Pour les quarante ans de la convention belgo-marocaine sur le recrutement de travailleurs marocains, en 2004, Le Vif/L’Express avait interviewé un jeune politologue liégeois, chargé d’orchestrer les commémorations officielles: Hassan Bousetta. À l’époque, il était peu connu. Mais pour les jeunes progressistes francophones d’origine marocaine, c’était déjà lui l’emblème de leur génération.
Depuis, il a fait comme beaucoup de talents en Communauté française. Après avoir débrouillé une affaire compliquée relative au culte musulman (l’organisation d’élections) à la demande de la ministre de la Justice de l’époque, Laurette Onkelinx (PS), il est entré en politique, devenant successivement conseiller communal socialiste à Liège, puis sénateur, tout en conservant sa charge d’enseignant à l’ULg.
Politologue assidu des colloques et de la Fondation Roi Baudouin, il tenait alors des positions centrées sur le groupe marocain, son sentiment de victimisation après les attentats du 11 Septembre et son besoin de reconnaissance « culturelle », c’est-à-dire la prise en compte de son identité musulmane. « Après les attentats du 11 Septembre, on a voulu se repositionner en tant que fils de travailleurs, inscrits dans l’histoire socio-économique du pays », précise-t-il. Il n’a pas changé de ligne : à côté de l’insertion par les droits socio-économique, il faut la reconnaissance.
Dix ans plus tard, les envolées lyriques sur le 50e anniversaire de l’immigration marocaine lui laissent un goût de trop peu. Certes, la société accepte mieux la diversité de ses membres. Certes, comme lui, les élites marocaines se sont fondues dans la société, revendiquant sans complexe leur belgitude. « Mais c’est l’arbre qui cache la forêt, regrette Hassan Bousetta. On ne parle pas assez des difficultés très sérieuses qui subsistent: discrimination massive, méfiance à l’égard de l’islam, expulsion de Marocains, départ des jeunes combattants en Syrie… La communauté est débordée par ceux qui prétendent détenir le monopole du « vrai islam » et en même temps, elle a besoin d’être reconnue dans son identité religieuse. Quant au Maroc, ses retards de développement et ses difficultés avec les droits de l’homme restent préoccupants. » Le discours d’autocélébration tombe donc à côté de la plaque. Prises entre deux radicalismes, les autorités ne veulent surtout pas rallumer les sujets qui fâchent, à l’instar de la Ville de Verviers qui fête ses immigrés, mais qui a relégué en sous-titre le « Bienvenue en Belgique » qui devait faire la Une.
Non, toutes les choses ne se déroulent pas merveilleusement au sein de la communauté marocaine et en dehors de celle-ci. Les discriminations élèvent un mur derrière lequel beaucoup de Marocains se replient. Les torts ne sont pas d’un seul côté. Les autorités belges, qui se distinguaient par la pseudo-générosité de leurs politiques d’accueil, ont raté le principal : donner une formation et un emploi à tous. Aujourd’hui, elles rament, malgré les restrictions à l’asile et au regroupement familial qui, quoi qu’en disent les clichés faciles sur les « emplois dont les Belges ne voulaient plus », a été le principal vecteur de l’immigration marocaine. Cela n’enlève rien au courage de ceux qui, en 1964 et plus tard, ont fait leur vie en Belgique avec énergie et créativité, brûlant, comme tout migrant, de « rendre » quelque chose de positif...
Si les 50 ans de l’immigration marocaine devaient porter un projet à dix ans, ce serait, pour Hassan Bousetta, dans le domaine des arts, de la culture, des sciences et des techniques. « Je crois aux petites initiatives qui rapprochent les deux bords de la Méditerranée », dit-il. Moins de discours, mais des actes sous le sceau de la réciprocité.
17 février 2014
Source : levif.be