lundi 25 novembre 2024 06:11

France : La loi sur le voile intégral sera difficile à mettre en œuvre

Le Sénat examine mardi 14 septembre le projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public. S’il est voté dans la même version qu’à l’Assemblée, le texte sera, dans la foulée,définitivement adopté. Policiers et juristes s’interrogent déjà  sur son application

«Nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage. » C’est sur le fondement de l’article premier de la loi que les forces de l’ordre devront, à l’avenir, verbaliser les femmes portant le voile intégral, si le Sénat entérine définitivement le texte qui lui est soumis.

Juristes et forces de l’ordre redoutent déjà que ce projet de loi ne se révèle très difficile à appliquer dans les différents lieux concernés que sont la rue, les cités, les magasins, les transports et les points d’entrée en France, comme les aéroports.

Dans la rue. Le voile sera ôté à l’abri des regards

Comme pour n’importe quelle infraction commise sur la voie publique, les policiers verbaliseront immédiatement les femmes portant un voile intégral. En ce cas, la vérification d’identité risque d’attiser les tensions. Car si la contrevenante refuse de lever son voile, elle sera emmenée au poste. « On lui permettra de s’isoler dans une pièce à part, où elle montrera son visage à l’une de nos collègues femmes », précise Jean-Marc Bailleul, secrétaire général adjoint du Syndicat national des officiers de police (Snop). Et ce à l’instar des dispositifs à l’œuvre pour la fouille à corps.

Une fois le procès verbal établi, rien n’empêchera la contrevenante de repartir en niqab… « Dans les faits, les policiers n’auront pas les moyens de faire cesser l’infraction, note la juge Virginie Valton, secrétaire nationale de l’Union syndicale des magistrats (USM). De l’extérieur, on aura donc l’impression que l’action des forces de l’ordre n’a aucune incidence. »

La justice convoquera ensuite les femmes verbalisées. C’est aux juges de proximité qu’il reviendra, in fine, d’opter pour une amende (entre 22 et 150€) et/ou un stage de citoyenneté.

Dans les cités. Les forces de l’ordre ne feront pas d’excès de zèle

Sur le papier, la loi s’applique bien évidemment sur l’ensemble du territoire. Reste que, dans les faits, les policiers se disent convaincus qu’on ne les enverra pas dans les banlieues sensibles pour verbaliser les femmes intégralement voilées. « Notre hiérarchie nous demande déjà d’éviter au maximum les cités difficiles de peur que le moindre incident n’embrase le quartier, alors vous croyez vraiment qu’on va nous dépêcher dans les quartiers salafistes pour combattre le voile ? » ironise un policier de la Seine-Saint-Denis.

Sauf à se voir imposer un quota de verbalisations à effectuer, nombre de policiers avouent déjà ne pas vouloir faire de zèle pour faire appliquer la loi. « On se contentera de verbaliser les femmes présentes en centres-villes, pas plus », précise l’un d’eux. Les femmes appartenant à la communauté salafiste, et qui vivent d’ores et déjà souvent quasi recluses chez elles, ne devraient donc pas être inquiétées.

Dans les aéroports. L’entrée sur le territoire se fera sans voile, mais après…

Jusqu’ici, les femmes venant du Maghreb, et plus encore du Moyen-Orient, ne devaient se plier qu’à un seul impératif : décliner leur identité. « Pour cela, elles doivent se dévoiler afin qu’on vérifie que le passeport présenté est bien le leur, précise Cédric Castes, à la Police de l’air et des frontières de l’aéroport de Roissy (Val-d’Oise). Si elles refusent de se dévoiler, on peut leur interdire l’accès au territoire. »

Si la loi sur le voile intégral est votée en l’état, ces mêmes femmes auront désormais l’obligation de vivre à visage découvert durant tout leur séjour en France. Faute de quoi, elles ne devraient pas échapper à la verbalisation.

Reste toutefois à savoir si la justice française pourra matériellement sanctionner les touristes qui, par définition, ne restent qu’un temps limité dans l’Hexagone. « Le passage devant un juge de proximité se fait, en moyenne, entre trois et six mois après l’infraction, confirme le président de chambre à la cour d’appel de Caen, Henry Ody. Et on ne va certainement pas désorganiser les audiences pour faire passer les touristes en priorité. » Dans les faits donc, les ressortissantes étrangères pourraient échapper à la justice.

Dans les commerces et services. Rien ne devrait changer

Pour le moment, il n’y a guère que dans les banques que l’on exige des usagers d’avoir le visage découvert dans le sas d’entrée, pour des raisons de sécurité. Ailleurs, le client est roi et la loi ne devrait pas y changer grand-chose.

« Je n’ai jamais reçu la moindre plainte de commerçant ou de responsable de grande surface à propos du voile intégral, constate Stéphane Fustec, secrétaire général de la fédération du commerce et des services. A priori, une interdiction n’y changera rien. Plus particulièrement, je ne vois vraiment pas comment cette mesure serait applicable dans les magasins de luxe. La clientèle que nous recevons des Émirats arabes unis a l’habitude qu’on lui passe tous ses caprices. Elle ne tolèrera pas qu’on lui demande d’enlever le voile. »

En mai dernier, deux femmes, l’une complètement voilée, l’autre pas, en étaient venues aux mains dans un centre commercial Auchan, en périphérie de Saint-Nazaire, après des remarques sur la tenue de la musulmane. L’affaire a été portée devant les tribunaux.
« La loi, si elle est votée et qu’elle s’applique également aux centres commerciaux – ce qui est très hypothétique puisqu’il s’agit d’un espace certes ouvert à tous, mais néanmoins privé –, permettra peut-être d’éviter ce genre d’altercation, estime Joseph Thouvenel, en charge des commerces à la CFTC. Mais que fera-t-elle, réellement, pour le vivre-ensemble ?» s’interroge-t-il.

Dans les transports. Circulez, il n’y a rien à voir

Dans les gares et trains, il y a bien des agents de la Surveillance générale – la police interne de la SNCF –, mais ils n’ont pas vocation à faire appliquer la loi. « Les agents n’ont pas le pouvoir d’interpeller les femmes en niqab ni d’exiger d’elles qu’elles retirent leur voile, dit-on à la compagnie ferroviaire. La seule chose qu’ils pourraient faire, si la loi est votée, serait de retenir ces femmes et d’appeler un officier de police judiciaire qui les attendra en gare d’arrivée. De même, les contrôleurs ne pourront pas imposer de voir le visage d’une femme qui porte le voile intégral, si celle-ci est en possession d’une carte de transport avec photo. »

À la RATP, les services de contrôle client (SCC) et le groupe de protection et de sécurité des réseaux (GPSR) ne sont pas plus habilités à verbaliser en cas d’infraction. « Cela m’est arrivé une fois dans ma carrière de contrôler une passagère portant la burqa, explique Laurent Pouille, de la CFTC-RATP. Je lui ai demandé son titre de transport, comme à tous, mais j’ai misé sur sa bonne foi concernant son identité. La loi pour moi ne changera rien. Peut-être que d’autres agents feront du zèle en appelant la police. Mais sincèrement, si nous devions retenir ces femmes, nous irions au devant de situations très conflictuelles qui gêneraient l’ensemble des passagers. Cela n’est pas tenable. »

Source : La Croix

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