A l'heure où le Sénat s'empare de la révision constitutionnelle, l'idée d'un Congrès à Versailles ne contenant plus la déchéance de nationalité fait son chemin au sommet de l'Etat.
Déchéance : la majorité aimerait bien abréger ses souffrances
Stop ou encore ? Alors que le supplice de l’exécutif sur la déchéance de nationalité reprend mercredi au Sénat, lequel a juré de détricoter le compromis bricolé à l’Assemblée, ils sont de plus en plus nombreux dans la majorité à demander à François Hollande d’arrêter les frais. Jusque dans le premier cercle présidentiel, où l’idée d’un «congrès light» fait son chemin. Il serait alors proposé aux parlementaires réunis à Versailles de valider uniquement la constitutionnalisation de l’état d’urgence (l’article 1 du projet de loi en discussion) sans la déchéance de nationalité pour les terroristes (l’article 2) et d’adopter la réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), remise sur les rails par le ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas. L’adoption de cette promesse du candidat Hollande, sérieusement édulcorée par le Sénat en 2013, est programmée à l’Assemblée le 6 avril.
«L’idée serait de caler la deuxième lecture de la révision constitutionnelle dans les mêmes dates pour arriver à organiser un Congrès avant la mi-avril», explique un proche de François Hollande. Soit avant les vacances de printemps et ses cohortes de touristes qui rendent impossible l’utilisation de la salle du Congrès située au cœur du château de Versailles. «Il faut arrêter après le Sénat, je l’ai dit à François», confie un ministre sous le sceau de l’anonymat. «La sagesse est d’aller vers l’abandon de l’article 2, ce qui éviterait de diviser davantage le pays», abonde le député socialiste Olivier Faure, qui a bataillé à l’Assemblée pour remplacer la déchéance par une peine d’indignité nationale, rejetée par une très courte majorité au grand dam du gouvernement. Pourquoi ne pas tout laisser tomber ? Parce qu’on «a besoin de l’article 1 pour sécuriser les perquisitions effectuées pendant l’état d’urgence», explique un conseiller ministériel. Et parce que cela permet à François Hollande de sauver la face et un semblant d’union nationale. «Il sera crédité d’avoir au moins essayé, c’est ça que les gens vont retenir», décrypte un de ses proches.
«Plus c’est compliqué, moins ça a de chances d’aboutir»
Pendant les quatre semaines qui ont séparé le débat au Palais Bourbon de la reprise des hostilités au Palais du Luxembourg, l’environnement international a pesé un peu plus sur les consciences à gauche. Le Canada a décidé de supprimer la déchéance de nationalité et les députés suédois ont repoussé le projet de déchéance porté par l’extrême droite locale. A tous les étages de la majorité, on a donc fait le deuil d’un texte conforme entre Assemblée et Sénat, obligatoire pour modifier la Constitution. Car la droite sénatoriale n’a pas l’intention d’offrir une victoire à l’exécutif : elle a modifié l’article 1 – «mais il n’y a là rien de rédhibitoire», assure un conseiller présidentiel – mais surtout totalement réécrit l’article 2 sur la déchéance de nationalité. Non seulement les sénateurs veulent que la mesure ne s’applique qu’aux Français binationaux afin de ne pas créer d’apatrides, mais ils demandent aussi que seuls les crimes terroristes soient passibles de cette peine alors que les députés ont voté une mesure visant les crimes et les délits… à la demande de la droite.
Dernier point qui est loin d’être un détail : dans sa version de l’article 2, la commission des lois du Sénat stipule que la déchéance sera prononcée par le gouvernement après avis du Conseil d’Etat alors que toute la construction gouvernementale reposait sur l’idée d’une peine complémentaire prononcée par le juge judiciaire. Un texte «pas acceptable», selon le ministre des Relations avec le Parlement, Jean-Marie Le Guen. Lundi, venant compliquer un peu plus l’affaire, 28 des 109 députés socialistes ont déposé un amendement de suppression de l’article 2. Au total, une soixantaine d’amendements ont été enregistrés contre plus d’une centaine à l’Assemblée. «Plus c’est compliqué moins ça a de chances d’aboutir», euphémise un conseiller ministériel. Surtout que les sénateurs de droite – Les Républicains et centristes – se posent en défenseurs de la parole présidentielle, appuyant là où ça fait mal : le 16 novembre, trois jours après les attentats de Paris et de Saint-Denis, François Hollande parlait en effet de déchéance pour les binationaux nés français.
«Constater la désunion nationale»
Gauche et droite tentent juste de se refiler la patate chaude, pour ne pas être accusés d’avoir fait capoter une mesure présentée comme une protection contre le terrorisme. «Les socialistes espèrent une seule chose : ne pas aller à Versailles avec l’article 2, explique un parlementaire. Ce qu’ils veulent, c’est pouvoir dépeindre les sénateurs en horribles racistes et dire : "Vous voyez bien on ne peut rien faire avec eux."» Reste à savoir quand jeter l’éponge. Quand «constater publiquement la désunion nationale», selon la formule d’un député socialiste? Jeudi soir, à l’issue du débat au Sénat, semble prématuré. «On doit attendre le vote solennel [le mardi 22 mars, ndlr]. Ce n’est pas qu’une formalité, il faut qu’on ait les chiffres pour pouvoir dire qu’il n’y a pas de majorité des trois cinquièmes», souligne un conseiller élyséen. Mardi prochain au plus tôt donc, même si les socialistes doutent d’une intervention présidentielle sur un sujet aussi sensible à deux jours de la présentation en Conseil des ministres de la nouvelle mouture de la loi travail. «Ce que j’espère du Sénat, c’est que nous puissions nous mettre d’accord progressivement», a déclaré Manuel Valls mardi matin, semblant étrangement ouvert à l’idée d’une navette parlementaire entre les deux chambres. Officiellement, «on a fait un pas vers Versailles le 10 février [avec le vote de l’Assemblée] et pour l’instant on n’a pas fait deux pas en arrière», dit-on à l’Elysée. Pas encore…
16/3/2016, Laure Bretton
Source : Libération