lundi 25 novembre 2024 00:03

Invité par l'UMP, Finkielkraut stigmatise "l'accent des Beurs" : des propos dangereux

Invité à une conférence par l'UMP, le 23 janvier dernier, Alain Finkielkraut y a dénoncé la langue des banlieues qui dénaturerait le français. Un dérapage de plus du philosophe, pour notre chroniqueur Thierry de Cabarrus, qui tente de déconstruire ce résonnement réactionnaire et plein de préjugés.

Alain Finkielkraut, le philosophe "antimoderne" et réactionnaire réputé pour sa nostalgie de la France d’avant, vient de franchir un pas supplémentaire dans l’expression d’une xénophobie de plus en plus assumée.

Invité au premier petit déjeuner de l’UMP, le 23 janvier, par Hervé Mariton le pourfendeur du mariage gay et le président Jean-François Copé en personne, notre intellectuel, auteur de "L’Identité malheureuse", s’est senti suffisamment à l’aise devant un public acquis à ses idées pour s’en prendre aux "Beurs des banlieues" d’une manière totalement nouvelle.

Il n’a pas hésité à dénoncer l’accent de la langue des cités qui, à ses yeux, serait la preuve de l’échec de l’intégration dans notre pays, et même le symptôme de la mort à venir de la langue française. Rien de moins.

Une "sécession" culturelle, vraiment ?

À écouter ainsi parler notre intellectuel au service de la droite la plus conservatrice, la France est en danger et ce sont les hordes d’immigrés d’origine musulmane qui la conduiraient à sa perte.

Et l’un des premiers signes tangibles de cette défaite de la "vraie" France et de cette confiscation par les "Beurs" de l’identité culturelle nationale serait l’usage de plus en plus répandu d’une langue moins "pure", transformée, déformée.

"Je suis très frappé, ose-t-il dire, que maintenant, nombre de beurs et mêmes de gens qui vivent dans les banlieues, quelle que soie leur origine ethnique, ont un accent qui n’est plus français tout à fait. Mais ils sont nés en France ! Et pourquoi ont-ils un accent ? Et pourquoi leurs enfants auraient-ils un accent ? C’est tout à fait sidérant."

Et d’expliquer qu’on ne doit pas avoir d’accent "puisqu’on est né en France". Or, il y a dans les cités "des Français de souche qui ont un accent" et Finkielkraut de dénoncer dans la foulée le tabou qui consisterait à ne pas avoir le droit de pointer ce qu’il appelle "une sécession culturelle".

On imagine les applaudissements nourris des quelques centaines de militants UMP venus pour entendre que l’immigration serait à l’origine de tous nos maux. Sauf que personne, sans doute, ne s’attendait à une attaque aussi directe de la part d’un intellectuel parisien, un bobo de droite, mais un bobo tout de même, contre la banlieue et ses habitants.

La stigmatisation d'une population

Cela me rappelle "le bruit et l’odeur" de Jacques Chirac, quand en 1991, le président du RPR et maire de Paris, invité dans des conditions similaires à un dîner-débat avec un millier de militants et de sympathisants, s’était laissé aller, lui aussi, à stigmatiser les immigrés.

Il faut dire que le contexte était (déjà) favorable puisque le Front national faisait sa première percée dans les urnes en surfant sur la peur de l’immigration. Il avait alors imaginé les "désagréments" que causeraient pour des "Français de souche" le voisinage avec une famille immigrée : "le bruit et l’odeur".

Alain Finkielkraut, encouragé lui aussi par la montée des extrémismes, porté par les voix réactionnaires des défenseurs de la famille traditionnelle et rabougrie, banalisé par le réveil du racisme et de la xénophobie, a dû se dire qu’il pouvait y aller, et que personne ne s’apercevrait de son dérapage.

C’est sans doute ce qui se serait passé si le site "Panamza" n’avait mis en ligne une petite vidéo reprenant ces propos à la fois scandaleux et révélateurs. Car, curieusement, les journalistes des médias traditionnels présents dans la salle pendant l’intervention ("Le Figaro", "20 minutes"), s’ils ont bien relaté la teneur générale de ses propos, ont fait l’impasse sur ce passage.

Une langue n’est jamais stable

Il faut analyser ces propos étonnants. Car Finkielkraut nous explique que si l’on est né en France, on ne doit pas avoir d’accent.

C’est évidemment absolument faux et il suffit pour s’en convaincre d’avoir écouté, le 4 février dernier, sur France Inter, dans l’émission "La tête au carré", le lexicologue Alain Rey et le chercheur en linguistique Philippe Boula de Mareuil.

Ils nous ont expliqué qu’une langue n’est jamais stable et qu’elle évolue sans cesse, que chacun a une manière différente de parler le français, avec son propre accent, qu’il existe des accents régionaux très typés comme le provençal, bien sûr, mais aussi le "ch’ti" et bien d’autres, qu’il y a un accent lyonnais, mais aussi un accent de "titi" parisien.

Les deux experts ont ajouté que l’accent des banlieues était à la fois d’origine géographique (certains sons émanent en effet des langues magrébines) mais aussi d’origine sociale et qu’il y aurait un certain racisme, ainsi que des préjugés de classe, à vouloir le dénoncer.

Il mélange tout

À la lumière de ces explications, Alain Finkielkraut serait-il victime, tout intellectuel qu’il est, de préjugés de classe, voire de xénophobie ? Ce n’est pas impossible, d’autant qu’il n’hésite pas à affirmer une contre-vérité quand il dit, par exemple, qu’un "Français de souche" n’a pas d’accent.

Demandez au journaliste Jean-Michel Aphatie si, au prétexte qu’il roule les "R" comme les cailloux du Gave de Pau, il n’est pas un Français à part entière. Et si vous voulez savoir ce qu’il pense de tous ces gens, surtout les intellectuels, qui se moquent de son accent du Sud-Ouest, il vous suffit d’aller sur son blog. Comme à son habitude, il ne mâche pas ses mots.

Je n’en ai retenu qu’une phrase qui, à mon avis, s’applique à Alain Finkielkraut, le pourfendeur de la langue des banlieues. La voici :

"L’humanisme dont il(s) se réclame(nt) cède bien facilement devant les préjugés les plus absurdes."

06-02-2014  Thierry de Cabarrus

Source : .nouvelobs

 

Google+ Google+