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Immigration : le Maroc au bord de la crise de nerf

30 000 clandestins se trouvent sur le sol marocain dans l'attente d'une hypothétique traversée vers l'Europe. Les autorités ont lancé une vaste opération de "régularisation exceptionnelle" mais elle s'avère insuffisante tant la pression migratoire est toujours plus forte. L'Union européenne est interpellée sur la lutte contre l'immigration clandestine. De son côté, l'ONG Human Rights Watch exhorte le Maroc à "mettre en place des procédures afin de protéger les droits des migrants".

02.04.2014par Frantz VaillantUne crise humaine et politique

La situation ne cesse de se dégrader. Le Maroc et l'Espagne font face à un afflux toujours plus massif de migrants d'origine subsaharienne. Beaucoup cherchent à rejoindre Ceuta et Melilla, les deux enclaves espagnoles, seules frontières terrestres entre l'Europe et l'Afrique. Le 24 mars, l'ONG Caritas-Maroc, qui affirme avoir "accompagné plus de 16 000 migrants à Rabat depuis 2005" a dû fermer ses portes "ne pouvant faire face, écrit-elle, à une sur-fréquentation inégalée (une centaine d’arrivées/jour) et des situations médicales (blessés graves et nombreux) dont la prise en charge dépasse ses capacités." Et ces blessures seraient la conséquence de violences des forces de sécurité marocaines. Bill Frelick, directeur du programme Réfugiés à Human Rights Watch, dénonce : "Le Maroc devrait clairement indiquer à ses forces de sécurité que les migrants ont des droits et que le Maroc doit mettre un terme aux passages à tabac et autres mauvais traitements des migrants." Enfin, cette problématique des migrants rebondit inévitablement sur le terrain politique. Le Royaume est las d'être montré du doigt par la communauté internationale. Il a pourtant mis en place une nouvelle politique d'accueil pour ces Subsahariens et a ouvert un peu partout des "bureaux des étrangers" . Au journal Le Monde, le ministre de l'Intérieur Mohamed Hassad confiait : " Sa Majesté a pris la décision politique "on ouvre et on ouvre large”.  Au 15 février, nous avons déjà reçu 11 000 demandes de régularisation, le rythme est de 300 à 400 inscriptions par jour ". Mais à peine 300 migrants ont obtenu un titre de séjour. D'un "pays de transit", le Maroc est aussi devenu "un pays de destination par défaut" relève Médecins sans frontières.

Le Royaume a le sentiment d'être seul au Maghreb à devoir assumer cette crise aux conséquences  onéreuses (les moyens humains mis en place) et désastreuses pour son image. Et de s'impatienter, à mots de moins en moins couverts, sur l'inertie supposée de l'Algérie voisine et de la porosité de sa frontière.

Quels sont les chiffres de cette crise humanitaire ? D'où viennent ces migrants ? Qui sont-ils ? Quel est le rôle de l'Union Européenne ? Quelles solutions pourraient être envisagées ?

Éléments de réponse.

Les chiffres

Environ 30 000 clandestins se trouveraient sur le sol marocain. D'après des "statistiques officielles" citées par l'ONG Human Rights Watch (HRW), plus de 4.300 clandestins ont pénétré dans les enclaves de Melilla et Ceuta, dans le nord du Maroc en 2013, contre 2.804 un an plus tôt. L'Algérie connaît également le problème.

Un récent article du quotidien El Watan évoque le phénomène des migrants. On peut lire : " L’immigration clandestine pour la plupart subsaharienne ne cesse d’augmenter avec un taux d’accroissement de 951 affaires traitées en 2013 contre 762 en 2012, soit une hausse de 24,8%. Le bilan du 2ème Commandement régional de la gendarmerie d’Oran indique que 2043 personnes ont été arrêtées, au niveau de la région Ouest, pour séjour irrégulier en 2013 contre 1485 personnes en 2012, soit une augmentation de 37,6%." Le journal algérien précise : "Les investigations menées par les gendarmes ont fait ressortir que ce sont généralement les clandestins âgés entre 18 et 40 ans qui tentent l’aventure. 1466 migrants âgés entre 18 et 40 ans ont été arrêtés,  l‘année dernière, dans l’Ouest algérien contre 1047 en 2012 "

D'où viennent-ils ? Pourquoi ?

De part la nature irrégulière de leur situation, les fausses déclarations sur leur nationalité d'origine dans l'espoir d'obtenir le statut de réfugié, il est difficile de cerner précisément le pays d'où ils viennent. Cependant, selon Médecins sans frontières, ces migrants viennent surtout d’Afrique de l’ouest : Nigeria, Mali, Cameroun, Ghana, Guinée, etc. L'ONG précise : "Il s’agit pour la plupart d’hommes jeunes (85 %), mais on trouve aussi des femmes, des mineurs et des enfants, qui sont évidemment les personnes les plus vulnérables. Ils viennent non seulement de pays en conflit mais aussi (et pour la plupart) parce qu’ils recherchent un avenir meilleur pour eux et pour leurs proches qu’ils ont laissés derrière eux." L'ONG Human Right watch est plus précise. Dans son dernier rapport, elle note : "Les migrants d'Afrique subsaharienne quittent leur pays en raison de la pauvreté, de problèmes familiaux et sociaux, de bouleversements politiques et de la guerre civile et, dans certains cas, la crainte de la persécution. Un grand nombre dans le nord-est du Maroc cherchent à atteindre l’Europe." 
Melilla et Ceuta sont les deux seules frontières terrestres de l’Union européenne en Afrique et constituent une porte d’entrée pour l’Europe, nouvelle terre promise où pourraient se concrétiser tous les fantasmes de réussite.

Les filières et le trafic d'êtres humains

Les passeurs sont l'un des maillons de ces tragédies humaines. Il y en a d'autres : le garde-frontière qui accepte de fermer les yeux, l'employé ministériel qui négocie l'octroi d'un visa ou l'obtention d'un passeport etc. Simples particuliers ou relevant de mafias internationales, les "services" des passeurs incluent le transport, l'hébergement, la nourriture, et, parfois, de faux papiers. Les migrants n'ont guère le choix. Ils doivent s'en remettrent à eux, corps et biens, s'ils veulent tenter leur chance. Et il s'agit d'un trafic particulièrement lucratif. Selon les experts de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime l'ONUDC,  dans leur dernier rapport sur la traite d’êtres humains et le trafic de migrants, ces trafics génèreraient chaque année près de  6,5 milliards de dollars. Un chiffre qui ne prend en compte que les deux routes migratoires principales utilisées pour ce trafic — respectivement de l’Afrique de l’Est, du Nord et de l’Ouest vers l’Europe et de l’Amérique du Sud vers l’Amérique du Nord. Le coût du voyage revient à environ 2000 euros par migrant. 

Le rôle de l'UE et les solutions envisagées

Dans les semaines à venir, les Européens  espèrent faire adopter un plan d'action prévoyant plus d'ouverture à une immigration légale et plus d'argent, en échange d'un contrôle renforcé des frontières et d'une meilleure prise en charge sur place des flux de réfugiés africains.

La réorientation par l'UE de son aide au développement en faveur de la formation et de l'emploi des jeunes -65% de la population africaine a moins de 35 ans-  va dans le même sens. Avec 20 milliards d'euros en moyenne par an, la part de l'UE représente 45% de l'ensemble de l'aide reçue par l'Afrique. L'UE doit aussi finaliser une enveloppe de 3 milliards d'euros pour soutenir l'agriculture africaine au cours des sept prochaines années. Le ministre espagnol des Affaires étrangères et de la Coopération, José Manuel Garcia-Margallo se veut catégorique : "Tant qu'il y a une pauvreté aigüe dans le continent africain, notamment dans la région subsaharienne, le désir d'atteindre l'Europe demeurera toujours présent". Et meurtrier. Il n'y a pas de chiffres officiels du nombre d'émigrants qui ont péri en essayant de franchir la Méditerranée pour entrer en Europe. Pourtant, plusieurs journalistes ont compilé les données disponibles puis ont établi une carte interactive des lieux où se sont produits les drames de l'immigration. Plus de 23 000 hommes, femmes et enfants sont morts depuis l’an 2000 en tentant d’entrer en Europe.      

02.04.2014, Frantz Vaillant

Source : TV5

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