Le plan "a minima" pour l'intégration des immigrés, présenté mardi par le gouvernement, marque une volonté de ne pas enflammer le débat. Mais pour Pierre Henry, de France Terre d'asile, cette frilosité s'apparente davantage à un renoncement.
"Timide", "frileux", "cosmétique"… Le plan pour l’intégration des immigrés et la lutte contre les discriminations, présenté mardi 11 février par le Premier ministre français, Jean-Marc Ayrault, est loin d’avoir convaincu les associations de défense des droits des étrangers.
Il faut dire que les 28 mesures adoptées par une quinzaine de ministres ne comportent aucune avancée majeure. De l’aveu même du chef du gouvernement, Matignon a souhaité privilégier une approche "sereine et apaisée". À quelques semaines des élections municipales, qui s’annoncent difficiles pour la majorité en place, l’exécutif semble avoir voulu réduire les risques d’enflammer un débat déjà très sensible. Selon un sondage Ipsos publié le 21 janvier, 66 % des Français interrogés pensent qu'il y a trop d'étrangers en France.
Les questions portant sur le droit de vote des étrangers, l’ouverture à l’emploi, notamment dans la fonction publique, ou encore sur la mémoire et la religion ont donc été écartées de la "feuille de route" gouvernementale. Seule annonce notable : la création d’un poste de "délégué interministériel à l'égalité républicaine et à l'intégration", rattaché au Premier ministre, dont le rôle sera de "coordonner" les actions du gouvernement et d'évaluer les politiques menées en termes d’immigration et d’intégration.
Pour Pierre Henry, directeur général de France Terre d'asile, qui a participé aux côtés d'autres organisations aux travaux préparatoires du plan, la série de mesures présentée, mardi, est un projet "a minima", qui témoigne d'un renoncement du gouvernement Ayrault sur la question de l'intégration. Entretien.
FRANCE 24 : Après avoir pris part aux travaux préparatoires au plan pour l’intégration des immigrés et la lutte contre les discriminations, qu’attendiez-vous du gouvernement ?
Pierre Henry : Nous attendions l’expression d’une ambition en termes de politique d’intégration, mais c’est le signe d’un renoncement que le gouvernement envoie avec ce plan. Le droit de vote des étrangers a disparu. L’idée d’un titre de séjour pluriannuel [un titre de séjour temporaire et renouvelable chaque année, NDLR] qui garantirait une stabilité, notamment professionnelle, aux étrangers a été abandonnée, idem pour la politique d’échange et de mémoire. Ce qui nous est présenté comme une "refondation de la politique d'intégration" ne fait que reprendre des mesures existantes. Jean-Marc Ayrault l’a dit lui-même : ‘Il n’y a rien d’exceptionnel’. Le rendez-vous est raté. Aujourd’hui, on se demande pourquoi il a fallu deux ans de travail pour une feuille de route qui ressemble à un confetti.
Une "feuille de route" plus substantielle ne risquait-elle pas de créer encore plus de crispations autour de la question de l’intégration et de rendre ainsi le débat stérile ?
Pourquoi panique-t-on devant les réactions des néo-conservateurs ? Parce qu’il y a une échéance électorale ? En démocratie, ce n’est jamais le bon moment puisqu’il y a toujours des élections. Je pense que l’honneur de la politique est de tenir ses engagements. Si le gouvernement considérait que ce n’était pas le bon moment, il n’aurait rien dû présenter. C’est une stratégie du perdant-perdant. Nous, nous n’y trouvons pas notre compte, et à peine les mesures fussent-elles annoncées, que de toute façon les francs-tireurs de l’opposition les jugeaient déjà trop importantes malgré le caractère très "light" du plan.
Quelles mesures auriez-vous souhaité que le gouvernement adopte ?
L’égalité n’est pas qu’un terme affiché aux frontons des mairies. Or, cette "feuille de route" n’accorde pas de nouveaux droits aux étrangers. Nous attendions la création d’une autorité indépendante qui, parce qu’on lui aurait conféré un pouvoir juridique, aurait pu faire avancer les choses de ce côté.
Nous regrettons que l’idée d’un Office de la jeunesse franco-maghrébin ait été également abandonnée, ce qui aurait permis de valoriser la mobilité autour de projets industriels, culturels ou universitaires structurants. Il est important d’offrir à la jeunesse de France une perspective d’ouverture sur le monde. Sur l’apprentissage de certaines langues étrangères, par exemple, on a créé une polémique, qui n’avait pas lieu d’être. Est-ce que généraliser l’enseignement de l’arabe, de l’hindi ou du chinois menace la langue française et le modèle républicain ? Il me semble que le Qatar est le bienvenu en France. On accueille bien leurs capitaux mais on ne peut pas faire l’apprentissage de leur langue.
Mais le vrai problème est un problème de gouvernance. Est-ce que la question d’intégration doit être décidée au ministère de l’Intérieur, qui est un ministère de la sécurité ? Quelque soit son locataire, ce n’est pas à la place Beauvau de s’occuper de la politique d’intégration. Il aurait fallu créer un ministère de l’Intégration ou une instance de compétence transversale, qui impliquerait plusieurs ministères.
Le futur délégué interministériel annoncé par Jean-Marc Ayrault ne jouera-t-il pas ce rôle de relais entre les ministères ?
Ce délégué sera sans doute compétent et valeureux, mais que pourra-t-il faire face à un terrain ministériel inchangé ? Il faut des outils pour peser sur la gouvernance. On ne résout pas les problèmes avec un délégué sans réel pouvoir qui se baladera de ministère en ministère et ira dire à Manuel Valls ce qu’il doit faire en terme d’immigration. Je lui souhaite bien du courage.
Vous préconisez également une réflexion sur la mémoire et la religion. En quoi ces questions peuvent-elles avoir un impact positif sur la politique d’intégration ?
Il existe des questions que cette société se doit d’aborder. La liberté de culte en fait partie, sans pour autant que cela soit une remise en cause de la laïcité. Il faut que le législateur se penche sur le fait qu’une partie de la population française exerce son culte dans des lieux de relégation. C’est regrettable, mais l’islam des fonds de hangar n’aide pas à une excellente représentation de soi-même.
La mémoire plurielle et la prise en compte de l’apport de l’immigration montreraient que la France est diverse. C’est cela qui lui donne son caractère d’universalité et d’exception. Le fait de pouvoir célébrer Victor Hugo et Tahar Ben Jelloun, Albert Camus et Tariq Rahimi aurait offert le visage d’une France digne et rassemblée. À l’heure où nous construisons des murs, il faut inventer des ponts.
12/02/2014, Guillaume GUGUEN
Source : France 24