mercredi 27 novembre 2024 19:38

Guerre aux migrants : l'arme de l'externalisation

Au Conseil JAI (Justice et Affaires Intérieures) des 12 et 13 mars 2015 les ministres de l'Intérieur des Etats-membres de l'UE sont convenus de renforcer la coopération avec les pays tiers en vue d'une gestion efficace des flux migratoires : ainsi l'UE ne fait que poursuivre la politique d'externalisation entamée au début des années 2000.Parmi les autres résultats du Conseil : il importe également de renforcer la surveillance aux frontières extérieures et d'augmenter les ressources et les capacités opérationnelles de Frontex. Les ministres ont également insisté sur le fait que, pour protéger les migrants et leur sauver la vie, la lutte contre les réseaux criminels de passeurs et de trafiquants devait rester une priorité.

Le renforcement de la coopération (en novlangue européenne capacity building) signifie formation des polices, construction de camps d'enfermement, contrôles aux frontières. En bref, en échange de subsides, l'UE et ses Etats-membres se déchargent sur des pays tiers, souvent des dictatures, des obligations qui leur incombent en vertus des grands textes de protection des droits de l'homme dont ils sont signataires.

Cette annonce de coopération a pu être prise comme une nouveauté de la politique migratoire européenne : il n'en est rien, l'UE ne fait que poursuivre la politique d'externalisation entamée au début des années 2000.

Euphémisme venu de la sphère économique pour moderniser et valoriser les vieilles pratiques de sous-traitance, l'externalisation dans le domaine des politiques d’asile et d’immigration suit une quadruple logique : délocaliser, sous-traiter, privatiser, déresponsabiliser.

Corollaire : le business du contrôle des frontières par l'industrie privée (lire Xénophobie Business, Claire Rodier, La Découverte, 2012)

En 2001, la Commission a commandé une étude sur « l’examen des demandes d’asile à l’extérieur de l’Union » (Étude de faisabilité réalisée par le Danish center for human rights et le Danish refugee council). Cette étude remise en décembre 2002 recommande que les États membres envisagent des « modes d’entrées protégées »qui soient « complémentaires » des régimes d’asile existants.

En 2003, la Commission a publié une communication sur la politique commune d’asile Vers une procédure d’asile commune et un statut uniforme, valide dans toute l’Union, pour les personnes obtenant l’asile (COM(2000)755 final). Selon elle, « la crise du système d’asile est de plus en plus évidente et un malaise grandissant est ressenti par l’opinion publique ». Elle cite « un gonflement des flux composés à la fois de personnes ayant légitimement besoin d’une protection internationale et de migrants utilisant les voies et les procédures d’asile pour accéder au territoire des États membres » ; « ce phénomène constitue une menace réelle pour l’institution de l’asile ».Il apparaît nécessaire d’envisager de « mieux investir les importants moyens humains et financiers » et, parmi les objectifs, figure « la consolidation de l’offre de protection dans la région d’origine ».

Cette communication de 2003 était une réponse à un projet de Tony Blair, alors premier ministre anglais de février 2003, intitulé UK New Vision for refugees, et à une une correspondance officielle de Tony Blair à Costas Simitis, (à l’époque président grec en exercice de l’Union Européenne) intitulée New international approches to asylum processing and protection du 10 mars 2003 en anglais et en traduction française

Contre ces projets, un Appel européen Contre la création de camps aux frontières de l’Europe avait été lancé par Migreurop en 2004

A l'été 2004, relance d'un projet italo-allemand d’établissement de camps en Afrique du Nord. Même si, au G5 de Florence (17-18 octobre 2004), aucun accord n’est atteint sur ce projet, il s’agit là d’un saut qualitatif extrêmement grave : les institutions européennes ont intégré et fait accepter l’idée que les camps externalisés sont un instrument de la politique d’asile, qui n’est plus conçue, à l’instar des politiques d’entrée-séjour, que comme un outil de gestion policière et utilitariste des flux migratoires. D'autant que dans la foulée la Libye voit lever les différents embargos et devient un partenaire obligé et privilégié de la guerre aux migrants : l’Italie négocie avec le gouvernement du colonel Kadhafi les moyens d’arrêter et de refouler les migrants africains en transit par la Libye.

Le 28 novembre 2014 est lancé le processus de Khartoum, qui a pour objectif la « gestion des routes migratoires en provenance de la Corne de l’Afrique » ; à cette réunion participent, en plus des 28 états-membres de l’UE, la Libye, l’Égypte, le Soudan, le Sud Soudan, l’Éthiopie, l’Érythrée, Djibouti, la Somalie, le Kenya, la Tunisie, pays qui pour la plupart n’offrent aucune garantie concernant les droits de l’homme ou, comme en Érythrée ou au Soudan, sont dirigés par des dictatures sanguinaires.
Le processus de Khartoum doit se concentrer, d’après le gouvernement italien, sur un thème de « grande urgence » : la lutte contre le trafic des migrants (smuggling) et la traite (trafficking). Il pourra par la suite impliquer d’autres thèmes, en cohérence avec les priorités de l’UE (migration régulière, migration irrégulière, migration et développement et protection internationale).
On retrouve le processus d’externalisation lancé en février 2004 : arrêter les exilés en instituant des camps dans les pays de transit aux régimes souvent dictatoriaux. Même si quelques mois plus tard Dimitris Avramopoulos, le commissaire européen chargé de ce dossier, affirme que «nous ne devons pas être naïfs. Le fait que nous coopérions avec des régimes dictatoriaux ne signifie pas que nous les légitimions. Mais nous devons coopérer là où nous avons décidé de lutter contre la contrebande et la traite des êtres humains» (AFP, 14 mars 2015).

15 juillet 2015, migreurop

Source : mediapart.fr

Google+ Google+