vendredi 29 novembre 2024 20:49

France: dix ans après, le procès d'un drame qui a mis le feu aux banlieues

Dix ans après la mort de deux adolescents dans une banlieue déshéritée de Paris, un drame à l'origine de trois semaines d'émeutes à travers la France, deux policiers comparaissent à partir de lundi pour "non-assistance à personne en danger".

Ce procès qui s'ouvre devant le tribunal de Rennes (ouest de la France), est attendu par les familles des deux victimes et par de nombreux habitants des quartiers populaires selon lesquels les contrôles policiers "au faciès" des jeunes d'origine immigrée sont à l'origine du drame.

Le 27 octobre 2005, avant la tombée de la nuit, un véhicule est appelé à intervenir sur des soupçons de vol de matériel sur un chantier de Clichy-sous-Bois, une des villes les plus déshéritées de la banlieue nord de Paris où vivent de nombreuses familles immigrées. A la vue des policiers, des adolescents qui reviennent de jouer au football prennent peur et s'enfuient, aussitôt poursuivis par les hommes en uniforme.

Parmi eux Bouna Traoré, 15 ans, Zyed Benna 17 ans, et Muhittin Altun, 17 ans croient trouver refuge en escaladant le mur d'enceinte d'un transformateur électrique. Leur présence provoque un arc électrique, causant la mort de Bouna et Zyed tandis que Muhittin est grièvement brûlé.

Aussitôt le drame connu dans la cité, des groupes de jeunes affrontent la police, brisent des vitrines, incendient des voitures et attaquent les sapeurs-pompiers. Les déclarations des autorités parmi lesquelles Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, jettent de l'huile sur le feu en affirmant que les jeunes n'étaient pas poursuivis ou en laissant entendre qu'ils avaient commis un délit.

Pour les jeunes arabes, noirs ou turcs des quartiers populaires abonnés aux contrôles policiers sans autre motif que leur couleur, cette version des fait est une provocation. S'ensuivent trois semaines d'émeutes dans les banlieues que peine à calmer le 8 novembre la proclamation de l'état d'urgence, une mesure tout à fait exceptionnelle en France.

Cette flambée de violences, la plus grave dans l'histoire des banlieues françaises, attire les média du monde entier qui cherchent à en démêler les problématiques sociales et ethniques.

Dix ans plus tard, si Clichy-sous-Bois est devenu méconnaissable grâce à un ambitieux programme de rénovation urbaine, le sentiment d'abandon n'a pas reculé dans de nombreux quartiers en France, récemment qualifiés de "ghettos" par le Premier ministre socialiste Manuel Valls, après les attentats commis en janvier à Paris par des jeunes jihadistes français. Il a aussi évoqué "un apartheid territorial, social, ethnique".

'Un ballon, pas des explosifs'

L'enquête judiciaire sur le drame de Clichy-sous-Bois mettra dix ans à aboutir à un procès, contre l'avis du parquet partisan d'un classement mais sur l'insistance des parents des victimes, soutenus par des associations et des élus.

En 2007 deux policiers, Sébastien Gaillemin, 41 ans, qui était sur place, et Stéphanie Klein, 38 ans, au standard du commissariat, sont mis en examen (inculpés) sur la base de leurs échanges radio. Ils sont soupçonnés d'avoir eu conscience que les jeunes risquaient leur vie en pénétrant dans l'enceinte du transformateur et de ne rien avoir fait.

Un temps poursuivis pour mise en danger de la vie d'autrui, ils seront finalement jugés pour non assistance à personne en danger. Ils encourent au maximum cinq ans de prison et 75.000 euros d'amende. Leur procès doit durer cinq jours.

"Certains n'ont jamais voulu que cette affaire soit jugée", critique l'avocat des parties civiles, Me Jean-Pierre Mignard, pour qui "il y a eu une volonté d'exténuer cette procédure en la retardant au maximum. Ça a failli réussir", relève-t-il.

"Mes clients sont soulagés de pouvoir être enfin entendus, parce qu'ils ont la conviction de n'avoir commis aucune faute, aucune erreur", affirme Me Daniel Merchat, le défenseur des policiers, qui sont toujours en fonction et n'ont pas été sanctionnés.

Zyad et Bouna "n'étaient pas des délinquants", insiste Adel Benna, 39 ans, grand frère de Zyad. "Ils avaient un ballon dans les mains, pas des explosifs. Pourquoi les policiers leur ont-ils couru après?".

14 mars 2015

Christian GAUVRY, Valentin BONTEMPS

Source : AFP

Google+ Google+