mardi 26 novembre 2024 06:36

Günter Wallraff: «Je mets ma vie en jeu»

Maquillé et perruqué, le journaliste allemand Günter Wallraff a pris l’identité de Kwami Ogonno, un immigré somalien vivant en Allemagne. Pour son film, il a travaillé avec une caméra cachée et un réalisateur le suivant à distance.

Après avoir connu la célébrité avec «Tête de Turc», Günter Wallraff a vécu un an dans la peau d’un Somalien en Allemagne. Il en a tiré un film choc sur le racisme.

Kwami Ogonno est un immigré somalien vivant en Allemagne. Parce qu’il cherche un appartement, un boulot, une place de camping ou juste parce qu’il invite une femme à danser, il subit toutes les formes du racisme ordinaire. Les yeux qui se baissent, le rejet, les refus, les insultes. Il est même passé à un cheveu d’être lynché.

Sauf qu’Ogonno n’existe pas: c’est un personnage campé par Günter Wallraff. Sous la teinture et la perruque se cache ce journaliste allemand qui a connu la célébrité dans les années 1980 avec son livre «Tête de Turc». Grimé en ouvrier, il avait vécu et raconté les brimades et terribles conditions de travail de la communauté exilée.

Günter Wallraff n’a en fait jamais cessé de pratiquer ses enquêtes sous couverture, en infiltration, empruntant des identités pour dénoncer les conditions de vie des plus démunis. Mais en se muant en Kwami Ogonno, il a frappé un grand coup, travaillant un an durant avec une caméra cachée et un réalisateur le suivant à distance. Le résultat, «Noir sur blanc», est sorti en 2009 en Allemagne. Et diffusé ce soir sur Arte.

Le film a frappé les spectateurs. Et suscité la polémique. Parce que, pour ses détracteurs, Wallraff campe un personnage caricatural qui se met dans des situations improbables. Ou parce que le journaliste ne tend jamais le micro à des vrais Somaliens vivant en Allemagne.

Wallraff ne semble pas s’en préoccuper. Il poursuit son travail de militant. Continue à se déguiser pour raconter, intimement, le vécu des exploités ou rejetés. Joint hier par téléphone, il se dit fier d’avoir fait des émules. Comme la Française Florence Aubenas, qui a partagé la vie de femmes de ménage travaillant sur un ferry. Ou l’Italien Fabrizio Gatti, qui s’est mêlé à des immigrants africains. Interview.

Günter Wallraff, qu’est-ce qui vous a le plus surpris durant votre enquête?

Que ce qui reste déterminant dans le racisme, c’est la couleur de peau.

Quelle a été la pire situation dans laquelle vous vous êtes retrouvé?

De manière générale, les réactions sont plus violentes en ex-Allemagne de l’Est. A Dresde, dans un train, j’ai vraiment eu peur pour ma vie. J’étais le seul Noir d’un wagon face à des hooligans toujours plus agressifs. Il a fallu que la police intervienne. A l’Ouest, le racisme est verbal, moins physique.

Au quotidien, à quoi ressemble le racisme ordinaire?

Les menaces sont permanentes et les refus sont partout, que ce soit pour un appartement ou pour un emploi.

Ceux qui se montrent hostiles envers vous n’ont pas demandé à être floutés à l’écran, comment est-ce possible?

Leur réaction a été de dire à leurs copains qu’ils passaient à la télé! Ils sont fiers de se prendre pour des acteurs…

Pensez-vous que le racisme augmente?

Disons qu’il n’est pas toujours dirigé contre les mêmes communautés. Depuis la parution de mon livre «Tête de Turc», dans les années 1980, les mentalités ont évolué. En Allemagne, les Turcs sont maintenant par exemple socialement bien établis.

Pensez-vous que le «niveau de racisme» est égal partout en Europe?

En Autriche comme en Allemagne, oui, mais pas à Londres, où les Noirs ne rencontrent aucun problème dans la vie quotidienne. Cette normalité doit aussi exister dans des villes suisses au rayonnement international, comme Genève ou Zurich.

Vous ne cessez de dénoncer le racisme. Mais il y a bien dû avoir aussi des gens sympas avec vous lorsque vous étiez grimé?
Mais oui. A Munich, un homme s’est interposé alors que j’étais pris à partie dans un restaurant. Mais c’était un étranger qui avait connu les mêmes difficultés d’intégration.

Au final, avec toutes vos enquêtes sous couverture, ne donnez-vous pas l’impression que nous sommes tous xénophobes?

En aucun cas! Ce n’est en tout cas pas mon intention. J’affirme même que la majorité de la population n’est pas raciste: sa vision est internationale et elle n’a que faire du nationalisme. Ce qui n’empêche pas qu’il existe une minorité puissante qui sait se faire entendre.

Depuis des décennies, vous vous glissez dans la peau d’étrangers, de démunis, de petits. Et dressez toujours un constat terrible. N’est-ce pas déprimant?

J’ai 68 ans, mais avec ma perruque, j’en faisais 20 de moins, pas de quoi déprimer! Sérieusement, ce rôle m’a fait entrer dans un autre monde. En sortir implique pour moi six à sept semaines de cauchemars, mais pour améliorer l’intégration, j’accepte de mettre ma vie en jeu. Et ma satisfaction, c’est aussi d’avoir fait des émules, que ce soit en France et en Italie.

Source : Le Matin.ch

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