Loin des clichés et tabous, la collection contemporaine de la Cité de l’immigration propose un autre regard sur nos sociétés métissées.
Un homme en djellaba est accoudé au bastingage d’un ferry. À côté de lui, une bouée orange arbore le nom du navire : Ibn Batouta, alias le grand explorateur marocain du XIVe siècle qui s’aventura jusqu’aux confins de l’Inde et de la Chine. En reliant ainsi le voyageur d’hier à la figure de son propre père, immigré de retour à Tanger après des années d’exil en France, le photographe Malik Nejmi rend à ce dernier sa part d’audace et de fierté. Et renoue les fils d’une histoire déchirée, semblable à beaucoup d’autres évoquées dans l’exposition « J’ai deux amours » à la Cité nationale de l’immigration à Paris.
C’est le premier accrochage d’envergure consacré à la collection d’art contemporain de la Cité. Ce musée, né en 2004 « sans collection » et à qui on l’a beaucoup reproché, a acquis depuis plus de 3 000 pièces : des documents historiques ou ethnologiques mais aussi 400 œuvres contemporaines traitant de l’immigration. Parmi ces dernières, une centaine signées par une vingtaine d’artistes ont été sélectionnées pour cette exposition par Isabelle Renard, responsable de l’art contemporain de la Cité, et deux commissaires extérieurs, Hou Hanru et Évelyne Jouanno.
Paradoxe de l’immigration : le sujet est à la fois omniprésent dans les médias et souvent cantonné à des généralités vagues. D’où le premier mérite de cet événement qui donne chair à des destins anonymes dont se détournent habituellement les regards.
Tabous brisés par les artistes
Le photographe Ad Van Denderen a accompagné ainsi pendant des semaines le quotidien de clandestins se heurtant aux frontières de l’espace Schengen, enregistrant l’expression des corps et des visages, entre attente, peur ou espoir. Mathieu Pernot, lui, nous montre d’étranges formes gisantes et drapées : des immigrés afghans dormant sur des bancs à Paris – en train de rêver, qui sait ? – entièrement cachés sous des linges, abris dérisoires contre le froid et le monde extérieur si dur, si fermé.
Autre tabou brisé par les artistes : celui qui entoure le pays d’origine dans certaines familles immigrées. Bruno Boudjelal, par exemple, a choisi de redécouvrir l’Algérie de son père en pleine guerre civile, dont il a saisi à la dérobée des images sensibles et fragiles. Proches du documentaire, certaines pièces semblent illustrer de manière trop littérale, des problématiques explorées par la Cité. À l’image de la « machine à rêve » de Kader Attia qui place un mannequin, voilé d’un foulard Hermès, devant un distributeur automatique de cigarettes, rouge à lèvres et préservatifs certifiés « hallal », prise entre son désir de respecter la tradition et les griseries de la société de consommation…
Plus intéressantes, d’autres œuvres conjuguent la double appartenance ou les « deux amours » pour inventer un monde singulier. L’Iranienne Ghazel, dans des saynètes filmées, arbore son tchador comme un emblème propice à des travestissements burlesques. Mohamed Bourouissa revisite des chefs-d’œuvre de la peinture occidentale pour changer notre regard sur certains clichés d’actualité. Sur des photographies grand format, il reconstitue une scène d’émeute en banlieue, à la lumière de La Liberté guidant le peuple de Delacroix, ou construit l’image d’un homme prostré devant un dépotoir de téléviseurs, à la façon du Radeau de la Méduse de Géricault. Et restitue soudain tout leur poids de drame politique, à ces réalités devenues si tristement banales.
« J’ai deux amours ». À la Cité nationale de l’immigration à Paris. Jusqu’au 24 juin 2012. Palais de la Porte Dorée, 293, av. Daumesnil, Paris 12e. Rens. : 01.53.59.58.60.
10/2/2012, SABINE GIGNOUX
Source : La CroixLoin des clichés et tabous, la collection contemporaine de la Cité de l’immigration propose un autre regard sur nos sociétés métissées.
Un homme en djellaba est accoudé au bastingage d’un ferry. À côté de lui, une bouée orange arbore le nom du navire : Ibn Batouta, alias le grand explorateur marocain du XIVe siècle qui s’aventura jusqu’aux confins de l’Inde et de la Chine. En reliant ainsi le voyageur d’hier à la figure de son propre père, immigré de retour à Tanger après des années d’exil en France, le photographe Malik Nejmi rend à ce dernier sa part d’audace et de fierté. Et renoue les fils d’une histoire déchirée, semblable à beaucoup d’autres évoquées dans l’exposition « J’ai deux amours » à la Cité nationale de l’immigration à Paris.
C’est le premier accrochage d’envergure consacré à la collection d’art contemporain de la Cité. Ce musée, né en 2004 « sans collection » et à qui on l’a beaucoup reproché, a acquis depuis plus de 3 000 pièces : des documents historiques ou ethnologiques mais aussi 400 œuvres contemporaines traitant de l’immigration. Parmi ces dernières, une centaine signées par une vingtaine d’artistes ont été sélectionnées pour cette exposition par Isabelle Renard, responsable de l’art contemporain de la Cité, et deux commissaires extérieurs, Hou Hanru et Évelyne Jouanno.
Paradoxe de l’immigration : le sujet est à la fois omniprésent dans les médias et souvent cantonné à des généralités vagues. D’où le premier mérite de cet événement qui donne chair à des destins anonymes dont se détournent habituellement les regards.
Tabous brisés par les artistes
Le photographe Ad Van Denderen a accompagné ainsi pendant des semaines le quotidien de clandestins se heurtant aux frontières de l’espace Schengen, enregistrant l’expression des corps et des visages, entre attente, peur ou espoir. Mathieu Pernot, lui, nous montre d’étranges formes gisantes et drapées : des immigrés afghans dormant sur des bancs à Paris – en train de rêver, qui sait ? – entièrement cachés sous des linges, abris dérisoires contre le froid et le monde extérieur si dur, si fermé.
Autre tabou brisé par les artistes : celui qui entoure le pays d’origine dans certaines familles immigrées. Bruno Boudjelal, par exemple, a choisi de redécouvrir l’Algérie de son père en pleine guerre civile, dont il a saisi à la dérobée des images sensibles et fragiles. Proches du documentaire, certaines pièces semblent illustrer de manière trop littérale, des problématiques explorées par la Cité. À l’image de la « machine à rêve » de Kader Attia qui place un mannequin, voilé d’un foulard Hermès, devant un distributeur automatique de cigarettes, rouge à lèvres et préservatifs certifiés « hallal », prise entre son désir de respecter la tradition et les griseries de la société de consommation…
Plus intéressantes, d’autres œuvres conjuguent la double appartenance ou les « deux amours » pour inventer un monde singulier. L’Iranienne Ghazel, dans des saynètes filmées, arbore son tchador comme un emblème propice à des travestissements burlesques. Mohamed Bourouissa revisite des chefs-d’œuvre de la peinture occidentale pour changer notre regard sur certains clichés d’actualité. Sur des photographies grand format, il reconstitue une scène d’émeute en banlieue, à la lumière de La Liberté guidant le peuple de Delacroix, ou construit l’image d’un homme prostré devant un dépotoir de téléviseurs, à la façon du Radeau de la Méduse de Géricault. Et restitue soudain tout leur poids de drame politique, à ces réalités devenues si tristement banales.
« J’ai deux amours ». À la Cité nationale de l’immigration à Paris. Jusqu’au 24 juin 2012. Palais de la Porte Dorée, 293, av. Daumesnil, Paris 12e. Rens. : 01.53.59.58.60.
10/2/2012, SABINE GIGNOUX
Source : La Croix
L’immigration vue par des artistes
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