mercredi 27 novembre 2024 00:31

Immigration, cinq ans d'offensives

Des lois Hortefeux et Besson aux démantèlements de campements illégaux en passant par le discours de Grenoble, le gouvernement n'aura cessé depuis 2007 de faire la chasse aux étrangers en situation irrégulière. Et régulière.

Les étrangers ? Dehors. Le quinquennat Sarkozy, celui du ministère de l'Immigration, aura gravé une ligne dure, toujours plus dure, sur l'immigration, de discours stigmatisants en tour de vis legislatifs, de traque aux Roms au renvoi des jeunes diplômés. Début janvier, le ministre de l'Intérieur, Claude Guéant, se félicitait d'avoir atteint 33 000 expulsions en 2011, un record. 10 000 de plus qu'en 2007.

En cinq ans, les verrous ont sauté les uns après les autres. On est passé de la lutte contre l'immigration illégale à celle contre l'immigration légale, notamment professionnelle. La fameuse immigration choisie versus immigration subie. L'intégration, défendue aux premiers temps du quinquennat comme la face postitive de la médaille, n'est plus épargnée. Les naturalisations, symboles de l'intégration réussie, sont malmenées. Et voilà que même les jeunes diplômés étrangers, sortis de grandes écoles françaises et souhaitant exercer leurs talents en France, se retrouvent dans le collimateur du ministère.

Alors que la Cimade, association de défense des étrangers, publie ce mardi un bilan des politiques publiques en matière d'immigration, retour sur les grandes étapes de cinq ans d'offensives.

2007 (23 200 expulsés)

Mai. C'est Brice Hortefeux, fidèle lieutenant de Sarkozy, qui ouvre les hostilités au nouveau poste de ministre de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Codéveloppement.

20 septembre. Liu Chunlan, une Chinoise clandestine, se défenestre par peur de la police, à Paris. Son cas devient emblématique de la traque aux sans-papiers contre laquelle se mobilise, entre autres, le réseau RESF (Réseau éducation sans frontière).

10 octobre. Ouverture, sans inauguration officielle pour cause de malaise dans les rangs de la droite, de la Cité nationale de l'histoire de l'immigration.

Automne. La loi sur l'immigration dite «loi Hortefeux» suscite réserves et mobilisation. En cause, notamment, un amendement autorisant le recours aux tests génétiques dans le cadre de la procédure de regroupement familial, et un article sur les statistiques ethniques, finalement censuré par le conseil constitutionnel. La loi est adoptée le 20 novembre.

Fin décembre. Publication du décret créant le fichier Eloi (comme éloignement). Il regroupe les données à caractère personnel (nom, prénom et date de naissance des enfants) relatives aux étrangers en situation irrégulière. Fin 2009, le Conseil d'Etat retoquera deux dispositions du fichier Eloi, le reste du texte est validé.

2008 (29 796 expulsés)

Février. Hortefeux remet sur la table l'idée d'instaurer des quotas annuels de migrants admis à séjourner en France, sur des critères professionnels (listes de métiers) mais aussi de nationalité. La fameuse immigration choisie. Pierre Mazeaud, ex-président du conseil constitutionnel, préside une commission sur le cadre constitutionnel de la nouvelle politique d'immigration... à la fois irréalisable et opportuniste, estimera la commission en juillet.

Hortefeux rebondira en adaptant son vocabulaire : on ne parle plus de quotas mais d'«objectifs chiffrés» fixés dans un projet de loi-programme pluriannuelle 2009-2012.

15 avril. Des travailleurs sans papiers entament une série de grèves pour réclamer leur régularisation, notamment en Ile-de-France. Sarkozy exclut toute «régularisation massive».

1er juillet. Fin de la période transitoire pour les ressortissants communautaires de l'est de l'Europe. Roumains et Bulgares sont donc libres de circuler... en théorie. Car, pour rester en France, ils doivent encore solliciter une autorisation de travail, sans que la situation de l'emploi ne puisse leur être opposée, et sont soumis à une liste des 150 métiers «en tension».

Août. Remous autour des centres de rétention, où sont placés les étrangers suspectés d'être clandestins. Jusque-là, seule la Cimade avait accès à ces centres pour assister les retenus. Le gouvernement veut ouvrir cette mission à d'autres associations. La Cimade y voit une mesure de rétorsion contre sa trop grande liberté de parole.

30 octobre. Un décret impose l'apprentissage du français et un test de connaissance des «valeurs de la République» dans le pays d'origine pour les candidats au regroupement familial et les conjoints de Français.

2009 (29 288 expulsés)

Mars. La sortie du film Welcome vient illustrer la question de l'entraide, dans le collimateur du ministre Besson, nommé le 15 janvier. A-t-on le droit, en France, de faire entrer chez soi un étranger en situation irrégulière pour lui donner à manger, lui permettre de se doucher ou de charger son portable ? Les associations alertent sur la répression croissante qui s’exerce un peu partout à l’encontre de militants, ou de simples citoyens venant en aide aux clandestins.

24 juin. 1 300 sans-papiers sont expulsés par la CGT de la Bourse du travail, dans le IIIe arrondissement de Paris, qu'ils occupaient depuis mai 2008.

Septembre. Lors de l'université d'été de l'UMP, sortie de Brice Hortefeux, alors ministre de l'Intérieur, à propos d'un jeune militant dont le père est algérien : «Quand il y en a un, ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes.» Le ministre s'empêtre dans les dénégations, assurant qu’il ne parlait pas des Arabes mais des Auvergnats. Condamné à 750 euros d'amende devant le tribunal correctionnel en juin 2010, il sera relaxé en appel du délit d'injure raciale. La cour s'est basée sur un motif juridique et a taxé les propos de l'ex-ministre de l'Intérieur de «méprisants» et d'«outrageants».

22 septembre. Evacuation de la jungle de Calais. Opération ultramédiatisée, le démantèlement du campement sauvage où survivaient dans des conditions précaires des exilés Afghans dans l'espoir d'un hypothétique passage en Angleterre a été mené en deux heures par 500 policiers. Sans régler le problème des migrants en France. Calais, le coup d'éclat qui cache la

12 octobre. Plus de 6 800 travailleurs sans papiers se mettent en grève pour défendre leurs droits.

25 octobre. Eric Besson annonce la tenue d'un «grand débat sur les valeurs de l'identité nationale». Dans le plan com, trois mois de débats locaux et un site internet avec «grille de réflexion» et appel à contributions. Dans les faits, trois mois de polémique, de ministres qui prennent soigneusement leurs distances, de débats locaux propices aux dérapages (mention spéciale à Nadine Morano et l'affaire de la casquette). Tout ça pour quelques mesurettes symboliques annoncée à un mois des régionales.

Novembre. Eric Besson part en croisade contre ce qu'il appelle «les mariages gris».

15 décembre. Un charter franco-britannique est organisé pour renvoyer des Afghans en situation irrégulière vers leur pays pourtant en guerre.

2010 (28 000 expulsés)

Février. Devant une administration de plus en plus tatillonne, les doléances de Français nés à l'étranger se multiplient. A chaque renouvellement de leur carte d'identité et, désormais, pour la délivrance d'un passeport biométrique, il leur faut prouver leur nationalité. La colère monte, et la mobilisation s'organise.

18 juin. Au terme d'un bras de fer de plusieurs semaines entre les travailleurs sans-papiers, qui occupent la place de la Bastille à Paris, et le gouvernement, celui-ci lâche du lest en concédant des «ajustements» sur les régularisations.

10 juillet. Des incidents éclatent à Saint-Aignan (Loir-et-Cher) après la mort d’un jeune de la communauté du voyage, tué par un gendarme. Les Roms (qui n'ont rien à voir avec les gens du voyage) deviennent la cible du gouvernement. Nicolas Sarkozy ordonne le démantèlement des campements illégaux roms et l’expulsion des «Roms qui auraient commis des atteintes à l’ordre public ou des fraudes».

30 juillet. En déplacement à Grenoble, Nicolas Sarkozy annonce une batterie de mesures sécuritaires, ciblant les immigrés. Il demande que la nationalité française puisse «être retirée à toute personne d'origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte» à la vie d'un policier ou gendarme. Filant le cliché de l'immigré fraudeur, il souhaite qu'on évalue les «droits et prestations auxquels ont aujourd'hui accès les étrangers en situation irrégulière».

5 août. Le ministère de l’Intérieur publie une circulaire ordonnant aux préfets que «300 campements ou implantations illicites devront être évacués d’ici trois mois, en priorité ceux des Roms». Le délit de discrimination est si flagrant que l'Europe et même le pape s'en mêlent. Pendant ce temps, coup d'accélérateur sur les évacuations de campements roms... qui se réinstallent un peu plus loin.

Octobre. Un an après le mouvement de grève lancé par les travailleurs sans-papiers, rien n'a bougé. Ils sont toujours en grève.

16 novembre. Sarkozy supprime le ministère de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Développement solidaire. Ses missions sont transférées au ministère de l'Intérieur. Claude Guéant entre en piste.

29 décembre. L'Aide médicale d'Etat, qui permet aux sans-papiers, privés de tous les droits, de se faire soigner, est rabotée.

2011 (32 922 expulsés)

Avril. Claude Guéant annonce qu’il veut réduire l’immigration légale. Visant en particulier l’immigration professionnelle, rendue selon lui inutile en raison de la crise. Et fixe un objectif de 30 000 expulsions dans l’année.

Mai. Flirtant avec le Front national, le ministre se fait une spécialité des déclarations à l'emporte-pièce sur l'immigration. Exemple : «Le quart des étrangers qui ne sont pas d’origine européenne sont au chômage, les deux tiers des échecs scolaires, c’est l’échec d’enfants d’immigrés.» Stigmatisant et surtout faux.

31 mai. Nouvelle cible, les jeunes diplômés étrangers. Claude Guéant et Xavier Bertrand, ministre du Travail, publient une circulaire sur la «maîtrise de l’immigration professionnelle» qui invite à une interprétation restrictive des règles de délivrance des cartes de séjour «salarié» et de changement de statut «étudiant» vers «salarié». La mobilisation s'organise côté étudiants, réunis dans un «Collectif du 31 mai».

16 juin. La loi Besson sur l’immigration est adoptée après un an de débats parlementaires. Les principales mesures (interdiction de retour, recul de l’intervention du juge à 5 jours, augmentation de la durée maximale de rétention à 45 jours, démantèlement du droit au séjour des étrangers malades), sont votées sans véritable opposition.

11 août. Le nombre de métiers en tension ouverts aux étrangers non communautaires est réduit à 14.

Septembre. Claude Guéant focalise sur le «problème de la délinquance roumaine».

Novembre. Durcissement annoncé du droit d'asile, qui serait détourné «à des fins économiques», selon l'Intérieur.

Décembre. Affirmant que «la délinquance étrangère est supérieure à la moyenne enregistrée dans notre pays», Claude Guéant annonce son intention d'élargir le nombre de délits susceptibles d’être assortis d’une interdiction du territoire français. Un retour à la double peine.

24/1/2012,  CORDÉLIA BONAL, MARIE PIQUEMAL

Source : Libération

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