là c’est l’Etat qui frappe sans discuter.» La préfecture, elle, reste droite dans ses bottes : «Nous avions informé les locataires du risque qu’il y avait à rester dans cet hôtel. L’évacuation s’est très bien passée et ils ne seront pas expulsés de leur nouveau logement, même après la fin de la trêve hivernale.»

19 février 2015, Charlie DUPLAN

Source : Libération

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