jeudi 28 novembre 2024 08:55

Intégration : une étude donne la parole aux migrants

Principaux intéressés des débats sur l’intégration, on entend pourtant peu l’opinion des migrants. «Faire entendre la voix des immigrants [...] pour influencer la formulation des politiques d’intégration et d’immigration en Europe», voilà donc le but de l’étude, conduite par la Fondation Roi-Baudouin et le Migration Policy Group, qui sera présentée aujourd’hui lors d’un colloque à l’Institut d’études politiques de Paris.
7 473 immigrés extracommunautaires, résidant en situation régulière dans quinze villes de sept pays européens (Allemagne, Belgique, Espagne, France, Hongrie, Italie, Portugal) ont été interrogés entre octobre 2011 et janvier 2012. Compte rendu.
Travail : un immigré sur trois s'estime surqualifié
Au niveau européen : L’emploi occupé par les immigrés sondés correspond généralement peu à leurs qualifications : près d’un tiers des immigrés se sentent surqualifiés pour le poste qu’ils occupent, ayant des difficultés à faire reconnaître les formations ou les diplômes acquis à l’étranger. Ce n'est qu'en Italie que plus de 52% d’entre eux affirment travailler dans leur secteur de formation. C’est à Berlin qu’ils rencontrent le moins de difficulté à trouver un emploi, mais pas dans leur domaine : seuls 18% des immigrés interrogés estiment avoir un travail en lien avec leurs qualifications. Par ailleurs, plus de 15% des sondés en Belgique disent participer à la vie d’un syndicat. Ce chiffre tombe à 3,7% en Hongrie.
Au niveau français : Moins de 30% des immigrés interrogés affirment occuper un emploi correspondant à leurs qualifications. 5,4% des personnes sondées sont membres d’un syndicat de travailleurs. Les principaux obstacles rencontrés lors de leur recherche d’emploi sont, par ordre d’importance, de ne se voir proposer que des contrats courts, d’avoir des qualifications sans lien avec les offres d’emploi, enfin de subir des discriminations à l’embauche.
Obtenir un permis de séjour longue durée : un souhait largement partagé
Au niveau européen : Entre 80 et 95% des migrants souhaitent s’établir dans leur pays de résidence à long terme. Dans la majorité des cas, ils en font la demande rapidement après avoir atteint le temps requis de présence sur le territoire : en Italie, ils séjournent en moyenne 9,3 ans avant de demander un permis de séjour longue durée, 3,4 ans en Belgique et 3,7 ans en Hongrie. En Allemagne, Portugal, Espagne, c’est en moyenne 5 ans. Les migrants expliquent qu’obtenir un permis de séjour de longue durée leur permet d’avoir un meilleur emploi, et de se sentir plus installés.
Au niveau français : Avant de demander un permis de séjour longue durée, les migrants restent en moyenne cinq ans sur le territoire français. Entre 5 et 15% des immigrés rencontrent des difficultés à correspondre aux critères, 10 à 15% à obtenir les bons documents administratifs. Ils sont également près de 30% à avoir le sentiment que les autorités «ont trop le pouvoir de faire ce qu’elles veulent». Parmi ceux qui ont obtenu ce permis de séjour de long terme, près de 70% estiment qu’il leur a donné accès à une meilleure éducation - sentiment largement partagé en Belgique également, mais beaucoup moins dans les autres pays (entre 22 et 50%).
Vie privée : des difficultés face au regroupement familial
Au niveau européen : Les problèmes rencontrés par les immigrés interrogés pour faire venir leur famille dans leur pays de résidence sont la difficulté à obtenir les bons documents administratifs (50% des sondés en Allemagne, 44% en Italie), correspondre aux critères (41% en Italie mais seulement 10% en Belgique et 4% en Espagne) ; enfin le sentiment que «les autorités ont trop le pouvoir de faire ce qu’elles veulent» (28% des sondés résidant au Portugal).
Au niveau français : Seulement 10% ont rencontré des difficultés à obtenir les documents administratifs nécessaires à leur demande de regroupement familial, et 23% à correspondre aux critères. Le sentiment que les autorités ont trop le pouvoir «de faire ce qu’elles veulent» est le plus fort d’Europe : 38% des sondés à Lyon et Paris partagent cette opinion.
Participer à la vie politique : une revendication forte
Au niveau européen : Entre 70 et 80% des immigrés répondent positivement à la question «s’il y avait une élection générale demain, voteriez-vous ?». L’envie de participation politique est plus élevée en Belgique (90% de réponses positives) et en France ; moins importante en Hongrie et au Portugal (un peu plus de 70%). Dans plusieurs villes d’Italie et de Belgique où voter est obligatoire, cette envie est légèrement inférieure à la participation des nationaux. Mais en France, en Espagne et au Portugal, l’intérêt pour la participation à la vie politique est au même niveau que les nationaux.
A la question «devrait-il y avoir davantage de députés issus de l’immigration ?», entre 64 et 87% des immigrés répondent «oui», assurant que ces députés comprendraient mieux les difficultés qu’ils rencontrent, et auraient tout au moins une importance symbolique.
Concernant l’appartenance à une organisation politique, l’Espagne a le taux le plus élevé (4,8%) et la Hongrie est bonne dernière, avec seulement 0,6% des sondés impliqués dans un mouvement politique.
Au niveau français : Près de 90% des immigrés interrogés à Lyon et Paris affirment qu’ils voteraient s’ils le pouvaient. Sur l’intérêt pour la participation à la vie politique, il n’y a pas de différence significative entre les personnes non naturalisées et les personnes naturalisées. 75% des immigrés estiment également qu’il devrait y avoir plus de députés issus de l’immigration à l’Assemblée nationale. Seuls 2,8% des sondés font partie d’une organisation politique.
Accéder à la nationalité : un parcours d'obstacles
Au niveau européen : Trois immigrés sur quatre sont ou ont l’intention de devenir citoyen de leur pays de résidence. Ils expliquent que la naturalisation permet de se sentir mieux installé dans le pays, facilite l’obtention d’un emploi et l’accès à l’éducation. Ceux qui ne souhaitent pas obtenir de naturalisation (moins de 5% au Portugal et en Espagne, jusqu’à 30% en Allemagne) évoquent la faible différence que cela ferait avec leur statut actuel (près de 60% en Belgique), des démarches administratives trop complexes ou des restrictions sur la double nationalité : en Allemagne, c’est la raison invoquée par près de la moitié de ceux qui ne souhaitent pas accéder à la nationalité.
Au niveau français : 50% des migrants qui ne souhaitent pas être naturalisés évoquent la complexité des procédures administratives. 30% n’ont pas l’intention de s’installer définitivement en France. La France est également le pays où les migrants attendent le plus longtemps avant de demander leur naturalisation : jusqu’à treize ans à Lyon, contre cinq ans à Liège et Budapest ou six ans à Madrid. D’autre part, 56% des immigrés présents depuis plus de vingt ans en France se sont fait naturaliser : c’est un peu plus qu’en Italie (29%) mais moins que dans le reste des sept pays étudiés (jusqu’à 91% en Espagne, lorsqu’ils viennent d’un pays ayant des liens historiques avec leur pays d’établissement).
28/6/2012, KIM HULLOT-GUIOT
Source : Libération

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