jeudi 28 novembre 2024 00:40

Immigration François Soulage : "Être chrétien, c'est refuser les murs"

18 organisations chrétiennes, catholiques et protestantes, se mobilisent pour la défense des droits des étrangers sur notre sol. Dans le cadre de la démarche Diaconia, qui voudrait sensibiliser les chrétiens au service des plus pauvres, ces associations s'apprêtent à publier, avec l'appui de l'épiscopat, une brochure* sur l'accueil des migrants en France : "A la rencontre du frère venu d'ailleurs". Objectif de ce document : offrir une réflexion chrétienne sur l'immigration et donner des clés de lecture et de compréhension du phénomène, afin de dépasser les nombreux préjugés négatifs qui existent dans ce domaine. Président du Secours catholique et co-auteur de ce document qui paraîtra le 24 mai, François Soulage explique, dans un entretien accordé à La Vie, les raisons pour lesquelles les chrétiens doivent agir dans le sens d'un meilleur accueil des étrangers dans notre pays.

Qu'est-ce qui vous a poussé à réaliser cette brochure ?

Cette initiative œcuménique est étroitement liée à la démarche Diaconia, qui voudrait sensibiliser les chrétiens au service des pauvres et à l'exercice de la fraternité évangélique. Il existe dans notre pays de très nombreux préjugés contre les immigrés, les réfugiés, les sans-papier et autres demandeurs d'asile. Des préjugés qui conduisent à des attitudes de rejet, notamment parmi les chrétiens.

Nous croyons pour notre part que l'immigration est une chance, tant pour l'économie de notre pays que pour la culture ou pour l'aide au développement. Elle peut être aussi source de dynamisme pour les communautés chrétiennes.

Approuvé par les évêques, ce document très pédagogique voudrait offrir aux fidèles un outil de réflexion et des pistes pour agir dans le sens d'un meilleur accueil. A la veille des élections législatives, il voudrait aussi éclairer les chrétiens sur les véritables enjeux de l'immigration. Dans ce domaine, les idées du Front national sont proprement inacceptables.

Justement, d'après les sondages, plus de la moitié des catholiques semblent avoir du mal à comprendre les prises position de l'Eglise en matière d'immigration. Comment l'expliquez-vous ?

Comme une grande partie de nos concitoyens, ils se laissent gagner par la peur. Face à la mondialisation, face à une société qui change, face à un avenir incertain, face au risque de déclassement, ils ne comprennent plus le monde dans lequel ils sont. Ces peurs sont tellement diffuses, et parfois irrationnelles, qu'elles ont besoin de se fixer quelque part. C'est la pratique du bouc émissaire. Ainsi, certains craignent de se faire manger par les musulmans. D'autres s'inquiètent pour la laïcité. L'extrême droite cherche à diaboliser l'islam pour mieux justifier sa volonté de fermeture des frontières. Et comme nous sommes dans une société fragile, ce langage passe. Face aux discours de division et aux risques de morcellement de la société française, les politiques doivent rassembler les Français. Il faut arrêter les déclarations fracassantes et les débats clivants.

Sommes-nous menacés d'invasion ?

Ce fantasme, entretenu par certains partis politiques, est le fruit d'un manque d'information et d'une absence de contact avec le réel. Notre perception du phénomène de l'immigration est d'autant plus déformée que nous ne savons pas de quoi nous parlons. Je l'ai souvent constaté : plus les gens vivent loin d'une certaine réalité, plus ils en ont une image troublée.

J'habite à Nanterre dans un quartier où vivent beaucoup de musulmans. Ni moi, ni mes enfants n'avons jamais rencontré le moindre problème avec nos voisins. De la même manière, les bénévoles du Secours catholique qui sont sur le terrain, et qui côtoient quotidiennement les demandeurs d'asile, voient d'abord des personnes en souffrance qui galèrent, des familles qui souffrent. A leur contact, leur regard change.

Les derniers débats électoraux, notamment autour de l'islam et de la laïcité, montrent pourtant qu'il existe un malaise dans notre pays. Comment y répondre ?

En démontant les clichés et les idées reçues. Par exemple, il est important de rappeler qu'il n'y a pas de déferlante migratoire dans notre pays. Il faut aussi rappeler que beaucoup de ceux que nous percevons comme "immigrés", notamment parce qu'ils sont musulmans, sont en fait des citoyens Français, de la deuxième ou de la troisième génération. Que nous le voulions ou non, ils font maintenant partie de notre communauté nationale. En revanche, il est vrai que les populations d'origine étrangère se concentrent dans quelques quartiers, dans des zones de relégation sociale, où le taux de criminalité peut être plus important qu'ailleurs. Mais il s'agit là d'une question sociale, qui n'a rien voir avec l'immigration en tant que telle, et qui doit être traitée par des mesures propres. Nous avons laissé s'installer des ghettos aux portes de nos villes, nous avons abandonné une politique du logement qui favoriserait la mixité sociale. Au lieu de contribuer à l'intégration, notre système scolaire crée des exclus. Dans certaines classes de banlieue, 80 % des enfants ont des parents qui ne parlent pas français. Les enseignants sont débordés. On ne peut pas continuer comme ça.

Comment aborder la question de l'immigration de manière réaliste, sans donner prise à l'accusation d'angélisme ?

Nous ne disons pas qu'il faut régulariser tout le monde. Nous disons simplement qu'il existe un droit international et qu'il doit être respecté. Le droit d'asile et la liberté de circulation font partie des droits de l'homme. Ils sont imprescriptibles. N'allons pas empêcher cette liberté sous de faux prétextes : le risque de terrorisme ou la sécurité intérieure. Les lois Besson, qui limitent gravement les droits des étrangers venus trouver refuge sur notre sol, sont des lois d'exception qu'il faudra abroger. On ne peut pas tripoter le droit international en fonction de nos intérêts ou selon les critères d'une politique sécuritaire, aussi vaine qu'inefficace. Ceux qui sont à nos frontières, comme ceux qui sont déjà sur notre territoire, doivent être traités en dignité et en fraternité, selon les règles de droit. Il n'y a aucun angélisme là-dedans.

Pourquoi soutenez-vous la possibilité de la désobéissance civile ?

Quand une loi ne respecte pas une loi supérieure, ou lorsqu'elle est foncièrement injuste, il faut la changer. C'est ce que disait l'abbé Pierre. C'est ce que dit le Catéchisme universel de l'Eglise catholique en ce qui concerne les étrangers : "Lorsque, en conscience, le citoyen juge que le droit d'accueil politique ne permet pas le respect de l'étranger en danger, et est donc contraire aux exigences de la morale et de l'Evangile, il peut refuser d'obéir aux autorités civiles." Cette éthique de conviction est première. Une fois mise en œuvre, elle nous invite à une éthique de responsabilité. C'est la raison pour laquelle, pour ne donner qu'un seul exemple, nous avons défendu les sans papier à Calais. Mais plutôt que de rester dans l'illégalité, en accueillant ces réfugiés de manière clandestine, nous avons obtenu de la mairie qu'elle mette officiellement un centre notre disposition. Cette initiative n'a pas plu à tout le monde puisque ces locaux ont été incendiés, mais peu importe. Ce qui compte, lorsqu'on prétend être chrétien, ce n'est pas de faire l'unanimité. C'est de rester fidèle aux principes évangéliques.

Que pensez-vous des catholiques qui s'inquiètent des positions assez ouvertes du nouveau gouvernement en matière d'immigration ?

Soit ils sont mal informés, soit ils ne tirent pas toutes les conséquences de la foi qu'ils confessent. On ne peut pas être chrétien et tenir un discours d'exclusion ou justifier des actes contraires aux droits de l'homme. Le Christ lui-même est né pauvre parmi les pauvres. Il a vécu l'exil. Il s'est identifié aux plus faibles. Il a passé son temps à franchir les frontières. Etre chrétien, c'est refuser les murs et se mettre dans une position d'ouverture à l'autre. Nous avons des valeurs sur lesquelles nous ne pouvons pas transiger. A commencer par le respect de la dignité de l'autre. Créé par Dieu, il est un être humain qui doit pouvoir jouir de la plénitude de ses droits. Ce n'est pas une affaire de bon sentiment, mais de justice.

Votre position ne risque-t-elle pas d'être jugée trop partisane ?

Quand nous dénonçons le sort fait aux migrants, nous prenons de fait une position politique. Nous rejetons la confusion entre Roms et gens du voyage, entre immigrés et sans-papiers, entre délinquants et jeunes de banlieue, entre musulmans et anti-laïques. Sur les cinq millions d'immigrés que compte notre pays, l'immigration clandestine ne concerne que 300 000 personnes. Le traitement de ces gens est indigne, inacceptable pour les chrétiens. En particulier en ce qui concerne la restriction des soins. L'aide médicale d'Etat est de moins en moins accessible aux étrangers qui, jusque-là, n'osaient même plus aller à l'hôpital de peur se de faire arrêter par la police. Face à ce scandale, nous ne pouvons pas nous taire. Le christianisme est la religion de la fraternité.

Les chrétiens ont-ils un rôle spécifique à jouer ?

Il ne suffit pas de célébrer. Nos communautés chrétiennes ont le devoir impératif d'être accueillantes à ces personnes issues de l'immigration. Est-on capable de les intégrer et d'être un exemple pour la société française ? Est-on capable de dialoguer avec les autres religions ? Est-on capable de nous ouvrir à d'autres cultures et à d'autres formes de pratiques religieuses ? Nos communautés devraient être à la pointe du dialogue et de la diversité. Or, dans nos églises, les immigrés sont souvent au dernier rang. Si nos paroisses se resserrent sur le noyau dur du chrétien blanc de peau, petit bourgeois, la société française n'évoluera pas. Nous sommes porteurs de valeurs qui demeurent les valeurs socles de la société française et, malheureusement, nous ne les mettons pas toujours en pratique. Pourtant, comme nous le faisons pour la bioéthique, c'est à nous d'être meneurs dans ce domaine. Disciples du Christ, nous avons une responsabilité particulière envers les autres. Il faut l'assumer.

* La brochure sera téléchargeable sur notre site dès jeudi 24 mai, jour de la conférence de presse présentant cette initiative au siège de la Conférence épiscopale à Paris

22/05/2012 , propos recueillis par Laurent Grzybowski

Source : La Vie

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