jeudi 28 novembre 2024 14:36

Immigration : la rétention à l'épreuve de la politique du chiffre

Dans un rapport annuel publié ce mardi, cinq associations dénoncent l'augmentation du nombre d'expulsions et d'étrangers placés en rétention. Un passage souvent traumatisant et jugé inefficace. Gjulikhan, Arménien, et François,Camerounais, racontent.

«Faire de la rétention une exception.» Ces quelques mots, rédigés par François Hollande à l’adresse de France terre d’asile lors de l’élection présidentielle de 2012, David Rohi s’en souvient encore. Ce responsable de la commission éloignement de la Cimade, l’une des cinq associations présente à l’intérieur des centres de rétention administrative (CRA) où sont placés les étrangers en situation irrégulière avant leur expulsion, peine à cacher son exaspération, trois ans après l’arrivée du socialiste à l’Elysée : «La politique actuelle d’enfermement et de rétention du gouvernement est dans la continuité de celle menée par la droite.»

Selon le rapport annuel publié par les cinq associations ce mardi, 49 537 personnes ont été enfermées dans des centres ou des locaux de rétention administrative en 2014. Soit 9% de plus que l’année précédente. Une augmentation jugée d’autant plus absurde par les auteurs de l’étude, que 55% des reconduites ont été réalisées l’année passée vers des pays membres de l’Union européenne. «On enferme et on expulse des gens qui, de toute façon, reviennent de droit ou de fait sur le territoire français», déplore David Rohi. Et cette politique a un coût. En 2008-2009, le Sénat estimait son coût total à 415 millions d’euros avant d’être ramenée à 232 millions d’euros par l’Inspection générale de l’administration.

Une rétention «banalisée» et souvent mal vécue par les sans-papiers souligne le rapport. C’est le cas de Gjulikhan, Arménien yézidi, retenu cinq jours au centre du Mesnil-Amelot alors qu’il attendait la décision du tribunal administratif de Nantes suite à son recours. Pour d’autres, la rétention peut-être l’ultime étape permettant d’orienter le parcours migratoire du détenu. Les travailleurs associatifs présents dans les CRA peuvent apporter conseils et soutien dans les démarches administratives à effectuer, comme l’illustre l’histoire de François (1). «Un triste paradoxe, soupire David Rohi, cela prouve que dehors, lorsqu’ils sont libres, et malgré le travail des associations, certains migrants n’ont toujours pas accès à leurs droits.» «Je n’ai jamais fait de prison, mais la rétention, ça y ressemble»

Gjulikhan Sultanyan a 20 ans. Mineur lors de son arrivée en France en 2012, ce Yézidi d’Arménie a vu sa demande de régularisation rejetée par la préfecture de Loire-Atlantique. En attente de la décision du tribunal administratif de Nantes après un premier recours, Gjulikhan est resté enfermé cinq jours au centre de rétention du Mesnil-Amelot. (Photo Martin Colombet. Hans Lucas)

«C’était mon premier jour de boulot dans une entreprise de BTP, j’étais en voiture avec un collègue qui conduisait. Des gendarmes postés à un rond-point ont voulu contrôler le véhicule puis m’ont demandé mes papiers. C'était en avril dernier. J'étais en attente - et je le suis toujours -une réponse du tribunal administratif de Nantes après le refus de la préfecture de régulariser ma situation et une obligation de quitter le territoire (OQTF). Le soir même, j’atterrissais au centre de rétention du Mesnil-Amelot. Je ne suis jamais allé en prison, mais ça doit probablement ressembler à ce que j’y ai vécu. Dans les chambres, qui s’apparentaient plus à des "cages", deux personnes pouvaient dormir sur des couchettes. Dans la journée, il faisait très chaud et les nuits étaient froides. J’ai attrapé la grippe et j’ai dû attendre quelques jours avant de pouvoir obtenir une consultation avec le médecin présent sur place.

«L’immense majorité des gens qui était au CRA ne mérite pas ce sort-là. Un Kurde avec qui j’ai discuté, et qui est encore détenu au centre, vit en France depuis près de dix ans et travaille comme cuisiner dans un restaurant. Moi aussi, j’ai un projet mais aujourd’hui je paye pour une erreur que j’ai commise lorsque je suis arrivé en France. J’ai menti sur mon âge à l’administration. Je me suis fait passer pour mineur, ce qui m'a permis de bénéficier de l’Aide sociale à l’enfance (ASE). J’ai eu la possibilité d’intégrer une formation de cuisinier en alternance à Nantes et j’ai trouvé un travail dans un restaurant italien. Mon patron m’a même proposé un CDD et s’est dit prêt à me faire une promesse d’embauche en CDI si je régularisais ma situation ! Quand j'ai fait ma demande de titre de séjour, j'ai révélé mon mensonge à la préfecture, et ma demande a été rejetée... Pourtant j’avais pris la peine d’écrire une lettre, mon patron a soutenu mes démarches, l’ASE aussi. Mais ça n’a pas suffi. Si mon recours est rejeté par le tribunal administratif de Nantes, je compte faire appel. La France, j’y suis attaché.»

François, 35 ans, est arrivé du Cameroun il y a deux ans. Les menaces, liées à son albinisme, étaient devenues trop fortes. Sans papiers, il a été placé une semaine au centre de rétention de Seine-et-Marne. Suite à sa détention, il a saisi l’Ofpra. En janvier, l’office reconnaissait finalement son statut de réfugié. (Photo Martin Colombet. Hans Lucas)

«J’ai passé sept jours en centre de rétention. C’était au printemps 2014, je ne me souviens plus exactement de la date. Je vivais dans la rue. Les policiers cherchaient un Congolais albinos, ils ont cru que c’était moi. C’était une erreur mais comme je n’avais pas de papiers, ils m’ont enfermé. Ce n’était pas les conditions de rétention les plus dures, même si bien sûr tu es privé de ta liberté. Non, le plus difficile, c’était ce que cela voulait dire : j’allais être renvoyé au Cameroun, j’en étais sûr à 100%. Et là-bas, la mort m’attendait, j’allais certainement être tué, d’autant plus exposé que je m’étais caché, j’avais fui. J’ai quitté le pays en novembre 2013. Ma famille a payé un passeur qui m’a fourni, le temps du trajet, un faux passeport d’une personne qui me ressemblait. Un albinos comme moi. J’ai la peau blanche mais je ne suis pas blanc. Ce passeport m’a permis de partir plus vite. Je ne sais pas combien ça leur a coûté, ça ne se fait pas de demander le prix pour un cadeau. Je pense que c’était dans les 4 000 ou 5 000 euros.

«Un ami avait donné ce conseil à ma mère : m’envoyer en Europe parce que je ne pouvais pas rester là. En Afrique, les gens considèrent que les albinos sont des porte-malheur ou des porte-bonheur. Je ne peux pas sortir seul dans la rue, on me crache dessus, on me jette des pierres. Regardez, j’ai des traces sur le visage. Les gens croient qu’en buvant notre sang, ou en prenant nos ongles et nos cheveux, ils vont avoir une vie plus longue ou plus de réussite. Certains se font séquestrer. Quand je suis arrivé en France, je n’avais rien. Aucun contact, pas d’argent, pas d’endroit où aller. Je dormais dans le métro. Quand j’ai été envoyé en centre de rétention, finalement, cela a été positif pour moi. J’avais très peur d’être expulsé mais cela m’a permis d’entrer en contact avec des associations présentes dans le centre. Ils m’ont aidé à faire les démarches pour obtenir l’asile. Je suis passé devant le juge, j’ai été libéré et j’ai obtenu le statut de réfugié au mois de janvier de cette année. Maintenant, j’ai un endroit où dormir. Je cherche du travail. J’ai arrêté l’école très tôt, non pas parce que j’étais faible mais parce que j’étais maltraité par les élèves et les professeurs. Mais j’ai beaucoup regardé la télévision, et les gens disent que mon français est de très bon niveau.»

30 juin 2015 , Marie PIQUEMAL et Hélène SERGENT

Source : Libération

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