Du nouveau dans l'affaire d'injustice envers les chibanis en France qui se sont vus privés de leurs droits à certaines prestations sociales. Une avocate franco-marocaine a découvert qu’en vertu des textes juridiques, les chibanis n'étaient pas hors-la-loi quand ils passent de longs séjours au Maroc, tout en continuant de perçevoir le minimum vieillesse ou l'APL de la CAF.
Une rencontre a eu lieu hier entre l’association Cap Sud MRE et le chef du gouvernement Abdelilah Benkirane à Rabat. Les discussions, qui ont duré une quarantaine de minutes, ont principalement concerné les chibanis en France, qui subissent une injustice depuis plusieurs années dans le cadre des prestations sociales.
En effet, nombre d’entre eux ont été condamnés pour avoir bénéficié de prestations sociales (minimum vieillesse, APL...) alors qu'ils passaient de longs séjours au Maroc, les services sociaux faisant valoir qu’en s’absentant du territoire français pendant plus de 183 jours, ils perdent tous leurs droits. Les retraités marocains qui étaient restés au royaume au-delà de cette durée s’étaient donc retrouvés dans l’obligation de rembourser les sommes perçues. Du coup, ces vieux sont contraints de rester dans l’Hexagone, quand les retraités français peuvent s’expatrier au Maroc, tout en bénéficiant des avantages sociaux dans les deux pays.
Les chibanis victimes d’une interprétation restrictive de la loi
Cependant, une MRE docteur en droit et avocate au Barreau de Paris, Maître Aouatif ABIDA, s'est plongée dans les textes de loi et a découvert que les services sociaux incriminent à tort les retraités marocains. Dans sa note parvenue à notre rédaction ce mercredi, elle rappelle que le décret précisant les conditions de résidence pour les bénéficiaires des prestations sociales considère comme résidant en France « les personnes qui ont sur le territoire métropolitain ou dans un département d'outre-mer leur foyer ou le lieu de leur séjour principal. (…) ». Le texte ajoute : « la résidence en France peut être prouvée par tout moyen ».
L’avocate fait donc ressortir que la condition de résidence mentionnée à l’article R. 115-6 du code de la sécurité sociale peut incontestablement être remplie selon deux modalités différentes : soit la condition de séjour principal qui veut que le bénéficiaire séjourne en France « pendant plus de six mois au cours de l'année civile de versement des prestations », soit la condition de foyer qui est en fait le « lieu où les personnes habitent normalement, c'est-à-dire [le] lieu de leur résidence habituelle, à condition que cette résidence sur le territoire métropolitain ou dans un département d'outre-mer ait un caractère permanent », stipule l’article R. 115-6 du code de la sécurité sociale.
« Le foyer est une notion objective et concrète qui doit être appréhendée à partir d’un faisceau d’indices de toutes natures. Il est attesté par toute forme de lien habituel au territoire national (juridique, économique, social, affectif, associatif, suivi médical ou psychologique, activités...) et ce, indépendamment de toute durée précise de résidence effective », explique Me ABIDA.
L’avocate rappelle que dans le traitement du cas des chibanis, le Conseil d'État n’a tenu compte que de la condition de séjour permanent, s’abstenant de se référer au critère de foyer, « lorsque les circonstances de fait donnaient à penser que le contribuable avait bien en France, le lieu de son séjour principal et notamment dans le cas où au cours des années considérées, l'intéressé avait résidé en France pendant une durée nettement supérieure à celle des séjours effectués dans différents pays ».
Profiter de la nouvelle dynamique des relations franco-marocaines
Cap Sud MRE a porté toutes ces informations à la connaissance d’Abdelilah Benkirane pour qu’il prenne, lui aussi, acte de la marginalisation dont sont victimes les retraités marocains en France. Le chef du gouvernement marocain « a été sensible et nous a assuré de sa compréhension la plus totale, et nous a promis d’agir au mieux de nos intérêts, vu le caractère urgent de certains dossiers et le vieillissement de nos retraités, afin qu’ils puissent enfin bénéficier d’une retraite paisible en toute liberté et sans restriction », indique Salem Fkire dans un communiqué de l’association qu’il dirige.
Les MRE reconnaissent toutefois que c’est en France qu’ils doivent le plus batailler pour rétablir la justice en faveur des chibanis. Salem Fkire et son équipe vont très prochainement plaider la cause de ces retraités auprès du sénateur Alain Gournac de l’UMP, qu’ils vont pouvoir rencontrer grâce à l’aide du maire de Poissy, Karl Olive. « Le gouvernement étant socialiste, nous essayons de sensibiliser tout le monde pour que notre démarche ne soit pas compromise par des positions politiques opposées, si jamais on aboutit à un amendement », explique le responsable de l’ONG.
Depuis longtemps, les Marocains de France tentent d’attirer l’attention des autorités marocaines sur le cas des chibanis. L’engagement du chef du gouvernement les rassure et ils espèrent que ce dossier tirera bénéfice de la nouvelle dynamique des relations franco-marocaines. « Nous avons demandé à M. Benkirane de faire de ce dossier une priorité, maintenant que la coopération judiciaire entre les deux pays est rétablie », souligne M. Fkire.
05.03.2015, Ristel Tchounand
Source : yabiladi.com