samedi 30 novembre 2024 08:37

Ghettos de la République : "Un désintérêt qui a trop duré"

M ohand Khellil, professeur émérite de sociologie à l'université de Montpellier III, évoque la question des quartiers pauvres en Languedoc-Roussillon. a trop duré".

Comment en est-on arrivé là, alors que la France est réputée pour être une terre d'accueil ?

On en est arrivé là car, au départ, il y a eu le problème de la colonisation. La France traîne un boulet énorme : la guerre d'Algérie qui, encore aujourd'hui, ressurgit au moindre acte de violence impliquant un “Arabe”, un “Maghrébin”. Or, les gouvernements successifs ne se sont pas intéressés à la question. Le sujet de l'intégration ne leur amenait pas de voix. Aujourd'hui, on peut le dire : le désintérêt a duré trop longtemps.

Des populations ont donc été abandonnées à leur sort ?

Remettons-nous dans le contexte, au tout début : pour les politiques, l'exil de ces populations émigrées devait être provisoire. Mais ça a duré. Puis, dans les années soixante-dix, il y a eu la crise du pétrole. Sont venus ensuite les regroupements familiaux. À l'époque, il y a eu des actes de rejet, parfois étonnants : certains pompistes refusaient de servir les émigrés en réaction.

Peut-on parler de ghettoïsation des quartiers pauvres ?

Franchement, non. La mixité sociale existe, même si elle est encore faible. Alors, quand on est haut responsable politique, il y a des mots qu'on ne peut pas employer. Comment voulez-vous convaincre, ensuite, des enseignants d'aller travailler dans ces quartiers, si vous-même vous parlez de ghettoïsation ?

Que peut faire l'école ?

L'école n'a jamais valorisé la culture des migrants. Or, avec leurs descendants, ces populations issues de l'immigration se comptent en millions d'habitants en France. Il faut donc que l'école adapte ses programmes, explique les religions en tant qu'éléments de compréhension de l'histoire et de la culture de l'autre. Je compte beaucoup sur elle ; elle favorise l'intégration.

Mais n'est-ce pas trop tard ?

Les actes malveillants, les règlements de comptes sont le fait d'une minorité. Qui éclabousse la communauté à laquelle elle appartient. Ça ne doit pas faire oublier que, dans son écrasante majorité, cette communauté est intégrée, est dans la société de consommation, suit les modes...

L'apparition du voile intégral ?

Ce n'est pas une tradition du Maghreb. Je le vois donc comme une réponse au rejet économique et social de personnes qui se sentent exclues, discriminées.

(1) Il est l'auteur de “Sociologie de l'intégration” aux PUF, Que sais-je ?.

Le contexte : la France du dessous

Faut-il les appeler les ghettos de la République ? Toujours est-il que le Premier ministre n’a pas fait dans la dentelle mardi dernier lorsqu’il a parlé d’apartheid territorial pour évoquer ces enclaves sociales. Nous avons voulu vérifier sur le terrain, sans chiffres ni courbes, ce que nous pouvions ressentir en passant une journée dans ces quartiers perclus de difficultés. Dimanche dernier, le Journal du Dimanche a produit une carte de France dans laquelle apparaissent 64 “ghettos de la République” répartis dans 38 villes. Les critères : 11 000 € de revenus annuels pour la moitié des habitants, plus de 23 % de chômage, 33 à 50 % d’immigrés ou enfants d’immigrés, 30 à 50 % de familles monoparentales... Quatre villes de notre région surgissent, avec trois quartiers dits “noirs” pour Nîmes. Certaines cités comme Valdegour (Nîmes) ou la Devèze (Béziers) n’y figurent pas, l’un des critères n’étant pas rempli. Midi Libre a voulu aller à la rencontre de ces gens qui vivent cette misère. Entre les barres de La Paillade à Montpellier ou les petits collectifs de Nîmes, voire les maisons délabrées de Saint-Jacques à Perpignan, y a-t-il des similitudes ? Dans cette “favela” du Roussillon, il y a peu d’insécurité, alors que Pissevin à Nîmes pourrait effrayer. Les différences sont évidentes. Un seul point commun : nous avons rencontré la France la plus en difficulté. Ce n’est plus la France d’en bas, c’est la France du dessous.

29/1/2015 P, BRUYNOOGHE

Source : midilibre

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