mercredi 27 novembre 2024 01:36

France : Les diplômés étrangers en colère contre la "circulaire Guéant"

Fraîchement diplômée de l'école de management de Grenoble, Yasmine, Tunisienne de 24 ans, a été embauchée en mai dernier par un cabinet de conseil parisien.

Mais alors qu'elle attendait que son changement de statut, d'étudiante à employée, soit validé par la préfecture, une lettre de refus de permis de travail est arrivée fin septembre sur le bureau de son employeur.

Cette lettre évoquait "l'inadéquation" entre ses études et son poste. Depuis, Yasmine a reçu une obligation de quitter le territoire français sous trente jours.

"Dans deux ou trois semaines, je serai dans la clandestinité", dit-elle avec fatalité, dans l'attente du résultat de son recours auprès du ministère de l'Intérieur.

Comme elle, plusieurs centaines d'étudiants étrangers diplômés des universités et grandes écoles françaises comme Sciences Po, Centrale ou encore HEC, font face depuis plusieurs mois à des difficultés inédites pour passer du statut d'étudiant à celui d'employé et obtenir une expérience professionnelle en France.

En cause, une circulaire du 31 mai dernier adressée aux préfets de région et de département par le ministre de l'Intérieur, Claude Guéant, et le ministre du travail, Xavier Bertrand.

Cette circulaire, qui a pour objet la "maÂŒtrise de l'immigration professionnelle", demande aux préfets d'instruire "avec rigueur" les demandes d'autorisation de travail des étudiants, et d'exercer un "contrôle approfondi" des demandes de changement de statut des étudiants étrangers hors Union européenne.

"Les étudiants étrangers ont prioritairement vocation, à l'issue de leur séjour d'études en France, à regagner leur pays pour y mettre en oeuvre les connaissances acquises", souligne-t-elle.

L'OPPOSITION A LA CIRCULAIRE S'ORGANISE

Fin septembre, une centaine d'étudiants français et étrangers ont formé un collectif pour protester contre cette circulaire. A ce jour, il recense près de 500 jeunes diplômés qui risquent d'être renvoyés dans leur pays malgré une offre d'emploi qui correspond à leur formation. Le collectif du 31 mai estime qu'entre 8.000 et 10.000 étudiants sont concernés par cette directive.
Ces dernières semaines, de nombreuses voix se sont élevées dans le monde politique, syndical et de l'enseignement pour soutenir le collectif et demander le retrait de la circulaire du 31 mai.

La Conférence des grandes écoles (CGE), la Conférence des présidents d'université (CPU) et l'Association française des entreprises privées (Afep) ont exprimé leur inquiétude au ministre de l'Intérieur. Mardi, la sénatrice socialiste de Paris et vice-présidente du Sénat Bariza Khiari a même présenté une proposition de résolution sur le sujet. Cette proposition, jugée recevable par le gouvernement, devrait bientôt être inscrite à l'ordre du jour du Sénat.

Pour Bariza Khiari, l'application de la circulaire du 31 mai est en contradiction avec la loi du 24 juillet 2006, d'après laquelle la situation de l'emploi en France n'est pas opposable aux étudiants étrangers titulaires d'un diplôme équivalent master.

"Les termes du contrat qui a été proposé (aux étudiants étrangers) ne sont pas respectés, donc il y a une forme d'escroquerie intellectuelle", a-t-elle déclaré lors d'une conférence de presse, ajoutant que ce texte menaçait le rayonnement culturel, économique et scientifique de la France.

"Nous savons bien que dans les années à venir (ces étudiants seront) les meilleurs ambassadeurs de l'économie française (...) donc le gouvernement (...) se tire une balle dans le pied", a-t-elle dit. "Des ambassadeurs humiliés ne sont plus des ambassadeurs", a-t-elle ajouté.

UNE TRADITION D'ACCUEIL EN QUESTION

En 2010-2011, la France a accueilli plus de 280.000 étudiants étrangers (en comptant les étudiants européens), d'après CampusFrance. Ils représentent 12% du total des étudiants et 41% des doctorants. La France est ainsi le quatrième pays au monde d'accueil des étudiants internationaux, après les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie.

Une attractivité que certains acteurs du monde de l'éducation craignent de voir entamée avec cette circulaire.

"On pense ce qu'on veut du classement de Shanghai, mais ce qu'on fait avec cette circulaire, c'est une atteinte directe au classement de nos universités, de nos grandes écoles", a dit à la presse Jean-Yves Leconte, sénateur socialiste représentant les Français de l'étranger.

De nombreux étudiants soulignent en effet l'importance d'acquérir une première expérience professionnelle à l'étranger avant de retourner dans leur pays natal.

Face à la colère grandissante des milieux éducatifs, le ministre de l'Enseignement supérieur Laurent Wauquiez avait déclaré dans un entretien au journal Le Monde début octobre que la circulaire serait "corrigée". Mais il avait par la suite défendu le texte à l'Assemblée nationale.

Aujourd'hui, le ministère propose aux universités et grandes écoles de revoir les dossiers des étudiants au cas par cas. Sur près de 500 dossiers d'étudiants étrangers, 75 ont été revus positivement, d'après le collectif. Un traitement "purement technique", qui ne satisfait pas les détracteurs du texte.

"Le problème est tellement grave qu'il faut aussi un traitement politique", estime Pierre Aliphat, délégué général de la Conférence des grandes écoles.

Le collectif du 31 mai devait déposer mercredi un recours auprès du Conseil d'Etat pour demander l'annulation du texte. Les représentants des établissement d'enseignement supérieur devraient par ailleurs être reçus au ministère de l'Enseignement supérieur sous peu pour "faire le point" sur le sujet.

16/11/2011, Patrick Vignal

Source : Reuters  

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