jeudi 28 novembre 2024 12:30

Italie/Ramadan : la diaspora marocaine entre nostalgie et contraintes quotidiennes

Depuis des années la question revient avec insistance en ce mois béni de Ramadan: Il n'y a pas assez de lieux de culte en Italie pour accueillir décemment les fidèles musulmans. Les deux mosquées officielles, de Rome et de Milan, aux côtés d'une poignée de structures qui ressemblent à des mosquées, mais sont des associations culturelles de fait, accueillent la grande majorité des fidèles qui s'y rendent surtout lors de la prière du vendredi ou les jours de fêtes religieuses (Aid al Fitr, Aid al Adha et Aid Al Mawlid).

Cet état de fait pousse beaucoup de musulmans d'Italie, une communauté forte d'environ 1,5 million de personnes (dont près de 600 mille Marocains), à improviser, particulièrement pendant ce mois sacré, des lieux pour l'accomplissement de la prière collective et des Tarawihs. Les uns s'organisent pour pratiquer leur foi, à tour de rôle, dans leurs résidences respectives, alors que nombreux, faute d'espace, optent pour des endroits divers, dont des parkings, des garages, des entrepôts, des jardins où d'autres lieux, pourvu qu'ils soient propres.

'Je dois traverser toute Rome pour arriver jusqu'ici (la Grande mosquée). C'est très loin et c'est pénible pour nous étant donné que nous devons prendre tout d'abord le métro puis le bus avant de faire un bout du trajet à pied'', a confié H. Larbi, un commerçant marocain résidant depuis plus d'une décennie avec ses deux frères dans un quartier de la périphérie de la ville éternelle.

Le même sentiment de frustration est partagé par d'autres musulmans de diverses nationalités qui ont afflué nombreux ce deuxième vendredi du mois sacré vers la mosquée de Rome, la plus grande d'Europe, dont les alentours connaissent une activité commerciale fébrile et inhabituelle en ce mois sacré. On y écoule des produits alimentaires et des tenues vestimentaires traditionnelles de tout genre et provenance, du Maroc jusqu'au plus lointains pays musulmans d'Asie.

'Hors question que je passe le reste de ce mois en Italie. Je compte rentrer bientôt au Maroc. Quoi de plus chaleureux qu'un Ramadan passé au bled ! L'ambiance et les moments agréables avec la famille me manquent énormément. J'aime entendre résonner à mes oreilles la voix du muezzin quand il appelle à la prière, voir les gens affluer en masse vers les mosquées pour accomplir les prières surérogatoires et discuter longuement de tout et de rien autour d'un verre de thé'', renchérit H. Mohamed, frère aîné de Larbi, maçon de son état, qui déplore 'le manque d'une véritable ambiance ramadanesque à l'étranger à l'exception de réunions conviviales sporadiques avec des concitoyens après les Tarawihs dans un café du coin qui ferme souvent ses portes avant minuit''.

Des espaces aménagés en lieux de prières en ce mois sacré se comptent par centaines notamment dans les grandes villes telles Milan, Turin, Bologne, Venise et Rome, mais n'arrivent toujours pas à accueillir tous les fidèles qui y affluent vu l' exiguïté des lieux, ce qui donne lieu, dès fois, à des scènes qu'on a l'habitude de voir dans les pays d'origine : prier même sur la voie publique quand il est nécessaire, ce qui suscite la stupeur des uns et l'admiration des autres.

Selon le vice-président de la Communauté religieuse islamique en Italie, Yahya Pallavicini, qui ne cache pas son admiration pour 'la politique du Maroc dans la gestion de la chose religieuse'' et son intérêt pour les causeries religieuses présidées par SM le Roi Mohammed VI, le problème en Italie est que 'nous avons quelques mosquées officielles dans le pays et des centaines de centres islamiques, mais beaucoup de ces centres ne sont pas à la hauteur ou n'ont pas la qualité d'un lieu officiel de culte. Telle est la réalité ".

Pour nombre de Marocains établis à Rome, à défaut d'une ambiance Ramadanesque dans la ville éternelle, centre de la chrétienté, 'on n'a pas d'autres choix que de l'inventer'' ou, pour ceux qui ont moins de contraintes, de se rendre tout simplement au pays, comme plusieurs avaient choisi de le faire d'autant plus que ce mois béni coïncide cette année avec les vacances d'été.

Etabli depuis une vingtaine d'année dans le quartier populaire de Rome (Montecelli) très fréquenté par les membres de la communauté marocaine, J. Abdelkader évoque la question sous un autre angle, estimant qu'il est du devoir de chaque père et mère d'inculquer à sa progéniture les vertus du Ramadan et d'éduquer ses enfants aux valeurs religieuses du pays, et ce mois béni en est une précieuse occasion.

'Depuis des décennies je passe la dernière moitié de ce mois sacré ainsi que l'Aid al Fitr avec mes parents au Maroc, comme ça mes enfants ont l'occasion de se confronter avec une autre réalité et découvrent les traditions du pays d'origine et ses valeurs religieuses. Déjà, ils ont beaucoup de difficulté à parler l'arabe malgré tous nos efforts à leur apprendre par cœur des sourates du Saint Coran'', a-t-il dit.

Au fur ou à mesure ou la conversation s'animait, sur l'esplanade de la mosquée à l'issue de la prière du vendredi, autour de l'absence d'une 'véritable ambiance'' du Ramadan à l'étranger, les uns saisissaient l'occasion pour attirer l'attention sur des questions qui leur tiennent à cœur notamment l'enseignement de la langue arabe à leur progéniture, 'préambule pour tout apprentissage des préceptes de l'Islam et toute connaissance de ses piliers'', alors que d'autres expliquaient leur choix de passer le mois sacré en Italie par des contraintes matérielles ou des engagements pris, dont 'le plus noble'' est celui consistant en l'aide des plus démunis (surtout des réfugiés en provenance de Syrie, d'Irak et d'Erythrée) afin de soulager leurs souffrances et leur manifester de la solidarité.

Si des jeunes marocains opérant au sein d'associations de bienfaisance affirment dédier une partie de leur temps à aider des réfugies en provenance notamment de pays islamiques tels la Syrie et l'Irak, ont leur portant réconfort et en leur offrant des repas pour rompre le jeûne, d'autres estiment que ce mois est 'porteur de la baraka'' et que leurs 'affaires sont florissantes'' en ce mois de générosité.
Cette dernière catégorie explique ses raisons de n'avoir pas pris la même décision que nombre de leurs amis ou concitoyens de se rendre au Maroc pour y passer le Ramadan, par le fait qu'ils gagnent en ces trois mois d'été l'équivalent du reste de l'année. C'est le cas des frères Moujahide, deux commerçants ambulants, qui sillonnent les plages de Rome et ses environs pour vendre leurs produits.
Ces dernières années, le mois de Ramadan coïncide avec la période des vacances ce qui, en dépit de la chaleur qui sévit, représente 'pour nous une précieuse opportunité'' vu que 'nous écoulons notre marchandise le matin, jusqu'aux premières heures de l'après-midi, sur les plages prises d'assaut par les romains, et plus tard on vend tous les types de pâtisseries marocaines, dont Chabakia et Briaoutes, confectionnées par nos femmes à la maison, dans un magasin que nous avons loué pour cet effet'', a expliqué l'un des frères Moujahide.

En effet, dans les quartiers de Rome où résident une communauté marocaine nombreuse, la physionomie des marchés change durant le mois de ramadan. Les différents commerces et magasins, gérés par des marocains ou d'autres citoyens de pays islamiques, connaissent un mouvement exceptionnel à l'occasion de ce mois sacré du Ramadan, en raison de l'affluence massive des familles pour s'approvisionner en produits alimentaires qui font la particularité des tables ramadanesques. Une aubaine pour les commerçants vu la hausse de la demande sur des produits alimentaires importés directement du pays et dont l'importance s'accroît lors de ce mois sacré et de la joie pour une clientèle qui s'efforce de créer chez elle une ambiance similaire ou du moins proche à celle qui règne dans le pays d'origine.

10 juil 2015,Mohammed Badaoui

Source : MAP

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