mercredi 27 novembre 2024 10:38

Faut-il restreindre l’immigration ?

Au cours des dix dernières années, l’immigration est restée relativement stable. Un peu moins de 200 000 titres de séjour par an sont accordés, tandis qu’environ 100 000 étrangers quittent annuellement le territoire français. Ce qui donne en moyenne un flux net de 100 000 migrants supplémentaires chaque année.

Au-delà du ressenti de la population (52 % des Français estiment que les immigrés sont trop nombreux), la réalité des phénomènes migratoires et leur impact en termes budgétaire, démographique, et économique contredisent le plus souvent les arguments mis en avant dans la campagne.

Le sujet, ultrasensible, échauffe les esprits à chaque élection présidentielle. Cette fois, la question du juste équilibre à trouver en matière d’immigration se pose sur fond de creusement de la dette publique, de ralentissement de la croissance, de déséquilibre des comptes sociaux et de montée du chômage. Et la plupart des candidats défendent un meilleur « contrôle » des flux.

Ressentie comme « massive » par la population, la part des immigrés dans notre pays est pourtant moindre que chez nos voisins européens. Selon les données de l’OCDE, la France compte 11,6 % de sa population née à l’étranger, contre 12,9 % pour l’Allemagne, grand modèle dans cette campagne présidentielle, 15,5 % pour l’Autriche, 14,3 % pour l’Espagne, 14,4 % pour la Suède, etc. Par ailleurs, l’immigration est restée relativement stable au cours des dix dernières années.

Pourtant, selon une étude Ipsos parue en août dernier, 79 % des Français pensent que l’immigration a augmenté ces cinq dernières années, et 52 % l’estiment trop nombreuse. Ce hiatus entre perception et réalité, dans un pays d’accueil de longue date, s’explique par la confusion entre immigration et intégration des Français d’origine étrangère. Plusieurs arguments sont cependant développés par les candidats pour justifier de mettre un frein à l’immigration.

L’immigration menace-t-elle la cohésion sociale ?

Le Front national fait de la place des étrangers en France un sujet de campagne incontournable. Pour le parti d’extrême droite, qui a lancé la récente polémique sur la viande halal, « l’immigration non contrôlée est source de tensions dans une République qui ne parvient plus à assimiler les nouveaux Français » et elle représente « un coût important pour la communauté nationale ». En conséquence, Marine Le Pen ne souhaite pas octroyer plus de 10 000 titres de séjour par an. Ce qui rendrait le solde migratoire négatif.

Dans un rapport remis en avril dernier à François Fillon sur ce thème, le Haut Conseil à l’intégration donne un autre son de cloche. Certes, l’institution préconise vivement de s’attaquer à certains « ghettos communautaires », formés dans certaines zones urbaines sensibles. Mais elle souligne surtout que 65 % des descendants d’immigrés vivent en couple avec des personnes de la « population majoritaire » et que seuls 16 % des personnes issues de l’immigration ayant la nationalité française ont peu ou pas le sentiment d’être Français. L’intégration a donc à la marge ses ratés, mais le modèle français reste majoritairement efficace.

La situation de l’emploi et de l’économie permet-elle d’accueillir autant d’immigrés ?

Nicolas Sarkozy veut diviser par deux le nombre d’entrées annuelles. Pour cela, il entend limiter la délivrance de visas professionnels, veut soumettre les couples mixtes à des conditions de ressources et de logement, et entend restreindre l’accès à l’emploi des étudiants étrangers. Une volte-face par rapport à la ligne de l’« immigration choisie », fixée il y a cinq ans, avec l’objectif de porter à 50 % l’immigration de travail (aujourd’hui à 15 %).

Entre-temps, la crise financière a frappé. Pour le candidat sortant, il s’agit à présent de donner la priorité aux 100 000 jeunes qui arrivent chaque année sur le marché du travail, ainsi qu’aux immigrés déjà présents en France, dont le taux de chômage atteint 23 %.

Pourtant, la présence des migrants concurrence peu l’emploi des nationaux. « L’essentiel de la compétition a lieu entre les nouveaux et anciens migrants, car ils ont plus souvent le même type de métier. Plus globalement, on a souvent tendance à considérer le marché du travail comme un gâteau à partager, avec un nombre fixe d’emplois disponibles. C’est une fausse représentation, car on oublie que les étrangers sont aussi des consommateurs qui créent leur demande et par conséquent des emplois », commente Jean-Christophe Dumont, expert des migrations internationales à l’OCDE.

Par ailleurs, l’arrivée de nouvelles populations a eu tendance à promouvoir les Français sur des emplois mieux rémunérés. En 2010, une étude menée pour le compte de la Banque de France par l’économiste Grégory Verdugo calculait que la hausse de 10 % de l’immigration entre 1962 et 1999 avait provoqué une hausse de 3 % des revenus de la population autochtone.

Les comptes de la protection sociale sont-ils en danger ?

Le FN affirme que la protection sociale en France est une « pompe aspirante ». Et le candidat de l’UMP souhaite durcir l’accès aux prestations sociales des étrangers. Pourtant, notamment en raison des difficultés de financement de notre système de retraite par répartition, le recours à des travailleurs étrangers est plutôt une bonne chose. Ces derniers arrivent sur le territoire sans que l’État ait investi pour eux en dépenses d’éducation. Par ailleurs, peu d’entre eux restent jusqu’en fin de carrière. Selon un audit parlementaire rendu public en mai dernier, seuls 60 % des titulaires d’un titre de séjour sont encore sur le territoire français cinq ans après leur entrée, ce qui limite le montant des pensions.

« En conservant le niveau actuel d’immigration, le déficit de la protection sociale atteindra 3 % du PIB d’ici à 2050. En prenant une hypothèse de solde migratoire nul, le besoin de financement passera à 4,3 % du PIB », explique l’économiste Lionel Ragot, qui a calculé des projections en fonction de différents cas de figure (1). Une autre recherche récente réalisée pour le ministère des affaires sociales par le laboratoire « Equippe » de l’université de Lille I va dans le même sens. Après avoir fait la part des coûts et des contributions des migrants dans les comptes sociaux, l’enquête conclut à un bilan positif de 3,9 milliards d’euros.

Peut-on aller vers une immigration choisie ?

La lutte contre l’immigration irrégulière fait consensus chez les principaux candidats. La France a très peu de visibilité sur son importance. Le nombre de sans-papiers est évalué entre 200 000 et 400 000, selon une estimation commandée par Dominique de Villepin lorsqu’il était premier ministre (2005-2007). Si François Hollande souhaite préserver l’immigration légale, avec des régularisations « opérées au cas par cas sur la base de critères objectifs », il affirme en revanche vouloir conduire une « lutte implacable contre l’immigration illégale et les filières du travail clandestin », notamment en créant une « brigade spécialisée ».

« Aujourd’hui, seuls 30 000 des 90 000 personnes qui chaque année sont sous le coup d’une mesure d’éloignement sont effectivement raccompagnés à la frontière. Nous prévoyons d’entamer un dialogue avec les pays source, afin d’obtenir plus facilement les laissez-passer consulaires et ainsi améliorer le taux de reconduite », explique Mireille Le Corre, chargée de préciser la réflexion du candidat PS sur l’immigration.

Nicolas Sarkozy a, quant à lui, élargi la question au niveau européen. Lors de son meeting du 11 mars à Villepinte, le président sortant a menacé, s’il est réélu, de sortir des accords de Schengen sur la libre circulation dans l’Union si les frontières continentales ne sont pas mieux contrôlées.

L’UMP propose aussi que le Parlement puisse chaque année voter un quota de migrants que la France peut accepter en fonction de ses besoins. Le PS défend la même logique de débat parlementaire, sans vouloir arrêter une limite quantitative. Encore faut-il que la France soit pour cela suffisamment attractive pour s’attirer les profils qui l’intéresse, ce qui n’a pas été le cas jusqu’à présent. Les conditions restrictives de l’accès aux visas de travail (niveau de diplôme, durée d’expérience professionnelle, garanties d’embauche et de niveau de salaire) auraient tendance à décourager les candidats les plus qualifiés.

En attendant, l’immigration familiale, qui répond au droit français et international, représente aujourd’hui 45 % des flux. Une tendance qui perdurera dans les années à venir, selon Jean-Christophe Dumont. « L’immigration n’est pas un robinet qu’on ouvre ou qu’on ferme quand on le souhaite, souligne l’expert de l’OCDE. Le flux des arrivants d’il y a dix ans conditionne une bonne partie des regroupements familiaux de demain. »

(1) L’immigration, fardeau ou bienfait pour la finance de la protection sociale ?, 2010.

20/3/2012, JEAN-BAPTISTE FRANÇOIS

Source : La Croix

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