mardi 26 novembre 2024 23:43

"Invisibles", une pièce pour donner la parole aux vieux travailleurs immigrés

Assis sur un banc, les cheveux blanchis, des hommes renfrognés regardent les passants et parlent du "bled", qu'ils ont quitté dans les années cinquante pour venir travailler en France: une pièce, "Invisibles", rend hommage à ces vieux immigrés, les "chibanis".

Ecrite par le metteur en scène Nasser Djemaï, lui-même d'origine algérienne, "Invisibles" entend donner "un corps, une voix, une personnalité" à ces travailleurs, qui ont été, selon lui, "des masses informes, incolores, inodores, éternellement interchangeables".

La pièce est à l'affiche à partir du 22 novembre à la Maison de la culture de Grenoble, avant une vaste tournée en France, puis à Lausanne, qui s'achèvera en mai prochain.

"J'ai pris le parti de parler uniquement des hommes qui n'ont pas fait venir leur famille parce que, pour moi, ils représentent une double tragédie", raconte Nasser Djemaï, dans un entretien à l'AFP. Ils ont vécu "l'exil, l'arrachement à la terre natale pour retrouver une misère plus froide encore et l'éloignement d'avec leur famille".

"Une fois vieillis, ces hommes se retrouvent seuls, avec des séquelles physiques très importantes et aussi pauvres que quand ils sont arrivés", affirme le metteur en scène, qui insiste sur "le rapport très ambigu, très paradoxal" qu'ont les "chibanis" avec leur pays d'origine. "Ils ont vieilli avec une carte postale dans la tête", déclare-t-il.

"Une histoire entre la vie et la mort"

"Le retour au pays est toujours une incompréhension avec à la fois ce mythe éternel du retour et leur présence ici liée notamment au fait qu'une partie de leur retraite ne peut pas être exportée", ajoute Nasser Djemaï.

Il a cherché pendant un an les acteurs susceptibles d'incarner ces hommes qui s'expriment à la fois en français et en arabe et recueilli des témoignages dans les cafés chibanis, les mosquées, les foyers en même temps qu'il lisait les ouvrages portant sur ce thème.

"C'est un peu aussi l'histoire de mon père qui est arrivé ici tout seul pendant deux ans, avant de faire venir sa famille", confie Nasser Djemaï, né en 1971 à Grenoble de parents algériens. "Les amis qu'il a côtoyés sont ces hommes-là. Ça fait partie de ma mythologie".

Mais, explique-t-il, "mon travail théâtral, c'est de m'emparer d'une parole authentique et d'arriver à tordre toute cette matière pour en faire des figures théâtrales".

"Cette histoire d'hommes qui ont quitté leur terre natale date de la nuit des temps", poursuit-il, évoquant Enée, condamné à l'exil et qui doit se rendre aux enfers pour que son père lui révèle où il doit fonder Rome. "J'ai trouvé ce mythe tellement beau que j'ai voulu aussi m'en servir", ajoute-t-il.

Le héros, Martin, n'a pas connu son père, l'un de ces immigrés, mais le retrouve grâce à sa mère, une Française, qui vient de mourir. "J'ai placé l'histoire entre la vie et la mort. C'est comme un monde parallèle. Ces hommes sont dans une sorte d'antichambre et Martin va être plongé dans ce monde à la demande de sa mère".

Mais "cette histoire, c'est une volonté d'apaisement, une reconstruction, celle d'un jeune homme qui va se réconcilier avec lui-même et avec son passé", selon Nasser Djemaï.

22/11/2011

Source : Le Point

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