mercredi 27 novembre 2024 19:48

France: Le droit de vote des étrangers aux élections locales en question

C'est l'un des clivages les plus nets entre François Hollande (favorable) et Nicolas Sarkozy (opposé). En réalité le débat est ancien et les arguments nombreux. "L'Obs" fait le point.

François Hollande persiste et signe. S’il est élu, le vote des étrangers non communautaires aux élections locales, c'est presque maintenant : "Il n'y a pas d'échéance particulière, mais je dirais en 2013, avant les élections de 2014, puisqu'il y a des élections locales qui sont prévues en 2014". Une seule condition est posée : qu’ils résident sur le territoire français depuis au moins cinq ans.

La France deviendrait alors le 14e pays européen à accorder le droit de vote à ses résidents étrangers non ressortissants d’un pays de l’UE. Le débat n’est pourtant pas nouveau dans l’Hexagone. Dès 1981, l’octroi du droit de vote aux étrangers figure parmi les 110 propositions de François Mitterrand. Mais une fois élu, le président socialiste ne la met pas en œuvre. Et depuis trente ans, le débat revient régulièrement sur le devant de la scène politique.

Cette fois encore, la proposition de François Hollande a fait polémique. La dimension électoraliste est évidente, tant pour le Parti socialiste, qui l’a ressortie des cartons en décembre en vue de la présidentielle de 2012, que pour l’UMP, qui tente désespérément de grappiller les voix du Front national pour le second tour. Mais au-delà de l’enjeu politique de l’entre-deux tours, la question de fond reste entière. Faut-il choisir le « oui » comme 61% des Français sondés ? Pour y voir plus clair, le "Nouvel obs" fait le tour des arguments, pour et contre.

POUR

Garantir l’égalité de droits entre les citoyens européens et les étrangers non communautaires. C’est l’argument principal invoqué par les partisans de la mesure. "Vous êtes roumain ou bulgare, vous êtes en France depuis six mois, vous avez le droit de vote aux élections locales" alors qu'un Marocain "en France depuis vingt ans" n'a "pas le droit de participer au choix des élus municipaux. (...) Lorsqu'une personne est en France, en règle depuis plus de 10 ans, qu'elle paye ses impôts, elle a le droit de dire quelque chose sur la collectivité locale à laquelle elle appartient", explique François Bayrou, qui a voté pour le texte proposé par la majorité socialiste au Sénat, en décembre dernier. Depuis 1992, le traité de Maastricht impose le droit de vote aux élections locales de tout citoyen de l'Union où qu'il réside en Europe et sans condition de durée.

Le droit de vote aux élections locales, un facteur d’intégration pour les immigrés. L’objectif : éviter le repli communautariste d'étrangers cantonnés à un statut de citoyens de "seconde zone". "C'est la spécialité de la France d'essayer d'arriver à l'intégration, selon nos normes et nos valeurs", expliquait Alain Duhamel sur RTL en décembre, en désaccord avec Jean-Michel Apathie. "Le droit à la parole politique est aussi importante que le droit à la santé ou à l'éducation", expliquait pour sa part Roland Ries, maire PS de Strasbourg en février 2011 . "La cohésion sociale ne se décrète pas mais se construit." L’élu est à l'origine de l’appel solennel lancé au Sénat par 26 maires de gauche en faveur de l’ouverture du droit de vote aux étrangers. Pour le Parti socialiste, le droit de vote aux municipales est également censé "sensibiliser les Français issus de l’immigration à la participation démocratique".

Les immigrés payent des impôts, donc ils doivent pouvoir voter. Cette vieille conception économique du droit de vote, issue du régime parlementaire anglais au XVIIe siècle, est souvent mise en avant : "no taxation without representation". Autrement dit, celui qui paye a le droit de participer aux décisions qui concernent la collectivité. Il n'y a donc aucune raison de refuser le vote à l'étranger, qui contribue fiscalement comme n’importe quel citoyen français. Le problème de cette conception, c'est que la légitimité du droit de vote dépend de la contribution. Conséquence, on peut donner le vote aux étrangers... mais pas aux pauvres. Ce qui reviendrait à établir un suffrage censitaire et non plus universel.

CONTRE

Droit de vote et citoyenneté sont indissociables dans la tradition républicaine. L’argument est brandi de concert par l’UMP – bien que Nicolas Sarkozy ait prétendu le contraire, avant de se rétracter - et l’extrême droite : la citoyenneté est une et indivisible. L’ancien président du Conseil constitutionnel Pierre Mazeaud avait résumé cette position : "Si un étranger a de profondes attaches avec la France et souhaite participer pleinement à la vie de la cité, plutôt que d’accéder à un simple strapontin aux élections locales, il faut lui ouvrir la seule voie digne de ses aspirations : la voie royale de la naturalisation. La citoyenneté ne se transmet pas en pièces détachées." Une opinion partagée par l’ancien socialiste Jean-Pierre Chevènement, qui s’est prononcé contre "le saucissonnage de la citoyenneté". Sauf que comme le rappelle Alain Duhamel, toujours sur RTL, "l’idée selon la quelle l’accès à la nationalité est facile, elle est fausse".

"Si tu veux voter chez moi, je dois pouvoir voter chez toi". C’est la condition qu’avait posée Nicolas Sarkozy dans son livre "Libre", publié en 2006. Il s’était alors déclaré favorable, sous réserve de "réciprocité" avec leur pays d’origine, au vote des immigrés hors Union européenne aux élections locales françaises. Plusieurs pays européens comme l’Espagne et le Portugal ont adopté ce droit de vote partiel. Un étranger peut voter en Espagne à condition que les ressortissants espagnols aient le droit de vote dans son propre pays. Mais sans traité, pas de droit de vote. Cela n’est donc valable que pour les ressortissants des pays avec lesquels l’Espagne et le Portugal ont préalablement signé un accord bilatéral.

Le droit de vote aux étrangers : la tentation du vote communautaire. Le président sortant Nicolas Sarkozy expliquait ce positionnement en novembre dernier: "c’est prendre le risque de diviser les Français". Ou encore, en mars : "donner le droit de vote au moment des municipales à une communauté étrangère c'est prendre le risque d'un vote communautaire". Argument prolongé par Claude Guéant, quitte à prendre certaines libertés avec la réalité. "Cela veut dire que nous pourrions avoir des maires étrangers. Très franchement, je n'ai pas envie de voir dans le département de la Seine-Saint-Denis, qui a une forte population étrangère, la majorité des maires devenir étrangers", affirmait le ministre de l’Intérieur en décembre. Un non-sens, puisque les étrangers seront éligibles uniquement pour les fonctions "non exécutives", c'est-à-dire seulement à la fonction de conseiller municipal. Ni plus ni moins que les étrangers ressortissants de l’Union européenne.

28/4/2012, Célia Lebur

Source : Le Nouvel Observateur

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