jeudi 28 novembre 2024 03:33

L’Europe mieux armée pour faire face à cette crise migratoire inédite

L’ampleur de la crise migratoire de 2015 n’est pas sa seule spécificité. Certes, les 800 000 à 1 million de demandes d’asile que l’Allemagne attend cette année correspondent à un afflux inédit depuis la seconde guerre mondiale.

Mais le Vieux Continent avait déjà traité 630 000 dossiers lors du conflit entre la Bosnie et la Serbie en 1992, remet l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en perspective. Dans un numéro spécial de Migration Policy Debates, rendu public aujourd’hui, les chercheurs de l’organisation internationale analysent les originalités de la crise actuelle par rapport aux autres vagues migratoires qu’a connues le vieux continent.

D’abord, et contrairement aux crises précédentes, et notamment à celle des Balkans à l’aube des années 1990, les arrivées massives en Europe se font par deux points d’entrée distincts, tous deux maritimes. L’OCDE rappelle ainsi que 330 000 personnes sont entrées par la mer depuis le début de l’année, 210 000 en Grèce, 120 000 en Italie.

L’Italie, la Grèce et la Hongrie sont donc clairement en première ligne même si la plupart des migrants n’y demandent pas l’asile, mais traversent seulement pour rejoindre l’Allemagne et dans une moindre mesure la Suède, l’Autriche ou la Suisse. Sur la destination finale, rien n’a changé vraiment et les principales destinations sont les mêmes qu’au début des années 1990, observe l’OCDE.

Part importante de diplômés

L’Europe en revanche, elle, a évolué. Si elle a du mal à s’entendre sur une répartition, elle est mieux armée pour recevoir ces réfugiés que dans les années 1990. Ce qui ne signifie pas qu’ils sont bien accueillis partout et que tout aille de soi, mais l’organisation de ce dispositif a partout progressé, sous l’égide de l’Europe et de ces règlements.

En revanche, la variété des profils de migrants complique l’octroi de l’asile. « Le pays d’origine, le profil et les motivations ne sont pas les mêmes chez tous les réfugiés », rappelle Jean-Christophe Dumont, responsable de la cellule migration à l’OCDE à Paris. En fait, plusieurs nationalités se mêlent dans les flux, avec des motifs d’exode différents. Les Syriens, qui sont très majoritaires dans les flux ces derniers mois présentent aussi un niveau d’éducation différent des autres publics. Ils sont mieux formés que la population venue de l’ex-Yougoslavie lors du flux précédent, observe l’OCDE. Parmi ceux qui étaient venus pour raisons humanitaires, entre 1988 et 1993, 15 % avaient un diplôme d’enseignement supérieur.

« Parmi la vague actuelle de Syriens, la part de diplômés du supérieur semble plus importante » rappelle M. Dumont. Selon les statistiques suédoises, plus de 40 % des Syriens arrivés dans leur pays en 2014, ont au moins un niveau supérieur, contre 20 % des Afghans et 10 % des Erythréens. En Allemagne, le repérage du niveau scolaire est moins systématique mais parmi les réfugiés arrivés en 2014, 15 % auraient un diplôme d’enseignement supérieur, 16 % un niveau bac, 35 % un niveau de fin de collège, 21 % de fin de primaire et 11 % rien du tout. Chez les Syriens, 21 % de ceux qui sont arrivés de janvier 2013 à septembre 2 014 avaient fréquenté l’université, 22 % avaient un niveau de lycée, et 47 % un niveau collège ou primaire.

« Adapter les outils d’intégration »

Si la chancelière Angela Merkel a compris cet atout, l’intégration de ces publics ne s’improvise pas. Pas plus en Allemagne que dans les autres pays. La réussite de ce processus demande la mise en place de mesures adaptées qui tiennent compte du pays d’origine, du niveau scolaire de départ et de la situation familiale. « Il faut de plus en plus adapter les outils d’intégration », répètent les chercheurs de l’OCDE. Une mobilisation essentielle car « non seulement une intégration réussie a un impact positif sur l’économie mais en plus elle augmente les rentrées fiscales des États et est aussi un facteur de cohésion sociale ».

En guise de conseil aux Etats, l’OCDE rappelle que « plus vite un réfugié accède au monde du travail, mieux se fera son intégration sur le long terme ». Aussi recommande-t-elle de donner le plus tôt possible aux nouveaux venus des compétences de base en langue. De même, à l’heure où les maires sont priés en France de proposer des logements vides, l’organisation internationale rappelle qu’il est important de trouver le bon équilibre entre la création d’une concentration importante de ces nouveaux venus sur un même lieu, et leur isolement. Elle souligne aussi qu’il est primordial de les installer dans les villes qui offrent du travail et pas seulement des logements. « C’est évidemment une politique qui coûte cher mais les bénéfices s’en feront ressentir sur le marché du travail, ainsi qu’en matière de cohésion sociale sur les générations suivantes », rappelle Jean-Christophe Dumont.

Les travaux récents menés sur l’éducation par l’OCDE montrent qu’il est aussi particulièrement important de vérifier que l’école dispose des ressources pour aider les enfants de migrants à apprendre la langue de leur pays d’accueil. Or, une autre spécificité du mouvement 2015 est le grand nombre de mineurs venus seuls. Ils étaient 24 000 en 2014 soit 4 % des demandeurs d’asile de l’UE. L’analyse des chercheurs suggère donc que les Etats réfléchissent à autre chose qu’une scolarisation classique, notamment pour ceux, nombreux, qui arrivent à 16 ou 17 ans.

22.09.2015, Maryline Baumard

Source : Le Monde

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