Manuel Valls a présenté pour la première fois, vendredi 31 janvier, un bilan complet chiffré de son action en matière d'immigration, depuis qu'il a pris les rênes du ministère de l'intérieur. Des indicateurs tous à la hausse (+ 2 % d'éloignements forcés, + 6 % de visas étudiants ; + 13 % de naturalisations) ainsi que des régularisations « maîtrisées ». Les preuves d'un bilan « transparent » et satisfaisant, s'est-il félicité.
Principal enjeu pour M. Valls, ce vendredi : ne pas apparaître trop « laxiste » tout en ménageant son aile gauche. Une ligne politique sur laquelle il surfe depuis ses débuts, mais qui a pris une tournure plus délicate, ces dernières semaines, alors que la droite a justement enclenché une guerre des chiffres à son encontre et qu'il sait sa popularité en grande partie tirée de sa fermeté affichée sur les questions de sécurité et d'immigration.
Pour s'en sortir, M. Valls devait réussir à convaincre sur deux chiffres clés : les éloignements d'étrangers en situation irrégulière et les régularisations. La tâche la plus ardue concernait surtout les premiers, les chiffres globaux bâtis à l'époque de l'ancienne majorité montrant une légère baisse entre 2012 et 2013 : de 21 800 à 20 800.
LES « MIRAGES STATISTIQUES »
Au procès en laxisme, M. Valls a donc choisi, vendredi, de riposter par la dénonciation des « mirages statistiques » qu'auraient construit autrefois la droite pour afficher des bilans d'expulsions sans cesse en hausse. « Je ne peux pas laisser dire que le précédent gouvernement incarnait la fermeté », a-t-il notamment déclaré lors d'une conférence de presse organisée place Beauvau.
Lire nos explications : Guerre des chiffres sur les expulsions de sans-papiers
Le chiffre de 20 800 avancé par la droite, même s'il n'est pas contesté par Beauvau, n'a aucune valeur, a attaqué M. Valls, ce chiffre agrégeant des retours contraints, mais aussi « spontanés », sans intervention des forces de l'ordre. Ce chiffre, a-t-il précisé, était en outre constitué pour moitié (10 800) d'expulsions d'étrangers vers des pays de l'Union européenne. Soient des expulsions certes moins chères, mais peu « efficaces », les étrangers pouvant relativement facilement revenir grâce à la libre-circulation au sein de l'espace Schengen.
Avec cette analyse, M. Valls en a déduit que seuls les éloignements en dehors de l'UE avaient une valeur « qualitative ». Des éloignements au nombre de 4 600 et pour le coup, en légère hausse entre 2012 et 2013 (+13 %), après un effondrement observé sous Nicolas Sarkzoy (-65 %). De façon globale, le ministre s'est aussi targué d'avoir obtenu une hausse de 2 % des expulsions forcées (inclues donc celles à l'intérieur de l'UE).
DISCRÉTION SUR LES RÉGULARISATIONS
A l'inverse de ce savant argumentaire chiffré, le ministre de l'intérieur s'est retranché derrière des données minimalistes concernant les régularisations effectuées au titre de la circulaire de novembre 2012, favorisant l'accès au séjour des étrangers sans-papiers résidant en France depuis au moins cinq ans. Ces régularisations sont « aux alentours de 10 000 », a maintenu M. Valls, en basant son estimation sur le nombre de titres de séjour accordés pour raisons familiales. Selon nos informations, une très grande part des étrangers régularisés seraient en effet des familles déboutées du droit d'asile.
D'autres méthodes de calcul permettent de conclure à des régularisations plus proches de 16 000, soit une hausse de 45 % au lieu des 27 % affichés. Interrogé sur ce point par Le Monde en marge de la conférence de presse, l'entourage du ministre a concédé que la hausse pourrait effectivement être, au final, plus proche de 12 000 que de 10 000. Mais les chiffres définitifs ne seront connus qu'« au mois d'avril », a-t-on précisé
La relative discrétion de la place Beauvau sur la question des régularisations illustre le souci constant, chez M. Valls, de moins communiquer sur les aspects humanistes de sa politique que sur ceux répressifs. Une communication à fronts renversés qui fait volontairement passer au second plan les ouvertures substantielles de sa politique migratoire dans un certain nombre de domaines.
D'après les chiffres communiqués vendredi, le nombre de visas étudiants est en effet reparti à la hausse en 2013 (+ 5 points à 8 %). Cette augmentation, calculée sur la base des 58 000 étudiants admis au séjour en 2012, aurait commencé à gommer les effets pervers de la circulaire Guéant qui avait limité leurs possibilités de se maintenir en France une fois leurs études finies.
Même chose pour l'immigration « économique ». Structurellement faible dans l'hexagone, elle aurait gagné 10 à 15 points entre 2012 et 2013. Notamment grâce à une ouverture plus grande aux demandes de scientifiques. « Ces mobilités sont nécessaires à notre rayonnement », a déclaré M. Valls, ajoutant que le nombre d'étudiants étrangers devrait « doubler » d'ici 2020.
ASSOUPLISSEMENT DES CRITÈRES DE NATURALISATION
Le ministre a aussi fait le bilan, vendredi, de sa circulaire encourageant les préfets à assigner à résidence les familles en instance d'expulsion plutôt qu'à les placer en rétention. Une mesure réclamée par le monde associatif et que le ministre souhaiterait renforcer à l'avenir. Environ 1 500 familles auraient ainsi eu droit à ce régime en 2013 (soit une hausse de 64 %) tandis que seules 18 auraient été placées en rétention.
En matière de naturalisations, souvent considérée comme un facteur « d'intégration », M. Valls s'est félicité de l'assouplissement des critères de naturalisation, permis par sa circulaire publiée en octobre 2012. Lors des dernières années du quinquennat de Nicolas Sarkozy, les naturalisations avaient chuté de plus de 40 %, passant de 116 000 à 68 000 entre 2010 et 2012. Elles ont regagné 14 % en un an.
M. Valls a achevé son bilan par la présentation de son calendrier. Le ministre a notamment assuré que deux projets de loi seraient déposés d'ici la fin de l'année. Dont celui sur l'asile – maintes fois repoussé – juste après les élections municipales.
31/1/2014, Elise Vincent
Source : Le Monde