mercredi 27 novembre 2024 08:29

Kamel Chibli, cet inconnu qui a conquis Ségolène Royal

Il a pris la tête de « l'armée » ségoléniste. Secrétaire général de Désirs d'avenir depuis un an et demi, Kamel Chibli, 34 ans, est devenu le premier de ces militants qui rêvent d'envoyer leur héroïne à l'Elysée. C'est d'abord sur eux que Ségolène Royal compte pour remporter la primaire socialiste.

Comme elle, Kamel Chibli considère que « cette primaire ouverte à tous les sympathisants de gauche est une chance inédite ». Bonimenteur, il déroule ses « 100 000 abonnés à notre lettre d'information », ses « 11 000 adhérents » répartis dans « plus de 400 comités locaux » :

« On est en train de se structurer canton par canton pour avoir des représentants capables d'appeler à voter dans chaque bureau de vote. En dehors des grandes villes et en dehors du parti, Aubry et Hollande, eux, auront vraiment du mal à mobiliser. »

Royal conquise par l'accueil réservé le jour de son anniversaire

A entendre ce grand garçon tout rond, la « préparation psychologique » des militants est achevée, leur engagement « structuré par des éléments de langage » et leurs craintes « démontées » : ils sont « prêts pour gagner ».

Car il y croit, évidemment. Comme en tout ce qu'entreprend « Ségolène ».

Entre eux, la rencontre a lieu en septembre 2006. Jeune adjoint au maire de Lavelanet, il est chargé d'organiser la visite dans cette commune ariégeoise de celle qui, deux mois plus tard, sera désignée candidate du PS pour 2007.

Ce jour là, Ségolène Royal fête ses 53 ans. Elle est conquise par l'accueil qui lui est réservé. Et observe que sa « conseillère spéciale », Sophie Bouchet-Petersen, est en terrain connu.

« Rappeurs, boxeurs, petites nénettes… »

Cette ex-trotskiste devenue collaboratrice de François Mitterrand s'y était arrêtée, dix ans plus tôt, au cours des tournées d'été qu'elle organisait dans le cadre de son association Droit de cité :

« On partait un mois avec des orchestres, des rappeurs, des boxeurs, des footeux, des petites nénettes, on faisait étape dans des cités, il y avait des ateliers avec les jeunes puis des débats pour les conscientiser.

A Lavelanet, je me souviens qu'on couchait dans le dortoir du LEP.

C'est vraiment là qu'on a sympathisé avec Kamel. [Lui dit : “Je suis tombé amoureux de cette femme.” ]

Il avait participé très jeune à la création d'une association. J'avais senti en lui une ardeur jubilatoire, beaucoup de droiture et d'ouverture.

Il n'était pas du tout dans le trip “priorité à mon clan” dont trop d'associations sont le cache-sexe. »

Oxy'Jeunes, son association, était une histoire de potes et de nécessité. Au début, ils étaient six ados, animés par « l'envie d'être reconnus », encouragés par Joëlle Maury, une éducatrice charismatique.

Un groupe conscient que la filière associative est peut-être un moyen de s'en sortir dans une ville où le chômage bat des record et alors que certains copains commencent à mal tourner.

Faire de Ségolène Royal la « Madone des quartiers »

Ils passent leur temps à répéter qu'ils ne se laisseront jamais « récupérer comme les associations des années 80 ». Ce qui suscitera quelques discussions homériques quand Jean-Pierre Bel (aujourd'hui président du groupe socialiste au Sénat), qui voit en Kamel « le copain qui s'occupe des autres et prend les problèmes par le bon bout », lui propose de l'accompagner dans sa conquête de la mairie de Lavelanet aux municipales de 2001.

Mais on n'a pas tous les jours la chance de voir un notable vous tendre ainsi la main, et la petite bande finit par se persuader que leur copain sera « plus utile à l'intérieur du système » qu'à l'extérieur.

Quand il revoit Sophie Bouchet-Petersen, en 2006, Kamel Chibli est donc passé de l'associatif au politique. Les retrouvailles sont chaleureuses.

Quelques mois d'échanges et le Lavelanétien, fils d'un bûcheron marocain arrivé en France en 1969, rejoint l'équipe de campagne au « 282 », le QG du boulevard Saint-Germain. L'équipe Royal loue sa « conception à la fois très engagée et pas triste » de la politique.

Au même moment, une autre personnalité originaire du Maroc balade son bagout dans les banlieues - mais pour le compte de Nicolas Sarkozy : Rachida Dati. Mi-fixeurs mi-groupies, leur aisance dans des quartiers mal connus des présidentiables les rend tous deux indispensables. Sur le terrain, ils gagnent la confiance de leurs interlocuteurs en exaltant leur parcours personnel.

Avec Brahim Abbou, responsable associatif à Montpellier, Kamel Chibli va tenter de faire de Royal « la Madone des quartiers ». Ils convainquent 100 associations d'appeler à voter pour elle et ont l'impression, « après s'être beaucoup fait cracher à la gueule », d'avoir « réconcilié le PS et les cités ».

Chibli l'Ariégeois entonne « Arièjo moun pais » à la demande

Après la défaite, il reste le « M. Banlieues de Ségolène ». Et quand, en octobre 2009, Martine Aubry demande à Ségolène Royal de réintégrer le bureau national du PS, l'ex-candidate propose, à sa place, le nom de Kamel Chibli. Refus de Solférino.« On s'était dit ça passe ou ça casse, mais ça ne nous semblait pas déplacé », se souvient Sophie Bouchet-Petersen. Elle précise :

« Ce n'était pas une concession à la diversité. Kamel n'est pas l'arabe de service, le préposé aux bronzés. Ségolène ne voit jamais les choses sous cet angle-là. Je dis souvent qu'elle n'est pas anti-raciste, mais a-raciste. »

Son identité, assure-t-il, c'est son territoire. Il en fait des tonnes sur son amour de l'Ariège : il s'est tôt engagé dans le conseil d'exploitation d'une station de ski du coin, entonne « Arièjo moun pais » à la demande et fait rire les vieux en jurant en patois.

La droite locale continue pourtant à lui reprocher d'avoir émergé « en s'appuyant sur les Français d'origine musulmane ». « Il a fait du clientélisme, il a rendu des services aux familles des HLM pour en faire de bons électeurs », dénonce l'UMP Albert Morcillo.

« Je ne suis pas un statique, je veux gravir des échelons »

Au sein de la gauche locale, où on le trouve « très sympathique », on ne fait pas non plus d'excès de zèle en sa faveur. A chaque élection, le baron Augustin Bonrepaux, qui garde la haute main sur le PS ariégeois, l'invite à la patience :

« Il y a des scrutins qui seront plus adaptés. Et puis il y a d'autres personnalités qui méritent de se présenter. Priorité aux femmes et à ceux qui sont déjà connus de la population de tout le département. »

« Ségolène est la seule qui cherche vraiment à faire en sorte que le PS soit un peu plus à l'image de la société française », ressasse alors Chibli.

Bonrepaux répète qu'il a « un grand avenir » ? Kamel Chibli préférerait un grand présent.

« Je ne me contente pas de la place où je suis à un moment donné. Je ne suis pas un statique. Je veux gravir des échelons. »

Il a intégré l'idée qu'il fallait forcer les portes quand on vous reproche d'être trop jeune, car le jour où l'on vous reproche d'être trop vieux arrive très vite ensuite. Royal sera son bélier.

« Au PS, la compétence n'est jamais mise en avant »

Il se vit en combattant à l'assaut d'une forteresse hostile. S'imagine très différent de « tous ceux qui sortent de l'Unef, du MJS, de SOS, hyper formatés et vieux avant l'heure », autant de « petits apparatchiks ».

Il a pourtant son rond de serviette à la fédération socialiste de l'Ariège. Normalisation ? « Au PS, la compétence n'est jamais mise en avant. Si on n'est pas dans l'appareil, on n'a aucune chance de pouvoir se présenter à un scrutin », justifie son camarade nîmois Nicolas Cadène.

Kamel Chibli se retrouve à porter des intérêts différents de ceux de son mentor, fervent soutien de Hollande. Jean-Pierre Bel, magnanime : « Quel que soit le résultat de la primaire, on aura toujours besoin de Kamel. Il trouvera sa place. »

Il n'est plus naïf, pas encore cynique. Il est à un âge intéressant.

25/6/2911

Source : RUE 89

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