jeudi 28 novembre 2024 06:51

Immigration : quel avenir pour l'espace Schengen ?

Il fut la cible de Nicolas Sarkozy pendant la présidentielle. Le Traité de Schengen, qui crée un espace de circulation européen, a plusieurs fois été remis en cause par l'ancien président. Derrière Schengen, apparaît surtout la question d'une politique d'immigration commune en Europe, comme l'explique avec humour Jonathan Guéraud-Pinet, attaché parlementaire à Bruxelles.

Schengen, ce n'est pas uniquement un traité créant un espace de circulation dont la Commission européenne et les ministres de l'Intérieur européen se disputent le contrôle. Schengen, c'est aussi des hommes et des femmes, mêmes s'ils sont luxembourgeois.

Les charmes cachés de Schengen

Petite commune de 4.000 habitants au cœur du vignoble mosellan, Schengen est situé à l'intersection de la France, de la Belgique et du Luxembourg. Le Luxembourg, c’est ce pays dont tout ressortissant vous parlera avec un nœud dans la gorge lorsqu'il vous évoquera l'intérêt d'y passer sa jeunesse.

On y trouve pourtant un paradis fiscal à portée de mallettes pour ceux qui voient dans le secret fiscal un des fondements de la liberté, de l’essence pas chère pour les routiers et des aires de repos propres pour les hordes de jeunes mosellans partant acheter du cannabis à Maastricht, aux Pays-Bas.

Hordes barbares et contrôles aux frontières

Traverser une frontière. Ce qui n'était possible avant qu'avec une horde barbare, un corps d'armée, une princesse à marier ou un révolutionnaire dont on voulait se débarrasser, l'est désormais pour tous avec Schengen.

Cette belle idée connait cependant ses limites depuis qu’une partie de l’électorat voit dans le teint halé de certains ressortissants de l'Est de l'Europe ou de la frange Sud du pourtour méditerranéen une réminiscence des invasions barbares.

Des hordes hunniques à cheval aux camps Roms de mobile-homes, il n'y a qu'un pas dans l'ethos européen.

Reconnaissons aux rétrogrades une vision d'avenir lorsqu'ils en ont une : la question de la gestion commune des flux humains et donc de l'immigration se pose dès lors que l'on crée un espace de circulation.

C’est le même type de problématique à laquelle tente de répondre le projet d’union bancaire : à la libre circulation des flux de capitaux au sein de l’UE, répond, un peut tard, des projets de régulations créant un nouvel échelon européen de responsabilité.

Vichy, un beau symbole pour l'immigration

La gestion des migrations se fait sur plusieurs niveaux auxquels on a tenté d'apporter une réponse européenne. Cette réponse a pris forme sous le Pacte des migrations lancé en 2008 par les ministres de l'Intérieur réunis par Brice Hortefeux à... Vichy.

Quitte à jouer avec les symboles, imaginons un spectacle de Michel Leeb pour célébrer la mort d'Aimé Césaire, ou une visite à Katyn pour célébrer l'amitié polono-russe.

La directive-retour a harmonisé les politiques des Etats en matière de détention et d'expulsion des migrants (au passage, on autorise quand même leur détention pendant six mois). Le contrôle des frontières extérieures de l'UE est lui assuré par les Etats et avec l'assistance de l'agence européenne Frontex sur les portes d’entrées (Grèce, Malte, Canaries…).

Son efficacité se mesurant en partie au nombre de migrants tentant des routes alternatives et au final de plus en plus dangereuses pour rejoindre l'UE ; avec des milliers de disparus en mer par an, c'est une réussite !

Enfin, et c'est le dossier qui bloque toujours, une harmonisation des conditions d'asile est elle aussi nécessaire. Les mauvaises langues et tweeteuses décomplexées dirons que c'est sur l’aspect le plus positif pour les migrants que l’on bloque. C’est plus subtil.

"Le partage du fardeau" : comment se refiler les immigrés

Depuis 2003, le dossier bloque sur une question fondamentale : "le partage du fardeau". On connaît les difficultés des ministres de l’Intérieur avec l’accueil des familles de ressortissants non-communautaires (c’est à dire non-européens). C’est un peu l’équivalent d’une double dose d’épinards à la cantine de l’école, on sait pas trop si c’est bon ou pas, mais vu qu’il y en a plein autour de nous qui n’aiment pas, on rechigne.

Avec le partage du fardeau, c’est tous les jours les épinards à la cantine et Patrick Sébastien qui fait l’animation avec des chansons sur Popeye : non seulement, on vous demande de respecter une procédure commune avec un ensemble de droits communs pour les demandeurs d’asile, mais en plus on vous oblige à vous répartir "le fardeau" ; c’est à dire à ce que les Etats se répartissent entre eux et plus ou moins équitablement le nombre de personnes qui auraient potentiellement droit à l’asile.

On part d’une logique simple : des pays comme Malte ou la Grèce, qui sont des portes d’entrée, ne peuvent pas à eux seuls accueillir toute la misère du monde (il y a les talks-shows et les doux rêveurs socialistes pour ça).

Ils ne peuvent pas non plus faire le tri entre un Afghan menacé de mort parce qu’on l’a attrapé là-bas avec un CD de lady Gaga et un dont la vie pourrait être mise en danger car il se baladait habillé d'un maillot du FC Sochaux. Donc on partage le fardeau entre Etat en fonction de leurs moyens.

C’est la définition de cette clef de répartition qui pose problème. Alors plutôt que de s’embêter, car de toute façon ce sont des petits pays sans influence qui sont en première ligne, on bloque le dossier.

Ce qui est fâcheux avec les Etats, mêmes faibles, c’est qu’ils ne se laissent pas toujours faire : "pas de solidarité avec nous ? Très bien, nos douaniers font plus leur boulot, on vous refile le bébé et plus tard Jérémy Menez".

Si le ministre de l’Intérieur italien était un peu joueur, c’est ce qu’il aurait répondu à Claude Guéant avant de délivrer massivement des titres de séjour temporaires aux jeunes Tunisiens qui ont pris ce fameux Paris-Vintimille un moi d’avril 2011.

Le réflexe batracien étant à la mode en temps de crise, on ne prend pas la question sous l’angle d’une solidarité entre Etats qu’il faudrait développer, mais plutôt en cherchant comment circonscrire le problème à ce seul Etat.

Et Schengen dans tout ça ?

On revient là sur Schengen. Le système actuel n’autorise pas les Etats à fermer leurs frontières en dehors de quelques circonstances exceptionnelles. Qu’à cela ne tienne, Schengen doit être modifié pour y apporter un "pilotage politique".

Que les hommes qui préfèrent leur voiture à la conduite de leur femme lisent attentivement ces lignes : le pilotage politique, c’est une expression aussi astucieuse qu’une ruse copésienne pour signifier qu’en fait vous reprenez les commandes car vous êtes le plus capable. C’est galant et la Commission qui sentait que le tandem franco-allemand allait lui remettre les cornes, a essayé d’anticiper.

Elle a donc proposé en septembre 2011 une révision de Schengen qui permettait de restaurer les contrôles aux frontières mais avec son accord. La France et l’Allemagne, reprenant la logique des décisions qu’ils imposent aux Etats de la zone Euro, ont proposé que le Conseil, l’institution qui représente les gouvernements européens, soit à la manœuvre grâce au pilotage politique.

Au final, la solution trouvée début juin est bien plus délicieuse : ce ne sont plus les Etats qui ferment leurs frontières de façon unilatérale, c’est le Conseil, après avoir constaté qu’un Etat manque à ses "obligations", qui autorise les Etats à fermer leurs frontières.

Cherchez la faute : auparavant quand le Danemark fermait ses frontières sous la pression des populistes on toussait légèrement (quels danger pèsent sur ce petit royaume si ce n’est l’importation massive de Mega-blocks ?); désormais on se mettra tous d’accord pour dire que décidément ces Grecs sont vraiment de dangereux irresponsables, incapables de tenir leurs frontières.

C’est donc la logique de quarantaine surveillée qui prévaut, comme dans le cas de l’Euro…

17/6/2012, Jonathan Guéraud-Pinet

Source : Le Nouvel Observateur

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