mardi 26 novembre 2024 12:40

Face aux crises migratoires, Bruxelles est dans les choux

Suite aux brusques flux migratoires venant de Tunisie, l’Union européenne a décidé d’agir avec son agence Frontex. Mais l'Europe peine encore à montrer une véritable solidarité entre Etats sur ce sujet.

L’immigration n’est pas qu’un problème national, elle peut concerner tout un continent, la crise de Lampedusa en est l’exemple. Des milliers de migrants tunisiens voguent dans les eaux internationales puis échouent en Italie en espérant atteindre la France. De même, la frontière gréco-turque où passent notamment des migrants afghans est aussi un lieu de tension. Ces derniers cherchent à aller en Angleterre notamment via la France et son Tunnel sous la manche. Sans parler des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, situées au Maroc.

Vouloir créer des frontières communes tout en abolissant les frontières intérieures a naturellement des conséquences sur les migrations. En franchissant les frontières de l’Europe, les immigrants espèrent pouvoir circuler librement sur le continent. Vu que la question migratoire s’impose désormais à tous, le bon sens imposerait donc que l’on mette en place une gestion commune des frontières. Ce n’est pourtant pas encore le cas. La crise de Lampedusa a d'ailleurs donné un bel exemple de cette désunion européenne. L’Italie avait accusé Bruxelles de ne pas lui apporter d’aide. Bruxelles a rétorqué que c’était Rome qui avait refusé la main tendue.

Toutefois, un outil a pu faire son apparition dans cette crise migratoire : l’agence Frontex. Un nom très novlangue pour l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures. Créée en 2004, opérationnelle depuis 2005, elle a notamment trois missions : étudier les mouvements migratoires, coordonner des opérations de gestion de flux migratoire entre Etats-membres et permettre des vols communs de retour vers les pays d’origine des migrants refoulés. Son budget pour 2011 dépasse les 88 millions d’euros. Elle a mené 43 opérations de contrôle ou de vols retours en 2010 selon des chiffres des eurodéputés Europe Ecologie, un chiffre qui parait faible vu l’enjeu.

Frontex, l'agence à risques

L'agence Frontex possède aussi un bras armé avec les Rabits (pour Rapid intervention border teams, admirez l’humour bruxellois). Ce sont des policiers et autre agents armés chargés d’intervenir rapidement à la demande d’un Etat membre pour gérer un problème migratoire. Ils gardent leurs uniformes nationaux mais ont un brassard de l’UE et sont placés sous le commandement de l’Etat demandeur. Ce n’est donc pas à proprement parler une police européenne des frontières. Ces équipes sont notamment intervenues en Grèce à l’automne dernier  face à un afflux de migrants venant de la frontière avec la Turquie.

Dans la crise de Lampedusa, Frontex a déployé un autre outil en dépêchant des « experts » sur place dans le cadre de l’Opération Hermès. Aux alentours de 50 personnels issus de différents pays européens (France, Portugal, Danemark…) sont venus prêter main forte à l’Italie (qui dirige la mission).  Ces experts seront notamment chargés de l’accueil et de l’interrogatoire des migrants. Ils ne seront pas seulement policiers mais aussi spécialistes des « relations intercutlrurelles » ou du droit d’asile, comme l’a précisé la Commission européenne à Marianne2. Une mise à disposition de moyens aériens en vue de la surrveillance des frontières est également prévue. L’opération devrait être terminée le 31 mars selon la Commission. Mais Bruxelles n’a pas su nous dire si d’autres moyens sont prévus : « On suit les évolutions au jour le jour ».

C’est justement le problème. L’agence Frontex apparaît comme le symbole d’une Europe dépassée par la mondialisation des échanges. Elle peine à s'imposer comme outil commun de régulation et reste suspendue au bon vouloir des Etats membres qui mettent à disposition troupes et matériel. « On reçoit une demande d’aide d’un Etat membre et chaque Etat dit quels moyens il peut offrir », nous explique la Commission. En matière de migrations, c'est donc le règne le chacun pour soi. « Ce qui est en cause, c’est que l’agence Frontex doit être assurée que les Etats membres fournissent les moyens promis », ajoute l’eurodéputée PS Sylvie Guillaume, contactée par Marianne2. Mais créer une véritable police aux frontières européenne, idée qui est toujours sur la table, empiéterait sur la souveraineté des Etats. D’un autre côté, sans instruments politiques adéquats, la mise en place de frontière commune est ingérable.

Chacun pour soi

Tout le dilemme de la construction européenne est là. On a voulu inscrire l’Europe dans la mondialisation, abolir les frontières, sans voir que la mondialisation doit aussi être régulée pour être viable, que l’on parle d’économie ou de migrations. Les règles européennes, au lieu de donner un cadre commun sûr, renvoient au chacun pour soi. Une chose qui ne protège ni les Etats, ni les migrants. Mais il n'y a pas que l'aspect répressif qui compte. En matière d’asile par exemple, elles imposent que le migrant fasse sa demande uniquement dans le pays où il est arrivé en premier (ici l’Italie). Si un autre Etat l’arrête, il est alors renvoyé dans le pays d’entrée. La base de données Eurodac (qui recense les empreintes digitales) permet d’ailleurs de repérer les demandeurs multiples.

Cette règle a un effet pervers :  faire porter une large part des politiques migratoires sur les pays ayant une frontière exposée, qui deviennent ainsi un guichet géant pour tous les demandeurs d'asile. Un petit Etat comme Malte a du mal à faire face. La Grèce a également menacé, avec le soutien de Paris, de construire une clôture à sa frontière turque, s'estimant trop isolée face à l'immigration clandestine. Bruxelles s'est opposé au projet, pourtant, à Ceuta et Melilla, l’UE a financé la construction de barrières de ce type. Mais les renvois vers la Grèce posent un autre problème étant contestés par la Cour européenne des droits de l’Homme car Athènes ne respecte pas assez les droits des demandeurs d’asile. L’Italie souhaite que le sujet de migrations soit  à l’ordre du jour du prochain Sommet Européen. La crise de Lampedusa pourrait faire bouger les lignes vers plus de solidarité mais le chemin est encore long.

« La très grande liberté laissée aux Etats aboutit à des systèmes hétérogènes », déplore Sylvie Guillaume. Une solution intermédiaire pourrait alors être des accords d’Etat à Etat sans passer par Bruxelles, solution écartée par l’eurodéputé. Pour elle, tous les pays de l’UE doivent être impliqués : « Les Suédois sont aussi concernés par ce qu’il se passe en Méditerranée ». Mais pour l’instant, la solidarité européenne n’est pas de mise. Comme si l'Union européenne était seulement vouée à être le cadre d'une « concurrence libre et non faussée » et non celui d'une protection, laissant les Etats les plus faibles, comme la Grèce, en première ligne. Bien sûr, il reste la solution de confier la surveillance de nos frontières à la Libye de Kadhafi.

Quelle politique d'asile ?

Au cœur donc de la crise de Lampedusa, c’est donc bien le degré de souveraineté que sont prêts à abandonner les Etats qui est mis en débat. Ce qui est politiquement difficile à faire avaler. Contrairement donc au discours ambiant, l’abolition des souverainetés est plus un vœu pieu qu'un horizon inéluctable. Si la politique d’asile en Europe est en cours de refonte, pour l’instant, « rien n’est commun » à ce sujet parmi les Etats membres, précise Sylvie Guillaume. Réguler n’est décidément pas le fort de l’UE. Car, au delà de la question de Frontex, la politique migratoire de l’Union manque encore d’instruments communs. « Si les Etats membres veulent gérer le rapport migratoire avec la seule agence Frontex, c’est la mauvaise façon de faire », estime Sylvie Guillaume. L’eurodéputé socialiste plaide pour « un dispositif d’asile commun ».

Ce serait un minimum, une Europe ouverte ne signifie pas forcément un monde sans règles.

Il reste à savoir si les Etats membres sont capables d'accepter des règles communes en ce domaine. Pour l’instant, en France, on loue la nécessité d’une véritable politique européenne d’immigration. Le Quai d’Orsay avait déjà appelé au « renforcement opérationnel de Frontex ». Lundi, François Fillon a réaffirmé que la solution face aux crises migratoires était « une réponse collective, une réponse européenne sur ce sujet, d'abord pour faire en sorte qu'il y ait le moins de flux migratoires possibles, et ensuite pour accueillir les personnes qu'il faudra accueillir ». Le contexte politique imposait un tel discours. Mais la géopgraphie qui sépare la Finlande de l'Italie, peut-elle permettre une position commune sur la crise migratoire méditerranéenne ?

2 Mars 2011, Tefy Andriamanana

Source : Marianne

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